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Un peuple et son Roi

Publié par - 2 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le titre du dernier film de Pierre Schoeller, Un peuple et son Roi, donne déjà quelques indications sur le traitement narratif réservé aux premières années de la Révolution Française. Le peuple est le sujet principal du film et c’est la mutation sociale dans laquelle il entre qui déterminera ce qu’il adviendra du souverain. En avril 1789, le soir du Jeudi saint, le Roi lave les pieds d’enfants du Tiers-Etat sous le regard attentif et amusé des femmes aristocrates. Au cours de l’acte, un des enfants interpelle le Roi et présage de la volonté du peuple de se soulever. On ne peut s’empêcher de relever l’image : celle d’un roi au pied de son peuple. Mais on peut également faire une analogie avec le passage biblique qui augure la passion : celle de la royauté ici.

Dans la dimension narrative et historique d'Un peuple et son Roi, Pierre Schoeller semble avant tout porter un regard sur les différents phénomènes politiques qui annoncèrent, pendant la révolution, la République. Ce fut une période d’instabilité politique, voire de guerre civile, qui a commencé avec la « glorieuse » prise de la Bastille et s’est terminée avec le célèbre régicide.

Le regard porté sur cette période ne manque pas d’audace et notamment en raison de plusieurs aspects. À commencer par un intérêt particulier pour les petites gens, ceux du Tiers-Etat, ceux qui ne sont « rien ». Parmi ceux-là, à Paris, se trouvent l’Oncle, souffleur de verre, et la jeune révolutionnaire Françoise, tous deux témoins et acteurs de la première heure et qui découvrent ce souffle de liberté à la suite de la prise de la Bastille. Par un travail remarquable sur la lumière, nous observons les personnages assister à la destruction pierre après pierre de la Bastille. La disparition du bâtiment inonde alors d’une lumière presque divine le peuple parisien autrefois plongé dans l’ombre. Il est permis d’y voir une figure allégorique qui rappelle celle de la caverne de Platon et qui souligne le sentiment d’espoir que pouvait éprouver le peuple. Cette séquence contraste avec l’éclairage de la scène pendant laquelle Louis XVI doit signer les premiers articles de la Déclaration des Droits de l’Homme. La salle est alors baignée dans l’obscurité avec un lustre pour seule source lumineuse. Un éclairage qui accentue le sentiment de solitude ressenti par le monarque et sa disparition progressive.

De la même manière que la Révolution, le film reste majoritairement Parisiano-centré. Cependant, Un peuple et son Roi s’enrichit de quelques séquences provinciales qui nous laissent envisager comment a pu se propager le changement de régime par-delà les limites de la capitale. Dans une commune de France, Basile (Gaspard Ulliel), un candide voleur de poules mis au pilori pour larcin, se fait gracier par Pressac, un curé progressiste. Il monte ensuite à la capitale peu après l’arrestation du Roi à Varennes. Là, il rencontrera L’Oncle et Françoise.

Une fois les trois personnages réunis, Un peuple et son Roi déploie un autre de ses aspects inattendus : un traitement de l’Histoire tout en nuance. Au contraire de films manichéens qui présentent le gentil peuple contre les méchants clercs et aristocrates (ou vice versa), la mise en scène s’attarde sur les divisions internes à ces acteurs de l’Histoire. Le film se concentre alors sur les effets du politique sur la foule/la masse. La violence qu’il nous est donné à observer se joue à hauteur d’homme. Elle est à la fois physique, comme dans certaines scènes qui retranscrivent des événements iconiques (le retour du Roi après l’arrestation à Varennes, la fusillade du Champ de Mars, le massacre de la Garde suisse) mais aussi morale lors des débats qui se déroulent dans l’Assemblée Nationale. Dans cette dernière, on croise les grandes figures de l’époque qui vont des plus modérées (Lanjuinais, Condorcet) aux plus radicales (Robespierre, Danton, Saint Just) voire aux plus sanguinaires (Marat) et ces apparitions permettent d’apprécier avec plus de discernement les décisions prises quant à Louis XVI.

Dans cette fresque historique, Louis XVI est relégué à une figure presque passive dans le jeu de pouvoir qui s’exerce. Mais le Roi est une figure qui s’éloigne de celle de l’idiot amateur de serrures qu’une certaine histoire républicaine a pu lui attribuer. L’interprétation de Laurent Lafitte nous propose un Roi isolé, complètement dépassé par les mutations de son royaume et écrasé par le poids de l’Histoire qui pèse sur ses épaules (voir la scène onirique dans laquelle il essuie les reproches de certains de ses prédécesseurs qui marquèrent l’Histoire de France : Louis XIV, Henry VI et Louis XI). La chute du Roi dans la solitude atteint son paroxysme sur l’échafaud. Quand il demande où est son peuple, la réponse s’exprime par un silence mortifère.

Nous pouvons aussi constater que Un peuple et son Roi souligne l’importance des femmes dans la Révolution (entre autres avec un générique en écriture inclusive). Celles-ci incarnent à elles seules cette union populaire des premiers temps jusqu’aux divisions qui allaient se développer par la suite. Au début d’Un peuple et son Roi, quand la faim et la soif de justice s’emparent du peuple, les femmes marchent ensemble sur Versailles, guidées par Reine Audu, grande figure féminine de cette période. Les prémices de la division commencent à apparaître lors du procès du Roi entre celles qui s’interrogent sur le statut divin du Roi, celles qui voient dans le régicide le salut de la République, et celles qui y voient une malédiction, comme le prédit l’une des bigotes : « nous le regretterons pendant mille ans ».

La dernière chose que l’on peut constater dans Un peuple et son Roi est sans doute sa contemporanéité quand bien même le film relate des faits qui remontent à plus de deux cent ans. Car au-delà des gens du peuple, des députés, des aristocrates, il reste une dernière instance : le système. Un système dont on sent la présence invisible qui entache les idéaux de chaque camp et laisse s’installer une tension exponentielle. Ce système, invisible au peuple, est perceptible par l’omniprésence des « intermédiaires » : les membres de l’administration républicaine qui interrogent des insurgés, ceux qui placardent des slogans aguicheurs sur les murs de Paris, ceux qui prospectent sous une couleur mais sont au service d’une autre… Sommes-nous encore au XVIIIe siècle ?

 

Crédit photo : ©JérômePrébois ©StudioCanal

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