Splitscreen-review Image de Foxtrot de Samuel Maoz

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Foxtrot - Blaq Out

Publié par - 3 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Blaq Out édite en ce début d'automne l'un des films les plus intéressants de cette année 2018 (voir lien en bas de page vers la critique du film publiée lors de la sortie en salles). Le titre est en soi une intrigue : Foxtrot. Une danse donc. Certes, mais une danse qui s’inscrit dans une géométrie particulière puisqu’elle conjugue deux figures : le carré et le cercle. La superposition des figures interpelle. Pour le cercle, la symbolique est au moins double et presque contradictoire (perfection et cloisonnement), elle rejoint donc en un point celle du carré qui, lui, demeure une figuration immuable de l’enfermement. Mais quel est le rapport entre le Foxtrot et Israël ?

Regardons si nous trouvons quelques éléments de réponse dans la construction dramaturgique. Foxtrot est construit comme une Tragédie où la portée des actes échappe aux personnages. Toute initiative des protagonistes entre dans une relation de cause à effet qui évoque le principe d’effet papillon. Cause, conséquence et Israël ? Le cocktail intrigue.

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Voyons la forme. L’ouverture de Foxtrot est remarquable. Un travelling avant. La caméra est située a priori à bord d’un camion qui avance sur une route délabrée. Nous entrons dans le film sans autre repère. Vers quoi nous conduit le metteur en scène ? À suivre. Cut. Très gros plan sur une sonnette d’appartement. Un doigt appuie dessus. Nous sommes chez les Feldman. La porte s’ouvre et une femme dans la cinquantaine apparaît. Derrière elle, dans l’entrée, on aperçoit une étrange image de figures géométriques gigognes. Les carrés qui la composent semblent se démultiplier et s'incliner pour suggérer une sorte de chute sur un côté. La femme est filmée en plan rapproché, elle regarde la caméra. Son visage évolue, son expression change et, soudain, elle s’évanouit au propre comme au figuré. Deux hommes se précipitent et entrent partiellement dans le cadre pour la soutenir puis ils disparaissent à leur tour vers le bas. La caméra débute alors un lent travelling avant qui se dirige inexorablement vers le centre de l’image faite de quadrilatères. La caméra panote ensuite sur la gauche. Nous découvrons un homme qui se tient debout, immobile. Il est engoncé dans un réseau de lignes verticales qui réduisent sa liberté de mouvement, il est coincé dans le cadre et semble perdu. La caméra participe de cet enfermement puisque lorsque le panoramique arrive à son terme, les lignes qui l’enferment se démultiplient à leur tour (rideaux, fenêtre, cadre de la caméra, etc.). L'image de cet homme devient un vague écho de l'image aux carrés gigognes située dans le couloir. La géométrie de l’univers qui se dévoile devant nous ne cache rien de l’instabilité ambiante. Le tableau, dans la démultiplication des quadrilatères qui le composent, entre en résonance avec l’intériorité de l'homme qui se nomme, nous l'apprendrons après, Michael. L’espace dans lequel nous pénétrons reprend à son compte, graphiquement et architecturalement,  le principe de claustration suggéré par le Foxtrot, danse qui donne son titre au film, et, d'une certaine manière, par le contexte géopolitique israélien.

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Un lien a été établi ou affirmé entre tous les éléments apparus dans le cadre depuis le début. On sonne. Les habitants des lieux viennent ouvrir. Une femme se trouve devant une image composée de figures géométriques qui évoquera, par association d’idées, un univers mental associé à son époux (le panoramique). La caméra avance vers l’image dans un mouvement qui répond à celui de l’ouverture sur la route. Nous entrons dans une logique et une temporalité que le film met en place : le travelling de l'ouverture rejoint le travelling qui nous donne accès à l'appartement des Feldman. Le panoramique finira d’associer les images (toutes) à l’homme, Michael. La logique du film s'indexe sur celle de Michael mais aussi sur le principe du Foxtrot.

Revenons au titre, Foxtrot. La suite de mouvements qui composent cette danse, le Foxtrot, correspond à un schéma qui, lui-même, est une sorte de cycle répété à l’envi. Ce n’est pas la figure artistique ou le divertissement que convoque le titre ici mais le rituel. Un rituel où les corps, au regard de la dramaturgie, s’inscrivent dans une dynamique qui nie leur identité. Le soldat qui exécute quelques pas de danse devant le check-point a beau faire preuve d’un talent d’improvisation hors norme pour complexifier les pas du Foxtrot, il n’en demeure pas moins tributaire de la logique de la danse. Ses improvisations personnelles ne suffisent pas à le désolidariser de la mécanique du Foxtrot. Il se pliera donc à sa logique et les pas respecteront le rythme et la temporalité de la danse. Foxtrot est donc un film qui se déploie à partir d’une mécanique qui répond à un ordre de marche, à une destinée que le contenu tente, en vain, de contredire. Mais la mécanique est trop bien huilée. Une fois lancée, rien ne semble pouvoir la freiner.

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Dès le titre donc, toute possibilité d’échapper à une rigueur codifiée mise en place par la dramaturgie ou les conditions d’existence et d’émergence du film devient illusoire. Le destin semble écrit et les tentatives de s’y soustraire relèvent de l'improbable pour les personnages. Le comportement de l’individu ne peut suffire à influer sur le cours de son existence. Si un changement doit s’envisager, il passera par une action collective et un acte politique.

Foxtrot est un film sur la transmission. En Israël, depuis la seconde guerre mondiale, s’est développée puis transmise une peur de l’autre qu’il est impossible d’évacuer. Ainsi, l’inéluctable, peu importe son visage, l’emporte toujours. L’individu se débat comme il le peut mais il n’arrivera pas, seul, à interrompre le cycle autodestructeur d’une société qui, à force de vouloir se protéger de tout et de tous, s’épuise dans ses principes autarciques.

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Pour ce qui est de l'image, Blaq Out a fait remarquablement son travail d'éditeur. La copie du film est réellement superbe. Rien à redire.

Pour ce qui est des suppléments, nous trouvons tout d'abord un (très) court-métrage réalisé par Samuel Maoz intitulé The End. Efficace et non sans ironie, le film a la puissance d'un théorème mathématiques.

Autre complément, un entretien, un peu plus long, avec Samuel Maoz qui, conscient de son travail, ne dissimule rien de ses intentions de mise en scène et de ses réflexions autour du film. Certaines réponses sont proches d'un cours de cinéma tant Maoz maîtrise son sujet. Passionnant.

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Crédit photo : ©polapandora/spirofilms/asapfilms/knm/artefrancecinema

Suppléments :

Entretien avec le réalisateur par Ariel Schweitzer (23 mn)
THE END, court métrage de Samuel Maoz (2013, 2 mn)

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