Splitscreen-review Image de Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau

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Ceux qui m’aiment prendront le train - TF1 Studio

Publié par - 4 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Il y a des moments dans la vie, on le sait, qui cristallisent toutes les passions, les frustrations, les meurtrissures, les rancœurs qui peuvent hanter chacun d'entre nous. Ces moments-là favorisent, soudainement, le jaillissement de ces ressentis. Les décès et les enterrements sont de ceux-là. C’est le postulat de départ de Ceux qui m’aiment prendront le train, réalisé par Patrice Chéreau, qui bénéficie du sérieux éditorial de TF1 Studio pour intégrer leur superbe collection Héritage (combo DVD/BLU-RAY et LIVRET).

Ceux qui m’aiment prendront le train est un film passionnant. En homme de théâtre, Chéreau le sait, rien n’est plus captivant que l’exploration des tourments de l’âme humaine. Rien n’est plus intriguant que le surgissement de sentiments qui agissent et modifient les comportements. La soudaineté de ces émotions, souvent impossibles à réfréner, convoque des réactions extrêmes et inattendues. La raison ne filtre plus rien, les affects gouvernent et les violences qui se libèrent sont les plus rudes puisque, le plus souvent, elles sommeillent dans l’inconscient depuis longtemps. L’attente de leur manifestation les nourrit et les murit. Ce qui s'extériorise alors (actes ou mots) témoigne d’une brutalité insoupçonnée.

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Tout est résumé dès l'ouverture du film de Patrice Chéreau. Ceux qui m’aiment prendront le train débute dans une sorte de chaos. Dans une gare, des individus errent et semblent perdus. Ils s’agitent pour s'inscrire dans une sorte de ballet mécanique à la finalité abstraite. De plus, un mort s’exprime depuis l’au-delà et sa voix nous parvient en off, forcément. Nous comprenons que l’enterrement du défunt, l'homme qui nous parle, réunit tous les membres d’une famille. Ils sont contraints de prendre, ensemble, un train. Le montage saccadé ne s’attarde sur personne en particulier mais l’enchevêtrement de plans très courts dresse en creux le portrait d’une situation familiale pour le moins tendue. Tous ont un rôle, comme dans toutes les familles. Tous ne supportent pas ou plus ce rôle. Tous tentent de briser cette logique qui veut qu’un individu se rapporte à une fonction ou à une image singulière qui ne correspond peut-être pas tout à fait à sa nature profonde.

La voix-off du mort accompagne les étapes du trajet. C’est la voix de Jean-Louis Trintignant. Elle canalise les énergies, positives ou négatives, qui animent les personnages. On sent la mise en scène. Le mort est-il bien mort ou, comme dans un roman d’Agatha Christie, se jouerait-il des êtres en fomentant un futur jeu de massacre ? Le suspens n’est pas si long. Tout est orchestré d’outre-tombe avec pour finalité l'espoir de libérer les affects et d’instaurer un semblant de normalité dans les rapports entre ces individus.

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Le trajet des vivants débute. Le défunt/démiurge continue d’agir puisque les membres de la famille sont conduits en train vers une destination à laquelle, sauf incident, ils ne se soustrairont pas. Les comédiens jouent leur rôle, les membres de la famille sont prisonniers. À moins que ce ne soit l'inverse. Ils ne peuvent influer sur la situation qui convoque le rassemblement familial. Le train prolonge l’idée d’introspection initiée par la voix off : il contribue à propulser sur le terrain du fictionnel les personnages de la même manière qu’il permet au spectateur, par l’intermédiaire du travelling géant qu’il constitue, de se laisser entraîner dans une dramaturgie chorale.

L’autre démiurge mène sa barque ou son train. Chéreau est habile. Ses personnages explorent une palette de sentiments auxquels le spectateur peut se raccrocher. Ils s’aiment, se haïssent (ce qui revient à peu près au même), ils s’agressent, s’évitent ou s’ignorent jusqu’à ce que le train arrive à destination. Là, le mouvement cinématographique (le train/travelling) cède le pas au théâtre. L’artifice reprend ses droits. Chéreau a une idée de génie. Il fait intervenir un nouveau personnage que personne n’attendait, celui de Vincent Pérez. Son apparition relève du fantastique ou presque. Il n’est ni homme, ni femme. Il est un ange sur-sexué qui a pour fonction d’endosser et d’apaiser les souffrances. Il est aussi un ange qui, fidèle à la tradition, annonce un bienfait. En l’occurrence, une réconciliation possible. Il est le trait d’union littéral entre tous les membres de la famille. Il absorbe les désirs et les peines. Il est la raison d’être du film.

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On retrouve dans ce glissement scénographique du mouvement (le cinéma) vers la théâtralisation du microcosme familial un questionnement qui traverse toute l’œuvre de Chéreau. Comment l’homme de théâtre peut devenir un homme de cinéma ? Ceux qui m’aiment prendront le train apporte un élément de réponse à l’hypothèse formulée par le cinéaste. Chéreau fait le choix des origines de l’art cinématographique. Il décide d’étendre au processus créatif qui est le sien quelque méthode appliquée par le cinéma pour se distinguer des arts qui lui ont permis d’émerger, notamment du théâtre.

Chéreau, dans Ceux qui m’aiment prendront le train, choisit de se servir des acteurs. De ce qu'ils lui mettent à disposition. De cela, Chéreau en extrait certaines substances. Il extirpe ses acteurs d’une scène pour les propulser dans une situation inconfortable, dans un mouvement (le train et la métaphore du travelling) avant d’investir des espaces sédentaires qui rappellent la fixité scénique du théâtre. Ceux qui m’aiment prendront le train a donc le charme et la fulgurance de l’intégrité intellectuelle de son auteur. C’est beaucoup.

L'image du Blu-ray de Ceux qui m’aiment prendront le train est conforme à la qualité de la collection Héritage de TF1 Studio : c'est excellent.

Côté complément, nous trouvons un entretien accordé par Patrice Chéreau à la sortie du film. Le contenu est satisfaisant puisque Chéreau, comme il en avait l'habitude, témoigne de lucidité et n'est pas avare de propos quant à ses intentions de mise en scène.

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Crédit photographique :

©TF1Studio

© TELEMA - LE STUDIO CANAL + - FRANCE 2 CINEMA - FRANCE 3 CINEMA - AZOR FILMS / 1997

Suppléments :

Interview de Patrice Chéreau enregistrée lors de la sortie du film (18 min)

Le film est logiquement accompagné d'un livret (auquel nous n'avons pas eu accès) composé d'une préface de Pascal Greggory, et d'un entretien avec Danièle Thompson

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