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Journal de la Petite Lumière 2018 - Première Journée

Publié par - 15 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

Ça y est. La musique se coupe. Le portable est éteint. La lumière s’atténue jusqu’à disparaître. L’imperceptible ronronnement du projecteur caresse les oreilles attentives. C’est le top départ pour ce nouveau Festival Lumière. C’est à nouveau l’occasion de faire un voyage dans le temps et l’espace installé dans les salles obscures jouant leur rôle de fenêtres magiques. Nous sommes dans une bulle et coupés du monde extérieur. Sous le regard de la célèbre actrice Jane Fonda, il est temps de s’ouvrir à de nouveaux horizons avec une sélection d’œuvres célèbres à redécouvrir ou, au contraire, de curiosités méconnues à expérimenter, à commencer par Henri Decoin.

La toute première séance du festival est dédiée à ce célèbre réalisateur français avec une version tout juste restaurée de Non Coupable avec Michel Simon et Jany Holt. Une avant-première mondiale permettant aussi la révélation de la seconde fin qui n’avait jamais été projetée et qui offre une toute autre lecture du film de Decoin. Sorti en 1947, Non Coupable nous narre la lente métamorphose d’un sympathique médecin de campagne, un peu trop porté sur la bouteille, en tueur en série. Dès les premières scènes, on reconnaît l’influence des Films Noirs américains sur Non Coupable. L’enquête policière, le jeu avec les ombres et même les fameux trench-coats nous rappellent ce style si influent.

Mais Decoin en reprend les caractéristiques et les modélise à la française en situant Non Coupable dans la droite lignée de Clouzot et son fameux Corbeau. Plutôt qu’explorer les bas-fonds d’une grande métropole, Decoin nous plonge dans la campagne française pour découvrir ce qui se dissimule dans l’esprit d’un homme rondouillard à l’air jovial. Non Coupable se présente comme un film noir à la française et nous terrifie en révélant la présence du Mal dans le quotidien. Derrière le visage d’une personne insoupçonnable, un monde ténébreux et inquiétant sommeille. Mais le spectateur sait de quoi le petit médecin est capable puisqu'il a vu avec quelle ingéniosité et quelle froideur il perpétue ses crimes. Ainsi, son ombre semble toujours flotter sur les autres personnages et effraie les spectateurs qui devinent leur destin au moment où les protagonistes attirent l’attention du tueur. Les deux facettes du docteur se devinent d’ailleurs dans la mise en scène. Le gai luron est filmé au même niveau que les autres. Decoin prend le parti de souligner combien l'homme, quel qu'il soit, peut soudainement devenir un monstre. Le médecin semble même régulièrement en retrait. Mais lorsque la bête se réveille, les contre-plongées et les ombres dominent la stylistique de Non Coupable. Les ténèbres semblent être son repaire dont elle sort pour commettre ses desseins diaboliques.

Une belle découverte pour celui qui ne connaissait que de nom ce réalisateur. Mais à peine se remet-on des émotions que suscite Non Coupable qu’il faut se préparer pour la prochaine séance. On quitte la France pour Hollywood et un autre genre de référence du cinéma : le Western. En plus de rendre hommage à Sergio Leone, le Festival Lumière 2018 nous propose de revisiter La Horde Sauvage de Sam Peckinpah.

Sorti en 1969, La Horde Sauvage nous raconte les aventures d’une bande de criminels dans l’Ouest américain en 1913. Leur but est de réussir un dernier grand coup avant de tirer leur révérence. Et ce sans se faire prendre par des chasseurs de primes ou se laisser escroquer par le général mexicain Mapache. Au-delà de ce synopsis au premier abord classique pour un western, Peckinpah désarticule le genre entier en inversant les codes et valeurs qui lui sont habituellement liés par une certaine mythologie hollywoodienne. Les agents de l’ordre, shérifs et militaires, ne sont pas présentés sous un très beau jour. Incompétents, sadiques, décadents et plus prompts à tirer sur la foule et leurs compagnons qu'à faire respecter la loi, ils sont à l’opposé de ce qu’ils sont censés être. Tout comme les bandits qui font preuve de plus de retenue, discipline et camaraderie que leurs opposants.

De plus, toutes leurs actions se déroulent sous les yeux d’enfants qui sont influencés par elles. À travers cette symbolique, Peckinpah explore les origines du lien étroit qui associe l’Amérique à la violence. Les enfants qui grandissent au milieu des soldats mexicains ou dans les villes américaines semblent au summum de la joie face à la souffrance des autres. À l’image de la première scène où des jeunes rient des scorpions dévorés par les fourmis rouges. Et comme ce sont eux qui bâtissent l’avenir, leur comportement est des plus inquiétants.

Ce film mérite ainsi bien sa qualification de Western Crépusculaire. Il s’inscrit dans une déconstruction du genre marquant la fin d’une certaine période de l’histoire Hollywoodienne tout en plaçant son récit à la fin du mythique Far West. En situant son récit quelques années avant la Première guerre mondiale, le réalisateur n'hésite pas à évoquer l'horreur de la Grande Guerre avec des scènes de batailles d’une grande violence. Le récit apparaît comme une conclusion de la Conquête de l’Ouest, une transition prédisant les horreurs à venir. Quant à sa réalisation qui avait scandalisé les anciens acteurs de l’âge d’or hollywoodien, tel un certain John Wayne, elle avait fasciné d’autres personnalités plus jeunes comme Martin Scorsese par exemple. Ce film se place ainsi à une période charnière dans l’histoire du cinéma en introduisant le Nouvel Hollywood.

Ainsi s’achève ma première journée de Festival. Avec un tel départ, on a hâte de voir ce que nous réserve le lendemain.

Crédit photographique :

La Horde sauvage  ©D.R.

Non Coupable : ©TF1Studio/Les Acacias

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