Journal de la petite lumière 2018 - Quatrième journée
Publié par Eric Scheiber - 18 octobre 2018
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Notre rencontre avec Richard Thorpe se prolonge. Cette fois, rendez-vous avec un film d’espionnage sorti en 1943 : Un espion a disparu (Above Suspicion). Encore une fois, naît l’envie de comparer Un espion a disparu à ce qui se fait aujourd’hui dans le genre. On pense à James Bond, Jason Bourne, Mission impossible et bien d’autres pour n’évoquer que les plus récents. Le genre permet différentes approches qui varient selon le désir des auteurs. Il est donc intéressant de voir le chemin parcouru. Notamment avec ce film-là.
Le film d’espionnage était très répandu à cette époque, Seconde Guerre Mondiale oblige. Le phénomène touchait tous les domaines de création (roman, théâtre et bien sûr le cinéma). Quelques réussites notoires nous viennent immédiatement à l'esprit comme les deux films d’Hitchcock : L’homme qui en savait trop (1934) et Les 39 marches (1935). Mais Thorpe n’est pas Hitchcock. Il est un Yes-Man dirait-on aujourd’hui. Nous pouvons nous demander alors comment, en période de guerre, Thorpe avait réussi à concilier la rigueur que le sujet imposait et l’idée de divertissement qui traverse toute son œuvre.
Richard Thorpe construit le récit d'Un espion a disparu autour des pérégrinations d’un couple de jeunes mariés anglais. Nous sommes en 1939, Monsieur et Madame Myles se retrouvent engagés par les services secrets britanniques pour retrouver un espion qui ne donne plus de nouvelles. Pour atteindre leur but, ils devront suivre une série d’instructions mystérieuses qui les mèneront de Paris en territoire allemand.
Loin du carrousel d’explosions et de fusillades qu’offrent les films d’espionnage récents (cf Fallout), l’accent est mis ici sur la paranoïa des personnages et leur ingéniosité pour déchiffrer les codes et énigmes qu'ils doivent résoudre pour atteindre leur objectif. Dans Un espion a disparu, la suspicion est de mise car les espions allemands sont plus proches qu’on ne l’imagine. C'est bien connu, ils sont partout.
Frances Myles, l’épouse, fait preuve d’un enthousiasme communicatif lorsqu’elle découvre qu’elle et son mari, Richard, joueront les espions. Mais lorsqu’il faut transmettre un message secret au Café de l’Opéra, le couple prend conscience de la véritable nature de la situation. Les personnages rient nerveusement. Nous passons de la comédie légère à la Tragédie qui touche le monde. Le rire exorcise les craintes et les peurs des deux époux dans le contexte qui est le leur mais il traduit également le sentiment angoissant qui avait gagné le monde libre. Les visages fermés et sérieux de leurs contacts annoncent la gravité de la situation qui les dépasse complètement. À l’instant où le couple pénètre en Allemagne et rencontre la Gestapo, l'excitation enfantine est définitivement obsolète. Le temps de l’inquiétude est venu.
On pourrait être surpris par une telle évolution des personnages. Surtout dans un film se voulant divertissant. Nous sommes loin de figures héroïques qui affrontent courageusement de cruels nazi. Les protagonistes et antagonistes sont des humains comme les autres avec leurs défauts et leurs inquiétudes.
Le propos de Richard Thorpe, en ajustant le conflit à hauteur d’hommes, est très efficace. On ne peut éviter d’effectuer un parallèle entre les personnages d’ Un espion a disparu et les spectateurs de son temps. L’engagement est certes manifeste chez Thorpe mais il échappe au manichéisme d’une œuvre de propagande. Pour une œuvre de Faiseur, cela ressemble presque à un parti-pris d’Auteur. Le Yes-Man serait-il plus complexe qu’on ne l’imagine ?
© Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)