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Lumière 2018 - The Other Side Of The Wind

Publié par - 18 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

C'est avec surprise et curiosité que le public apprenait la diffusion en avant-première de deux productions Netflix.  Au regard des ses intransigeances de diffusion, la célèbre plateforme d'accès VOD n'a vu aucun de ses films retenus par le Festival de Cannes (pour la plus grande joie de la Mostra de Venise). Mais, curieusement, elle a validé quelques dérogations pour le Festival Lumière. Mais comment donc ? La réponse tient en une phrase : il n'y a pas de compétition au Festival Lumière. Les sociétés de SVOD peuvent venir à Cannes, mais à l'écart de la compétition. Cette année, donc, les heureux festivaliers venus courir les séances dans le Grand Lyon ont la possibilité de voir deux œuvres netflixiennes réalisées par deux réalisateurs reconnus et non des moindres. Alfonso Cuarón vient présenter  Roma (Lion d'or à Venise) et, autre projection très attendue, celle de The Other Side Of The Wind, célèbre réalisation inachevée d'Orson Welles. La projection du film de Welles aurait dû être accompagnée par Peter Bogdanovich, acteur et ami de Welles auquel ce dernier avait demandé de terminer The Other Side Of The Wind. Malheureusement, Bogdanovich, souffrant, n'a pu venir à l'Institut Lumière et sa Masterclass a même été annulée.

Quel est ce film d'Orson Welles qui ne sort qu'en 2018, 50 ans après le début de sa production et bien après la mort de son réalisateur (Welles est mort en 1985) ? The Other Side Of The Wind est l'une des plus grande arlésienne du cinéma américain. Le tournage du dernier film annoncé d'Orson Welles à l'air d'une superproduction au casting 4 étoiles : John Huston, Peter Bogdanovich, Susan Strasberg et la dernière compagne du cinéaste, Oja Kodar. L'aventure débute au début des années 70 et, à cause de divers problèmes financiers et juridiques, le tournage ne fût bouclé qu'en 1976. Le montage était laborieux. Orson Welles a souvent défait et redéfait le film, n'arrivant jamais à obtenir ce qu'il souhaitait. Lorsque Welles meurt en 1985, seules 40 minutes du film sont montées. Dès lors, de nombreuses compagnies ont annoncé être en mesure de terminer le montage de The Other Side Of The Wind. Trente ans après la mort du réalisateur, le projet était au point mort, les rushes disponibles ne permettaient pas d'obtenir un résultat convaincant. Les choses changent début 2017 lorsqu'à Paris sont découvertes une centaine d'heures de négatifs du film avec des notes. Un nouveau travail de montage et de restauration est lancé, le bouclage du film est rendu possible. Notons qu'en parallèle de la projection de The Other Side Of The Wind, un documentaire Netflix sur le film est diffusé pendant le festival : Ils m'aimeront quand je serai mort.

Le film n'a rien à voir avec les anciennes productions de Welles. Le spectateur est plongé dans un faux documentaire sur les derniers jours d'un réalisateur tumultueux, Jake Hannaford (John Huston), essayant de boucler son dernier film. Afin d'être crédible, dans son omniscience, la présence constante de plusieurs caméras est justifiée par la fête d'anniversaire du réalisateur. Une fête regroupant les acteurs du dernier film dont le tournage n'est pas fini, les journalistes, les étudiants en école de cinéma, les amis du réalisateur. L'introduction est déstabilisante, le montage est très rapide, les plans s'enchaînent, le cadrage est bancal, les dialogues sont incessants. Chaque ligne de dialogue introduit un nouveau personnage, parle d'un sujet sans rapport avec le plan d'avant. Bref, le spectateur est perdu, pendant les vingt premières minutes en tout cas. En réalité, l'exercice proposé est vraiment habile, le spectateur a la sensation de partager l'effervescence d'un studio Hollywoodien au milieu d'une grande production. Lorsque les invités arrivent au Ranch du réalisateur Jake Hannaford, le spectateur en sait déjà un peu plus sur les personnages importants et le propos de l'intrigue.

 

Sans dévoiler l'essence de la dramaturgie, notons un point important : il y a un film dans le film. Nous assistons à une projection organisée pour les invités d'Hannaford. À plusieurs reprises la projection est stoppée. De ce qu'on en voit, le travail n'est pas fini. Des plans n'ont pas encore été tournés, le script repose sur de l'improvisation et l'acteur principal est absent. Durant la production de The Other Side Of The Wind, Orson Welles était en pleine recherche d'idées visuelles novatrices. La plus évidente étant la pluralité des formats utilisés pendant le tournage du film. Le film passe du cinémascope 2:35:1 au 16/9 (1:85:1), il est tantôt en couleur, tantôt en noir et blanc. L'effet du patchwork de matériel brut voulu par l'aspect documentaire est tout à fait raccord. Le film est intrigant par son sujet et son histoire. The Other Side Of The Wind se transforme petit à petit en un film sur Orson Welles filmant sa propre situation. Jake Hannaford est reconnu, il aimerait boucler son dernier film, il a des problèmes d'argent…Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est absolument pas fortuite. Le choix de John Huston dans le rôle de Jake Hannaford n'est d'ailleurs pas anodin non plus. Huston aussi affiche certains traits communs avec son personnage.

 

En définitive The Other Side Of The Wind n'est en rien un film maudit qu'il faudrait éluder lorsque l'on parle de la carrière d'Orson Welles. Ce n'est factuellement plus possible puisque désormais, le film existe. Bien qu'un brin novateur et expérimental pour l'époque, il porte l'essence de son réalisateur et mérite le même traitement que le reste de l’œuvre wellesienne. Souhaitons lui simplement d'être diffusé plus massivement sur grand écran lors de rétrospectives ou événements car sa place est dans un cinéma avant d'être un produit télévisuel.

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