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Journal de la petite lumière 2018 - Cinquième jour

Publié par - 19 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

L’Histoire du cinéma est au centre du Festival Lumière. Les promesses d’un voyage atemporel rythment le quotidien. Aujourd’hui, notre parcours cinéphilique est déterminé par deux des stars du festival : Richard Thorpe et Peter Bogdanovich. Ce dernier a dû malheureusement annuler sa Masterclass peu de temps avant l’heure. Mais qu’à cela ne tienne, nous attendons avec impatience le visionnage de son documentaire intitulé Directed by Ford.

Une fois dans la salle, on se sent comme des élèves au début d’un cours important. Le sujet traité, on s'en doute, n’est autre que John Ford. L’un des plus grands. La mémoire des cinéphiles est imprégnée de ses œuvres. Les Raisins de la colère, La prisonnière du Désert, La chevauché fantastique, L’homme qui tua Liberty Valance ou bien Qu’elle était verte ma vallée, par exemple, sont inscrits durablement dans la panthéon de tout cinéphile. Que l'on aime Ford ou pas, il est incontournable. Difficile de trouver les mots pour résumer et mesurer convenablement l’influence de Ford sur l’ensemble du cinéma. Judicieusement d'ailleurs, le documentaire de Bogdanovitch s’ouvre sur une citation explicite de Clint Eastwood : “Pour les cinéastes de ma génération, Ford est un peu comme notre grand-père.”

Directed by Ford se poursuit par une série de témoignages de cinéastes connus. Tous énoncent des anecdotes entrecoupées d’extraits de films. En fil rouge, un narrateur, Orson Welles en personne. Ce principe des anecdotes rejoint quelque part une idée qui traverse tout le cinéma fordien : la chronique et le trivial servent à appréhender la grande histoire. Dans Directed by Ford, il n’est jamais question de détails très techniques. On parle plutôt de petits événements personnels qui rendent compte de l’impact de Ford sur les générations de cinéastes qui ont suivi. Parfois, ces micro-événements montrent combien la vie intime du cinéaste inspira l’œuvre.

On rit en écoutant la rencontre entre Ford et le jeune Spielberg. On s’émeut devant le coup de cœur secret qu’a eu le réalisateur pour une de ses actrices. On est intrigué en apprenant qu’il est probable que la vie de famille tumultueuse de Ford soit à l’origine du rôle central de la famille dans ses films.

Au fur et à mesure, le géant du cinéma devient plus humain. Nous sommes attendris par John Wayne ou Katharine Hepburn lorsqu’ils parlent des petites manigances fordiennes mises en place pour tirer le meilleur de ses comédiens. Pour comprendre la pudeur de Ford qui jouait à ne pas être ce qu’il était réellement, à savoir un cinéaste majeur, il faut voir la scène où Ford en personne apparaît devant Monument Valley, face aux mesas titanesques. “Comment êtes-vous arrivé à Hollywood ?” demande Bogdanovich. John Ford répond avec une sorte de nonchalance qui le caractérisait : “Par le train.”

Après cela, une nouvelle rencontre avec Richard Thorpe a lieu. Cette fois, il s’agit d’une plongée dans les rues sombres du New York du début du XXème siècle avec La Main noire. Fidèle à lui-même, Thorpe maîtrise son sujet. Il arrive une nouvelle fois à concilier efficacité et simplicité de mise en scène avec l’essence du genre auquel le film se rattache. La Main noire raconte les mésaventures d’un jeune immigré italien, Roberto Columbo (Gene Kelly), dont le père a été tué par La Main noire (mafia). Roberto Columbo n’aura de cesse de tenter de faire disparaître cette organisation du crime qui règne, en bon système mafieux, sur la ville par la violence et le chantage.

Sorti en 1950, La Main noire n’est pas une œuvre cinématographique révolutionnaire. Le Film Criminel américain a accouché du Film Noir depuis près de 10 ans déjà lorsque La Main noire sort sur les écrans. Mais, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, on perçoit quelques changements qui agissent en profondeur dans la société américaine et qui se répercutent sur le cinéma. Déjà, légère digression avec la tradition du Noir, plutôt qu’un enquêteur chevronné parcourant les bas-fonds de sa métropole en quête de justice, on a ici pour personnage principal un homme du peuple avide de vengeance. Ensuite, l’importance donnée aux plans des rues bondées de Little Italy, ses petits commerces et ses piliers de bar mais aussi les plans fixes sur des appartements surpeuplés donnent à La Main noire des allures de film social dans une veine proche de celle des polars réalistes de la fin des années 40 comme Appelez Nord 777.

Roberto Columbo (sacré nom pour quelqu’un qui cherche la vérité) découvre au fil du temps les origines de cette mafia et les raisons du silence des victimes, notamment grâce aux réflexion du vieux policier Louis Lorelli (J. Carrol Naish). Celui-ci évoque l’Italie avec nostalgie, les rêves de richesse des gens pauvres partis pour l’Amérique. Mais il ne dissimule rien non plus de l’opportunité offerte aux malfaiteurs de quitter l’Italie pour s’offrir une nouvelle vie en Amérique. La Main noire transgresse donc les limites codifiées du genre criminel et propose une véritable réflexion sur la société et les individus qui la composent.

Gene Kelly, jusque-là, n’était connu que pour ses prestations remarquées dans des Comédies Musicale. Mais il savait qu’il devrait un jour se frotter à des rôles plus dramatiques. C'est ainsi qu'il se lança dans l’aventure de La Main noire. Ce film est, par ailleurs, presque un témoignage sur les changements de mentalité qui allaient s’emparer d'Hollywood pour permettre la production d’œuvres plus engagées socialement. Richard Thorpe, avec La Main noire, démontre, une fois de plus, sa faculté d’adaptation à tous les sujets, à tous les genres et à toutes les modes.

Crédit photographique :

La main noire ©MGM

Directed by John Ford ©Warner Bros.

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