Journal de la petite lumière 2018 - Sixième jour
Publié par Eric Scheiber - 20 octobre 2018
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Aujourd’hui, deux films avec meurtres et enquêtes au programme. Tous deux furent réalisés par Richard Thorpe. L’un est adapté d’une pièce de théâtre britannique, l’autre est le quatrième volet d’une licence américaine. Le premier film, La force des ténèbres (Night must fall), est sorti en 1937. Il est basé sur une pièce du même nom montée et jouée deux ans plus tôt. Le film peint le parcours sordide d’un tueur psychopathe, Danny (Robert Montgomery) qui réussit à intégrer l’entourage de la vieille Mme Bramson (May Whitty) dans le but de lui prendre de l’argent. Celui-ci est prêt à tout pour atteindre son but et manipule toutes les personnes qui peuvent lui permettre d’atteindre son objectif y compris son principal obstacle : Olivia Grayne (Rosalind Russell), la nièce de Mme Bramson.
De son origine théâtrale, le récit conserve l’idée de huis-clos. Les événements se déroulent majoritairement à l’intérieur de la maison. Un cadre idéal puisqu’il insiste sur la notion d’enfermement. L'impression claustrophobique joue sur les différents protagonistes obligés de se confronter les uns aux autres et, ainsi de révéler une part de leur psychologie. Cela convoque des situations aussi comiques qu’angoissantes. Le réalisateur joue avec le spectateur. Il dilue les informations qui sont transmises de manière éparses afin de nous contraindre à spéculer sur l’issue des faits. Nous observons un jeu de massacre se mettre en place.
Lorsque Danny croise le chat noir de la maison pour la première fois, il le jette sur le canapé sans ménagement. Il n’a que faire de la bestiole. Mais une fois qu’il découvre l’amour de la vieille dame pour son animal, il le caresse et prétend adorer les bêtes. D’une simple information offerte au spectateur, Thorpe introduit une dose d’humour noir et, en même temps, instaure, par la gestuelle ou les regards, un climat anxiogène. L’information ainsi émise couvre une palette de sensations qui mènent à un constat troublant : Danny est un menteur génial et un tueur redoutable. Nul ne semble à l’abri de cet homme, qui sait attirer la sympathie des autres y compris celle du spectateur.
Autre film du jour, L’introuvable rentre chez lui. Cette fois-ci, Thorpe avait pour mission de réaliser le cinquième opus des aventures du détective Nick Charles (William Powell) et de son épouse Nora (Myrna Loy). Tous deux sont les protagonistes principaux de la licence Thin Man initiée au cinéma par Van Dyke en 1934 d’après les écrits de Dashiell Hammett, l’auteur du livre, Le Faucon de Malte, rendu célèbre par l'adaptation cinématographique qui en fut faite. Thorpe devait ainsi se fondre dans le moule d’une franchise déjà bien implantée dans le paysage hollywoodien.
L’histoire qui nous est racontée ici est des plus classiques. Nick Charles est un homme riche et intelligent qui résout, avec charme et courage, des affaires criminelles que la police n’arrive pas à solutionner. Ici, l’humour est plus prégnant que dans La force des ténèbres et se base sur des quiproquos et des pirouettes typiques de la Screwball Comedy. Même l’animal de compagnie des Charles, un chien nommé Asta, participe au déploiement d’un humour irrésistible (voir la scène où il nargue ses maîtres lorsque ceux-ci tombent à terre en le pourchassant).
Quant à l’enquête, elle se résume, dans son déroulement, à une accumulation d’indices précédant une grande révélation finale. Une structure bien connue des récits policiers. D’ailleurs, Thorpe revendique ouvertement une inspiration populaire pour son film lorsqu’il fait lire à Nick un Pulp Magazine au sommaire composé d’histoires de détectives. Ce devant quoi Nora déclare que son mari “fait ses devoirs”.
Au final, Thorpe fait encore preuve d’une adaptabilité impressionnante. Il saisit les éléments importants de l’histoire, ce pour quoi les spectateurs vont voir ce genre de film en particulier et utilise des astuces de mise en scène qui nourrissent le propos du film. Un huis-clos psychologique impose de donner plus d’importance aux plans rapprochés afin de créer de la tension même lorsque le tueur n’est pas présent. Une histoire de détective américaine publiée dans un magazine populaire demande un traitement plus léger et teinté d’humour avec un personnage central charismatique que les spectateurs peuvent admirer.
Richard Thorpe ne semble pas apporter d’éléments de mise en scène qui lui sont propres d’un film à l’autre. Mais la différence de traitement et sa capacité à piloter des récits aussi disparates appartenant pourtant au même genre cinématographique soulignent encore plus sa polyvalence, ce qui n’est pas la moindre des qualités.
Crédit photo : Thin man goes home © 1945 - Warner Bros. All rights reserved.