Journal de la petite lumière 2018 - Septième jour
Publié par Eric Scheiber - 21 octobre 2018
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Après avoir passé pas mal de temps avec Richard Thorpe, varions un peu les plaisirs. Aujourd’hui, pas de film Hollywoodien. Nous partons sous des latitudes plus exotiques. Nous irons au Mexique pour Roma d'Alfonso Cuarón mais, avant cela, d'abord un petit tour en Chine avec Raining in the mountain de King Hu, cinéaste reconnu internationalement pour ses Wu Xia Pian (Films chinois de chevalerie) aux tonalités particulières. Avant le film, les spéculations vont bon train. On s'attend globalement à une suite de bagarres chorégraphiées dans des paysages grandioses. Puis, on se rend vite compte que là n’est pas le but du film et que les intentions de l'auteur ne se limitent pas à mettre en scène des combats. Tout démarre avec des paysages splendides (comme prévu) où des personnages, écrasés par la démesure tellurique, avancent vers une destination encore inconnue.
Ensuite l’intrigue de Raining in the mountain se met en place. Elle rassemble diverses personnes dans un temple venues assister à la passation de pouvoir d’un grand maître bouddhiste. C’est du moins ce que soulignent les apparences. Mais, très vite, les ambitions personnelles de chacun se révèlent, le vernis craque. Un riche homme d’affaire et ses complices, voleurs, ambitionnent de voler un précieux parchemin caché dans le monastère. Arrivent ensuite un général et son bras-droit qui cherchent à manipuler les moines pour placer le prêtre de leur choix à la tête du temple. Complots et confrontations se déroulent alors dans le sanctuaire pour s’emparer du précieux rouleau.
Il y a donc bien des combats. Mais ils sont peu nombreux finalement. Les mouvements chorégraphiés prêtent à sourire. Si la virtuosité des combats sert une forme d'humour, c'est que les scènes d'action nourrissent une critique sur les comportements humains : quel genre de film inviterait à combattre un homme qui trébuche comme un enfant ? C’est alors qu’on comprend que le but du film est justement de ridiculiser ces personnages en quête d’une richesse matérielle. Ils sont à l’opposé des maîtres qui se moquent de leur intérêt pour un vieux papier.
Le monastère lui-même est un symbole. Avec des plans qui se succèdent sans permettre au spectateur de se repérer avec précision, les lieux deviennent un espace mouvant qui s'adapte aux comportements de notre micro-comédie humaine. Le temple se mue très vite en labyrinthe, symbole par excellence de l’introspection. On est donc dans une histoire épique qui se structure comme une fable. Mais cette fois, la morale respectera quelques principes bouddhistes. Le profane prête à rire car seule la voie du Bouddha compte réellement. King Hu réalise ainsi avec Raining in the mountain un film protéiforme à la fois véritable conte bouddhiste mais aussi une fable et un récit initiatique. Vanitas, vanitatum tout n'est que vanité sous le soleil.
Autre film, autre genre. Dans une autre salle pleine à craquer, c'est au Mexique en 1970 que nous débarquons. Il s'agit d'y rencontrer Alfonso Cuarón et son film très personnel : Roma. Si Roma à remporté le Lion d’Or à Venise, c’est forcément pour une bonne raison. L’histoire qui nous est contée est celle d’une gouvernante du nom de Cléo (Yalitza Aparicio) travaillant pour la famille d’un médecin qui réside dans le quartier de Colonia Roma.
Le choix du noir et blanc convoque le passé, voire la nostalgie. Cuarón évoque son enfance à travers Roma. Il se veut alors naturaliste. Il s’attarde sur les tâches quotidiennes de Cléo et place des détails historiques en arrière plan (la campagne électorale, les manifestations). L'influence et l'ombre du collectif planent sur l'individu. L'extérieur s'invite dans l'intérieur. Ce n’est pas sans rappeler John Ford, d’une certaine manière. Roma ne cherche en rien à dissimuler son penchant social : la lutte des classes et la peinture des interactions entre les différentes catégories de la société constituent la grille de lecture la plus évidente pour approcher la profondeur du film. Mais on saisit également que Cuarón cherchait à rendre hommage aux femmes croisées dans son enfance. Un Mexicain ferait donc un film féministe ? Sans doute. Les personnages féminins traversent de terribles épreuves à cause des hommes qui les entourent. Le spectateur ne peut que compatir et admirer leur force de caractère. Roma sonne juste. Roma tombe à pic. Roma est un plaidoyer pour la cause féminine. Vive Cuarón et vivent les femmes !
Crédit photographique :
©Splendor Films
©Netflix