Splitscreen-review Image de Les dames du bois de Boulogne de Robert Bresson

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Les dames du bois de Boulogne - TF1 Studio

Publié par - 26 octobre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Nous évoquions dans un précédent article consacré à Robert Bresson l’approche singulière qui est la sienne quant à la gestion de l’impact des techniques sur le film. L’édition chez TF1 Studio de l’un de ses films les plus célèbres, Les dames du bois de Boulogne, vient à la fois confirmer l’hypothèse et, en même temps, lier ce processus à une réflexion profonde sur la nature du cinéma, véritable langage artistique autonome aux yeux de Bresson. À ce titre, on notera que Les dames du bois de Boulogne apparaît comme une première rupture dans le cinéma français et augure celles, futures, de la Nouvelle Vague.

Pour Bresson, le cinéma et sa conception se doivent d’appartenir à une tangibilité vérifiable par le spectateur. Rien ne doit s’interposer entre la pensée d’un cinéaste et ce qu’il exprime par l’intermédiaire du langage filmique. La réflexion sur une problématique et les intentions formelles se doivent d’être concrétisées par une mise en forme qui est la matière même du film. Donc, chez Bresson, pour ne pas créer d’interférence entre la diffusion d’une idée et la réception de celle-ci par un spectateur, il faut limiter les effets visibles de toutes les techniques qui entrent dans la fabrication d’un film.

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Parmi les artifices que Bresson tente de limiter, citons ce qui relève du décor, des éclairages, des dialogues et, bien sûr, du jeu des comédiens. Lorsqu’on regarde aujourd’hui Les dames du bois de Boulogne, sa réalisation est le reflet d’un manque évident de moyens techniques. En cause, les conditions de tournage délicates qui allaient affecter le résultat final (la France est toujours occupée et Paris subit les bombardements des Alliés, ce qui occasionne de nombreuses coupures d’électricité sans parler des restrictions imposées par l’occupant Nazi).

Un réalisateur est un individu qui doit être capable de s’accommoder de toutes les situations et de contourner les obstacles qui se présentent à lui afin de faire coïncider au maximum ses intentions avec la réalisation. De ce point de vue, Les dames du bois de Boulogne prouve, s’il en était besoin, que Bresson est, déjà en 1945, un grand cinéaste. Car le film, s’il témoigne de ses conditions d’existence et d’émergence, n’en constitue pas moins une ébauche de réponse aux interrogations formelles de son auteur. L’épure dont témoignent les décors est conjoncturelle, certes, mais il y a là, sans doute, l’origine d’une éradication de l’artifice qui ne cessera de s’exercer de film en film.

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Dans Les dames du bois de Boulogne, au-delà des limites fixées par les conditions de tournage, les décors sont en adéquation avec les personnages. Ils soulignent ce qui les distingue. Les appartements des deux principaux personnages féminins du film, Hélène (Maria Casarès) et Agnès (Elina Labourdette), figurent avant tout les transformations intérieures des deux femmes. Bresson minimise l’aspect décoratif des espaces (intérieurs ou extérieurs) pour mieux construire par la mise en scène (cadres, mouvements, éclairages et usage du son) un rapport physique et psychique entre les personnages et les lieux qui les accueillent. Ainsi, les liens créés permettent de limiter les effets de jeu et d’interprétation qui, selon le cinéaste, tendent plus vers le théâtre que vers la logique du langage filmique.

À ce sujet, nous le disions en préambule, le jeu du comédien soulevait questionnement chez Bresson. Il est indéniable que la confrontation entre les deux comédiennes principales du film rejoint l’essence même de cette problématique de l’interprétation ou du jeu. La différence entre Elina Labourdette (Agnès) et  Maria Casarès (Hélène) se mesure dans cette relation intérieur/extérieur qui peut définir le travail du comédien.

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En général, l’acteur, lorsqu’il entre dans un rôle, échappe à sa nature pour se transformer en quelqu’un d’autre. Pour schématiser, un phénomène d’extériorisation opère. Pour Bresson, c’est le phénomène inverse qui se doit d’agir. C’est-à-dire que pour créer une synergie entre les choses objectivement reconnaissables (mobiliers, décors extérieurs, véhicules, ville ou campagne, etc.) qui constituent son univers filmique et les comédiens qui œuvrent au milieu de ces choses, Bresson gomme les techniques de l’interprétation. Ce que Bresson recherche, c’est l’humain qui se dissimule sous la carapace de l’interprète pour qu’une concordance probante s’installe entre l’animé et l’inanimé. L’ambition est relativement simple à énoncer mais plus complexe à concrétiser : la recherche du vrai.

La vérité est affaire de point de vue. Il ne s’agit pas pour Bresson de définir un concept de vérité universelle. Pour lui, la vérité se traque dans le sentiment, dans l’intériorité de chacun. Dans Les dames du bois de Boulogne, c’est un peu la victoire du vrai sur l’artifice qui est en œuvre. Pour cela, Bresson n’hésite pas à bouleverser les conventions établies sur le statut de la vedette de cinéma qui n'endosse pas forcément le plus beau rôle du film.

L’acharnement d’Hélène (Maria Casarès) à nuire à Jean (Paul Bernard), qu’elle aime profondément, naît sans aucun doute de la prise de conscience que Jean en aime une autre pour des qualités ou sentiments qui sont inconnus à Hélène. Autrement dit, Hélène fait un constat terrible : Jean aime Agnès (Elina Labourdette) car il lui prête des qualités sentimentales qu’il n’a jamais vues chez aucune autre femme et encore moins Hélène. Agnès est vraie, intègre et sans calcul. Ce qui tranche radicalement avec le comportement d’Hélène qui joue en permanence avec les apparences. Bresson fabrique un cinéma soustractif, ce qui se vérifie, entre autre, par l’absence de jeu de ses comédiens. Paradoxalement, c’est en les désincarnant que le cinéaste humanise ses protagonistes.

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Les dames du bois de Boulogne amorce les orientations formelles à venir. Le cinéma de Bresson gagnera, au fil du temps, en radicalité. On pourrait d’ailleurs comparer les trajectoires individuelles des personnages du film et  les choix intentionnels du cinéaste qui s’affirmeront d’œuvre en œuvre. Bresson ne cessera de peindre avec toujours plus de vigueur des individus qui ne peuvent s’accomplir que lorsqu’ils acceptent d’éprouver leur humanité à travers le spectre de sentiments qui l’accompagnent.

Les dames du bois de Boulogne s’enrichit de ses propres limites, des contraintes de tournage et introduit la notion de modernité dans le cinéma français. Tout l’intérêt de cette remarquable édition Tf1 Studio se situe justement dans la possibilité d’assister à l’éclosion française de ce concept.

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D'un point de vue qualitatif, la copie présente sur le Blu-ray Tf1 Studio est absolument exemplaire. La restauration numérique magnifie l'usage du noir et blanc sans chercher à trahir l'âge du film.

Du côté des suppléments, Les dames du bois de Boulogne bénéficie d'un entretien accordé par Jean Ollé-Laprune qui revient sur les conditions de tournage et qui situe le film dans l'oeuvre de Bresson et dans le cinéma français de l'époque. Excellent module.

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Crédit photo : ©-1945-TF1-Droits-Audiovisuels

Splitscreen-review Jaquette du Blu-ray Tf1 Studio du film Les dames du bois de Boulogne de Robert Bresson

– Tourner sous l’occupation : entretien avec Jean Ollé-Laprune (27 min)
– Bande annonce originale

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