Premier film de Gilles Lellouche en solo, Le Grand Bain est une comédie qui s'est faite remarquer lors du Festival de Cannes 2018. Le Grand Bain nous raconte l’histoire de quelques quadragénaires en pleine crise existentielle (dépression, divorce, faillite…) qui se regroupent autour d’une passion commune : la natation synchronisée masculine. Très vite, par la force des choses, le groupe se retrouve au championnat du monde de la discipline pour y représenter la France. Bien que le film semble assez simple dans son intrigue, il reste néanmoins assez singulier dans son traitement non seulement au niveau des personnages mais aussi dans sa mise en forme qui ne manque pas d’audace.
En ce qui concerne les personnages, on notera le côté très hétéroclite du groupe incarné par de nombreux comédiens aux profils physiques et psychiques disparates. Cependant, deux caractéristiques gomment les différences entre les protagonistes : ils vivent tous une période complexe et ils sont tous étrangers aux canons esthétiques de notre temps. Par exemple, Bertrand (Mathieu Amalric) est dépressif, sans emploi depuis deux ans et exaspère sa famille ; Marcus (Benoit Poelvoorde) est un vendeur de piscine criblé de dettes et Thierry (Philippe Katerine) est un employé communal (chargé de l’entretien de la piscine) simple d’esprit au grand cœur qui se fait constamment ridiculiser.
Le rapport que les personnages vont entretenir avec l'activité sportive est révélatrice de leur état. La natation synchronisée est d’abord, ici dans Le Grand Bain, un support thérapeutique. Les huit compères s’entraînent avant tout pour échapper à leur triste quotidien et partager leurs déboires dans les vestiaires avec leurs compagnons d’infortune. Nous sommes plus proches d’un groupe de parole que d’un club sportif. La comparaison fonctionne également avec leur entraîneuse, Delphine, membre, elle, des alcooliques anonymes. Toujours à mettre au crédit de l’ambition de Gilles Lellouche, la déconstruction narrative qui opère au niveau de la présentation de tous les acteurs du récit : hormis l’histoire de Bertrand, on ne découvre la situation des personnages qu’après les avoir observés barboter dans la piscine. Cette immersion progressive dans la réalité de chacun, non sans humour, préserve Le Grand Bain d’un certain pathos. De la même manière, le parti pris rend les personnages sympathiques, voire attachants.
Le Grand Bain bifurque soudainement une fois l’inscription au championnat faite. L’effet thérapeutique de la natation s’estompe pour devenir un véritable défi. La compétition apparaît alors comme un tremplin pour surmonter les affres du quotidien. Une catharsis des plus originales. Autre qualité notable dans Le Grand Bain, sa mise en scène particulière. Sous ses airs de comédie franchouillarde, le film emprunte la voie d'une dynamique plus proche de celles que l’on trouverait Outre-Atlantique ou dans un travail dit « d’auteur ». Citons à titre d’exemple l’ouverture du film qui s’émancipe du cadre rectangulaire par l’usage de masques noirs ronds et carrés qui servent le propos du personnage narrateur.
Après cette introduction conceptuelle, un plan aérien d’exposition, virtuose, au-dessus d’un quartier résidentiel, enchaîne sur le réveil de Bertrand (qui semble subir son quotidien). Cette ouverture qui fait écho à American Beauty n’est pas anodine quand on découvre la suite de l’histoire. Ces huit quadras bien ancrés dans le XXIe siècle subissent le poids du quotidien et retrouvent, par l’intermédiaire de ce sport incongru, une raison d’être. Le Grand Bain lorgne aussi du côté de Claude Sautet lorsqu’il définit une camaraderie masculine qui affiche une forme de dignité qui se matérialise à travers la naissance d’ambitions nouvelles.
Ce schéma fonctionne tout au long du film. Sans doute parce que Le Grand Bain assume cette navigation entre les différentes tonalités qui le caractérisent : le comique des dialogues cohabite harmonieusement avec la forme et l’esthétique. En effet, quand bien même les nageurs endossent la responsabilité comique des situations définies par le scénario, l’esthétique de leurs prestations est en adéquation avec le chemin à parcourir et une estime de soi à retrouver. La juste mesure devient chose rare dans le cinéma de comédie et c'est tout le mérite de Gilles Lellouche que de réussir à crédibiliser les différentes ramifications narratives qui se déploient ici.
À défaut de penser que Lellouche révolutionnera le septième art, on admettra, non sans plaisir, qu’il réussit un film épatant en prenant le contrepied de la majorité des productions dites « comiques » étrangères comme françaises. Chapeau Monsieur Lellouche et quoiqu’on vous dise, sachez que, pour nous, Le Grand Bain est écrit, interprété et réalisé avec un talent certain. À bon entendeur.
Crédit photographique : Mika Cotellon©(2018) Chi-Fou-Mi Productions, Trésor Films et StudioCanal