Accueil > Bande dessinée > Batman White Knight
Depuis 1939, nombreuses ont été les versions dessinées de Batman. Toutes ont exploré diverses thématiques autour du chevalier noir en enrichissant sa mythologie au fil du temps. L’une de ces grandes thématiques est la relation entre Batman et le Joker. C'est d'ailleurs celle-ci qui est au cœur de Batman White Knight.
Batman White Knight est un comics de Sean G. Murphy, célèbre pour son style graphique ainsi que son cultissime Punk Rock Jesus. Depuis cette publication, Murphy n’avait plus endossé l'entière responsabilité d’une œuvre. L'auteur se cantonnait le plus souvent dans un rôle de dessinateur. Batman White Knight lui permet donc d’épouser de nouveau cette posture démiurgique. Il était donc intéressant de voir ce qu’un auteur, ayant tendance à garder la plume pour des œuvres plus personnelles, allait apporter au mythe du Batman.
Le principe premier de Batman White knight est simple et envisage un contrepied à l'histoire traditionnelle : que se passerait-il si le joker était "guéri" et se mettait en quête de sauver Gotham de la corruption et du Batman. Batman White knight va ainsi questionner la légitimité et les méthodes d’un Batman à bout de nerfs et violent face à un Joker assagi et repenti. L’histoire suit une logique qui alterne entre enquêtes, actions et révélations. La première chose qui marque en lisant White Knight, c’est le dessin. Le style noir et blanc de Murphy, inspiré de Jorge Zaffino, joue sur des contrastes très appuyés qui collent parfaitement à l’univers du Batman aussi bien visuellement que thématiquement.
À noter que ces jeux de contrastes se perdent inévitablement dans la version colorée de l’album quand bien même cette dernière compense par un travail sur les chromatiques des plus pertinents.
Fort d’un travail sur la composition très minutieux, Murphy arrive, en éliminant les nuances dans les intermédiaires, à représenter avec une grande lisibilité des scènes riches de détails graphiques.
Il suffit d'observer avec attention une planche de Murphy pour le constater. L’agencement et la dimension des cases, les jeux de cadrage et les compositions qui se répondent, leur superposition, le cheminement des bulles : tout est pensé pour rendre la lecture intuitive et ainsi parfaitement guider l’œil du lecteur parmi les nombreuses scènes et dialogues de l’ouvrage.
Au-delà de ce principe, assez original, l'histoire prend place dans une timeline auto-suffisante et totalement détachée des autres récits. Une sorte de parenthèse qui laisse une totale liberté à l’auteur. Ainsi, il n’hésitera pas à faire des choix assez osés pour apporter des touches réalistes et politiques au récit pour nourrir la mythologie de Batman. Ce dernier doit faire face à un combat auquel il n’est pas habitué : une lutte médiatique et sociale menée d’une main de maître par Jack Napier (anciennement le joker).
En parallèle, on retrouve un Batman ébranlé, usé, en conflit idéologique avec son entourage. Un Batman qui s’est peut être fourvoyé et dont les actes violents témoignent d’une usure morale et d’un passif qui lui pèsent, tout comme l’avenir qui se présente à lui. Murphy joue ainsi avec les codes et symboles propres au mythe de la chauve-souris. Il n’hésite pas à démythifier Batman et même Gotham en inscrivant le lieu, comme la narration, dans un champ plus contemporain et beaucoup plus réaliste.
Est-ce que les actes de Batman sont vraiment positifs pour Gotham ? Est-ce qu’ils profitent aux bonnes personnes ? Est-ce qu’il n’y a pas d’autres alternatives ? Quelle est la vraie place de Batman dans une société avec autant d’inégalités sociales ?
Gotham est un miroir des problématiques de nos civilisations. Cette cité l’a toujours été. La violence, le mensonge, l’inégalité entre les riches et les pauvres ont toujours constitué un ensemble de ressorts dramatiques qui permettaient de voir en la figure du Batman une extériorisation des maux des sociétés qui servent de décor aux aventures du personnage. Il est alors regrettable, seul bémol, que le climax de Batman White Knight soit trop évident et expéditif. La résolution express et prévisible des péripéties diminue l’impact des thématiques et des questionnements du récit. Heureusement que la conclusion, elle, reste maligne et laisse entrevoir une suite tout aussi captivante que ce premier tome.
Ces réserves n’entachent cependant pas la qualité globale de l’album. Que ce soit le Joker, Batman, leur dualité ou encore Gotham, tous sont transformés par le récit de Batman White Knight. Ce qui témoigne de la passion de l’auteur pour le Batman et de la volonté d’imprimer sa marque sur l’histoire de la chauve-souris. Si le talent de dessinateur de Murphy n’est plus à prouver, il ne faut pas oublier que l'auteur est aussi un scénariste d’une grande pertinence et qui, même s'il n’est pas parfait, fourmille d’idées réjouissantes comme il avait pu le démontrer dans Punk Rock Jesus. Gageons que ces talents-là, dans un avenir plus ou moins proche, devraient continuer d'enrichir encore le personnage indémodable de Batman.
Crédit images : ©DCComics et ©UrbanComics
Précédentes oeuvres de Sean Murphy (scénario et dessin) :
-Road Off
-Punk Rock Jesus
Précédentes collaborations les plus connus de Sean Murphy (dessin uniquement) :
-American Vampire
-Hellblazer
-Joe l'aventure intérieur
-Tokyo Ghost
-The wake