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Les Chatouilles

Publié par - 19 novembre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Adapté de la pièce Les Chatouilles ou la danse de la colère, le film pose d’emblée une ambiguïté autour du terme "Chatouilles".  En effet, le mot qui donne son titre au film, Les Chatouilles donc, convoque très vite une signification tragique puisqu’il est question d’abus sexuels sur enfant. Lorsqu’on sait que les coréalisateurs, Eric Metayer et Andrea Bescond, sont également les metteurs en scène et interprètes de la pièce de théâtre, on pouvait nourrir quelques appréhensions quant à une transposition filmique du propos et pourtant…

Dès l’ouverture, nous découvrons Odette, adulte, sur un fond noir, qui entame une chorégraphie de danse contemporaine avant de s’arrêter et de figer son attention sur un objet en rapport avec son enfance. Nous sommes alors projetés dans le passé d’Odette, au moment où l’ami de la famille, Gilbert, va initier un rapport déterminé par les fameuses "chatouilles" avec la fillette. La continuité narrative se poursuivra alors sur cette dichotomie entre Odette, l’enfant qui subit les multiples abus de Gilbert presque au vu et au su de ses parents et Odette, l’adulte qui, habitée par la volonté de se libérer de cette souffrance, commence une thérapie.

Première qualité du film, les auteurs ont évité l’écueil de l’insistance maniériste d’une navigation entre passé et présent. Au contraire, la fluidité des interpolations temporelles passe par un travail conséquent sur la composition mais aussi par une véritable réflexion sur le montage. Ce dernier permet d’entrer dans une forme de flux de conscience dans lequel le temps et l’espace se construisent en fonction de ce que pense et/ou vit Odette. On notera à titre d’exemple la présence d’Odette, adulte, et de sa thérapeute qui, propulsées dans le passé, observent ou visualisent l’attitude perverse de Gilbert. L’espace est donc avant tout psychique et subjectif. Nous épousons les contours de l’âme d’Odette, nous adoptons son point de vue sur les faits. L’horreur dit un malaise qui se traduit par la déstabilisation du spectateur puisque, parfois, il est bien délicat de savoir si nous sommes dans la réalité, dans un souvenir, dans une vision ou dans ses rêves.

Cette absence de véritable limite entre le passé, le présent et l’imaginaire dans Les Chatouilles permet aussi de souligner l’omniprésence du traumatisme qui entoure le quotidien d’Odette. Ce qu’elle ne laisse paraître devant les autres, dissimulée derrière son attitude cynique et autodestructrice (drogues, aventures d’un soir…), est sublimé par les scènes de danse. Les danses sont violentes et semblent exprimer tout ce qui est refoulé, elles sont Les Chatouilles.

Les Chatouilles se gratifie d’une autre qualité imprévisible au regard du sujet : la tonalité du film s’équilibre entre le contenu de l’histoire, la tristesse et le rire et, ainsi, évite ou contourne le pathos qu’un sujet aussi grave lui promettait. On peut, par exemple, noter que l’usage de la suggestion et la justesse d’interprétation (presque inquiétante) de Pierre Deladonchamps dans le rôle du pédophile suffisent à rendre les scènes aussi impressionnantes qu’intrigantes.

Dans la seconde partie du film, c’est le rapport d’Odette avec ses parents qui est davantage exploré, notamment lorsqu’elle se décide à leur révéler qui est vraiment Gilbert. Il y a d’une part le père (Clovis Cornillac), homme proche de sa fille qui n’avait rien vu venir. C’est que l’amitié est comme l’amour, c’est parfois aveugle. L’amitié et la confiance qu’il accordait à Gilbert se sont muées en peine et colère. Et puis, d’autre part, il y a la mère (Karin Viard). Femme autoritaire qui se préoccupe finalement davantage du "qu’en-dira-t-on" que des besoins thérapeutiques de sa fille. Attitude bien sûr défensive qui dissimule à peine un sentiment, légitime, de culpabilité. La nouvelle nature des rapports parents/enfant, après la révélation, souligne aussi la problématique globale de pareille situation. Le phénomène est à penser à l'échelle d’une société selon plusieurs axes de réflexion. Au-delà du cas juridique, il y a aussi l’altération du tissu social qui en découle inévitablement. D’autant plus dans les petites villes de province où tout le monde se connaît. À partir de cette considération, Les Chatouilles semble souligner que la pression sociale, le déni, participent aussi au silence des victimes et qu’il suffit, souvent, qu’une parole se libère pour que d’autres viennent la rejoindre.

Avant d’être une dénonciation de la pédophilie, Les Chatouilles tente avant tout d’explorer les conséquences de l’acte. Les Chatouilles examine comment ces violences abrègent prématurément le temps de l’enfance et créent une forme de division dans la psyché de la victime. Dans cette fracture vont devoir cohabiter l’adulte traumatisé et l’enfant innocent qui y demeure prisonnier sous la surveillance du spectre vampirisant et omniprésent du passé.

 

Crédit photo : ©Photo 2017 Stéphanie BRANCHU/LES FILMS DU KIOSQUE

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