Splitscreen-review Image de Mon oncle d'Amérique de Alain Resnais

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Mon oncle d’Amérique - Potemkine Films

Publié par - 21 novembre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Mon oncle d’Amérique, le huitième long-métrage d’Alain Resnais, arrive en DVD et Blu-ray après être ressorti sur les écrans il y a peu dans une copie restaurée 2K. Point de surprise donc au niveau de l'image, la qualité est au rendez-vous de ce travail éditorial concocté par Potemkine Films. Mon oncle d’Amérique est, en général, un film assez peu évoqué pour illustrer le talent de Resnais et pourtant, il est en parfaite adéquation avec les préoccupations habituelles du cinéaste : fonctionnement du cerveau, mémoire, théâtralisation du monde, rôle de l’individu dans la société et dans l’intimité, etc.

Mon oncle d’Amérique repose sur l’exploitation d’un rapport de cause à effet entre différents individus qui ne se connaissent pas forcément. Une voix off, celle d’Henri Laborit, revient régulièrement pour interrompre le cours logique de la fiction afin d'exprimer quelques théories sur les comportements humains déterminés selon des éléments qui agissent sur trois niveaux cérébraux (le reptilien, le limbique et le néocortex). Dans le champ fictionnel, parmi les personnages, il y a d’abord Jean Le Gall (Roger Pierre), un bourgeois installé dans une vie intime bercée par la routine qui mène une carrière professionnelle conditionnée par des accointances politiques. Un jour, à l’issue d’une pièce de théâtre, il croise une comédienne nommée Janine Garnier (Nicole Garcia). Coup de foudre. Jean Le Gall abandonne femme et enfants pour vivre sa passion pour Janine. À la demande de la femme de Jean, Janine décide pourtant de quitter ce dernier et va devenir conseillère d’un groupe textile. Là, elle va, dans le cadre d’une restructuration du groupe, rencontrer René Ragueneau (Gérard Depardieu), fils de paysan, catholique, devenu directeur d’usine et prochainement contraint de s’adapter aux besoins du groupe professionnel auquel il appartient.

Splitscreen-review Image de Mon oncle d'Amérique de Alain Resnais

Mon oncle d’Amérique ne déroge en rien de l'univers filmique habituel de Resnais. Les effets de montage que l’on trouve dès l’entame du film sont en accord avec les propos d’Henri Laborit dans la mesure où ils rejoignent les principes scientifiques énoncés par le savant. Le montage s’harmonise, dans un chaos des formes contrôlé, avec l’interpolation des parcours des personnages et de leurs intimités tourmentées. Par ailleurs, Mon oncle d’Amérique, au-delà du travail effectué sur le montage, joue également sur le phénomène de représentation puisqu’il ne cesse de questionner le pouvoir d’identification du spectateur aux personnages du film. Le spectateur est tour à tour convié à participer à l'action du film ou invité à l'observer. L’alternance de ce postulat naît dans la mise en forme des images qui œuvre à la compréhension des actes et sentiments.

Pour aller au bout de cette logique de questionnement sur le rapport entretenu par l’humain avec l’image, Mon oncle d’Amérique n’est pas exempt d’une théâtralisation assumée. Cette dernière se manifeste essentiellement lorsque les personnages principaux sont en présence de tiers en lien avec une situation sociale. L'artifice revendiqué alors, ajouté à une gestuelle et aux déplacements physiques des personnages dans le cadre, souligne la fausseté et l’artificialité des rapports entretenus avec autrui. Cela traduit, à force, une sorte de mal être qui explicite la volonté des personnages de se soustraire à cette sphère publique qui incorpore les protagonistes à un monde auquel ils tentent de résister et auquel ils ne semblent pas vouloir appartenir.

La présence de l’artifice reconduit le spectateur à son statut premier, celui d’observateur. Voir et réfléchir. Ces maîtres mots du cinéma de Resnais rendent compte d’une incommunicabilité qui s’insinue au fil des séquences. Si nous ne pouvons pleinement nous solidariser avec les individus qui agissent sur l’écran, c’est parce qu’ils s’extraient eux-mêmes d’une possible rencontre que le film tente d’instaurer avec le regardeur. Le montage, revenons-y, n’est pas étranger à ce phénomène. Nous sommes ici assez proche d’une exploitation soviétique de la colure de plans. Resnais, en ce point, rejoint Eisenstein. Resnais associe des matériaux hétéroclites : la voix d’Henri Laborit couvre un champ voisin du documentaire et se greffe sur des images qui assument une artificialité totale pour scander la présence de la fiction. Nous sommes bien chez Resnais. Différents niveaux de réalité se recouvrent, se parlent, débattent.

Splitscreen-review Image de Mon oncle d'Amérique de Alain Resnais

Si la voix du professeur Laborit relève du commentaire, alors les images du film deviennent une sorte de prolongement ou un appendice à ce qui s’exprime. La pensée serait, et c’est logique, en avance sur l’image et les sons qui créent le matériau filmique. Ce dernier a pour mission d’éviter l’écueil d’une redondance ou d’une paraphrase. Le film sera donc différent du verbe. Ainsi, le discours scientifique de Laborit se voit discuté ou questionné par les images de Resnais. Mon oncle d’Amérique envisage des hypothèses qui, sans être nommées explicitement, ont le mérite de rappeler que le propos du savant n’est pas conclusif. C’est un work in progress. Autrement dit, si Henri Laborit avance quelques principes avérés sur les fonctionnements du cerveau humain, les images de Resnais avancent, elles, que le raisonnement n’est pas achevé et qu’il n’est qu’une étape dans l’étude des activités cérébrales. Osons même croire que Mon oncle d’Amérique prétend exposer l’impossibilité de circonscrire la mécanique cérébrale à l’application d’un protocole qui serait une évidence pour tous.

Resnais, grâce au matériau filmique, prouve que la compréhension de nos capacités réflexives sera toujours moins aboutie que l’étendue de nos aptitudes cérébrales en elles-mêmes. Le savoir n’est pas une finalité en soi et son acquisition n’a d’intérêt que s’il est accepté comme une vérité de l’instant, relative qui plus est, et que le temps qui s’écoule s’évertuera à en contrarier les certitudes. Il suffit pour s’en convaincre d’observer ce que nous pouvons comprendre et analyser des comportements humains qui structurent la dramaturgie de Mon oncle d’Amérique. Les personnages n’entretiennent entre eux que des relations qui relèvent du superficiel. Ils gravitent les uns autour des autres sans jamais pouvoir dévier d’une trajectoire définie par leur fonction sociale. Cette dernière théâtralise les attitudes et les rapports entre les individus. Aucun lien, uniquement des intérêts ponctuels et prévisibles.

Les protagonistes se démènent pour ne pas interrompre ce qu’ils estiment être une situation sentimentale privilégiée. Ce qui occasionne inévitablement des problèmes, c’est de ne pouvoir garantir sur le long terme cet état d’élection car, une fois cette sensation de plénitude atteinte, l’individu se repose sur une certitude en oubliant que, par définition, tout équilibre est instable. La moindre variation de communication entre les êtres entraîne irrémédiablement un changement de comportement qui va influer de manière concentrique sur les affects de tous et bouleverser les acquis des uns ou des autres. Magistral.

Splitscreen-review Image de Mon oncle d'Amérique de Alain Resnais

Nous l'avons dit plus haut, revoir Mon oncle d'Amérique dans une telle copie ajoute au plaisir de la découverte ou de la redécouverte.

Pour ce qui est des suppléments, nous trouvons trois entretiens complémentaires qui raviront, en fonction de vos affinités respectives, tous les cinéphiles et amateurs du cinéaste.

D'abord, dans un entretien audio de 18 minutes, Alain Resnais revient sur son travail en général et comment Mon oncle d'Amérique s'accorde avec ses obsessions de cinéaste. Difficile de dire ce qui séduit le plus dans ce complément : la malice du cinéaste ? la conscience de son travail ? sa connaissance du cinéma ? Peu importe, c'est épatant.

Un autre module réunit, sous la forme d'une discussion filmée, François Taddéi (biologiste) et Joachim Lepastier (critique de cinéma). Les deux interlocuteurs, selon leurs qualités respectives, estiment le travail de Resnais dans Mon oncle d'Amérique. Les analyses sont fines et les propos documentés. Travail sérieux et consistant.

Un troisième complément savoureux nous est proposé. Jean Gruault, un des scénaristes phares de la Nouvelle Vague, revient sur la genèse du film et sa manière d'appréhender le travail avec Resnais. Bonus conséquent d'une durée de 32 minutes où, hélas, le temps passe bien vite.

Pour finir, en exclusivité sur le Blu-ray, figure un court-métrage réalisé par Resnais pour Amnesty International. Il s'agit d'un appel formulé à l'encontre de Fidel Castro pour demander la libération d’un prisonnier cubain. Le film s'intitule Pour Esteban González González, Cuba et peut se visionner ou non avec le commentaire de François Thomas, collaborateur de la revue Positif.

Crédit photographique : ©MK2

Suppléments :
- Entretien avec Alain Resnais sur le tournage de Mon oncle d'Amérique (extrait Ciné Regards 1980) - 18'
- Entretien avec François Taddei et Joaquim Lepastier - 18'
- Écrire contre l'oubli, "Pour Esteban González González, Cuba", lettre filmée de François Jacob à Fidel Castro réalisée par Alain Resnais pour le compte d'Amnesty International.
Court-métrage inédit en DVD et commenté par François Thomas auteur d' "Alain Resnais, les coulisses de la création" et "L'Atelier d'Alain Resnais" - 3'

Exclusivité Blu-ray
- Entretien avec le scénariste Jean Gruault (2002) - 35' repris de l'édition MK2

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