Splitscreen-review Image de Leto de Kyril Serebrenikov

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Leto

Publié par - 10 décembre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Autre regrettable oublié du palmarès de Cannes 2018, le nouveau film de Kirill Serebrennikov, Leto, nous propose une immersion dans le milieu du rock underground en Union Soviétique. Leto se concentre essentiellement sur deux figures de la mouvance sise à Leningrad au début des années 80 : Viktor Tsoï, leader du groupe Kino, et Mike Numenko, leader du groupe Zoopark. Le film s’intéresse à la rencontre de ces deux figures et s'attarde sur ce qui les rassemble, la musique, comme sur ce qui les sépare, Natalia, l’épouse de Mike.

Dès la première scène de Leto, nous suivons des jeunes femmes qui resquillent en passant par la fenêtre des toilettes d'une salle de spectacles afin d’assister au concert du groupe Zoopark. Bien que les coulisses s’apparentent à l’univers du rock occidental, le concert, lui, nous rappelle que nous sommes de l’autre côté du rideau de fer à la fin de l’ère Brejnev : le groupe Zoopark joue sa partition avec une certaine sobriété devant un public sagement assis sous le regard vigilant des représentants des autorités qui n’hésitent pas à rappeler à l’ordre une jeune groupie qui agite un carton sur lequel est dessiné un cœur. Quand on porte un regard occidental sur cette scène, on ne peut s’empêcher de la comparer avec l’hystérie du public et les différents délires d’artistes que pouvait connaître la scène américaine dès la fin des années 60. « We’re not in Kansas anymore » ou plutôt « We’re not in Woodstock anymore ».

Dès cette première scène de Leto, on comprend que derrière l’histoire de la genèse de Kino, le film dissimule aussi l’histoire d’une contre-culture qui émerge dans la jeunesse soviétique malgré la chape de plomb imposée par le pouvoir politique. Par bien des aspects, on peut faire le parallèle entre cette dynamique contre culturelle des années 80 en URSS à celle que connut le monde occidental dans la fin des années 60. La seconde séquence dans laquelle Viktor rencontre Mike dans une soirée au bord de la mer Baltique est symptomatique de ce mimétisme. Les jeunes boivent, chantent, dansent autour du feu, prennent un bain de minuit comme cela s'était déroulé vingt ans plus tôt en Californie. Des situations concrètes et simples mais révélatrices d’un désir de liberté qui tenaillait une jeunesse oppressée. Comme peut le démontrer une scène où un jeune punk rit des remontrances d’un quinquagénaire pro-soviétique, à l’instar d’un jeune beatnik face à un supposé « vieux con » pro De Gaulle ou Eisenhower.

Il est intéressant de noter que cette dynamique avant-gardiste qui  anime les personnages ne s’arrête pas à la création musicale et se manifeste dans le quotidien de chacun pour se diffuser de manière indirecte dans l'univers qui gravite autour d'eux (voir la formidable séquence du bus). Une scène en témoigne de manière plus insidieuse. Le groupe qui allait devenir Kino soumet ses textes à une apparatchik du parti. La censure est friable car elle n'est jamais l'apanage de l'intelligence et cela se vérifie lorsque les rockeurs argumentent et défendent leurs textes en les liant étroitement à l’idéal communiste. Les personnages de Viktor et Mike incarnent ces deux combats culturels. Viktor Tsoï représente la rock star idéaliste en devenir. Il est doué pour tout, de la musique au texte.

Bien que reconnu comme première rock star, Mike Naumenko, quant à lui, incarne davantage la notion de combat culturel et idéologique que représente le rock : il développe le Leningrad rock club, il traduit en autodidacte les textes anglophones en russe et reste admiratif devant les pochettes vinyles de Bowie, The Who, The Beatles… Cela se transforme en vocation ou en mission pour les deux personnages qui, malgré les prémices d’une rivalité à la fois artistique mais aussi sentimentale (un triangle amoureux se forme entre Natalia, Victor et Mike), font cause commune pour le développement du rock en URSS.

 

 

Par quelques transgressions narratives, la mise en scène de Leto contribue à matérialiser ce désir de liberté propre aux différents personnages. D’abord par des interludes musicaux où certaines frustrations des personnages sont sublimées par une réinterprétation des morceaux cultes d’Iggy Pop, Lou Reed ou encore Talking Heads. Dans ces scènes, tout ce qui est à l’écran (personnages et figurants) participe à l'interprétation d'un clip musical. L'esprit transgressif gagne la mise en scène puisque la réalité des images est revisitée par des coloriages et des esquisses qui soulignent cette injonction à défier tout ce qui peut nuire à l'expression d'une pensée libre. Ces sublimations sont cependant nuancées par le personnage de Skeptik (Aleksandr Kuznetsov), sorte d’avatar du démiurge qui commente différentes scènes du film par le biais d’apartés avec le spectateur. Le débat convoqué ici porte sur ce qui relève du réel et ce qui relève de l’imagination du cinéaste. À la fin des interludes, ce dernier apparaît et ajoute cette phrase redondante : « cela n’a jamais existé ».

Plus qu’un regard sur une période de l’histoire, Serebrennikov compose une ode à la liberté et à l’intensité des pulsions créatrices qui peuvent émaner de la jeunesse. Leto rappelle ces différentes périodes de l’histoire où l'existence d'une contre-culture augurait très souvent d’un changement politique radical. Dans le cas de Leto, le compte à rebours avant la Glasnost et la Perestroïka est lancé. Ce n'est qu'une question d'années ou de mois.

Crédit photo : ©HypeFilm/Kinovista2018 et ©WeltkinoFilmverleih

 

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