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Les confins du monde

Publié par - 14 décembre 2018

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

En prenant pour contexte les prémices de la guerre d'Indochine en 1945, Guillaume Nicloux signe avec Les confins du monde un film sur les conséquences du traumatisme de guerre sur le comportement de l'humain. Le personnage principal du film, Robert Tassen, interprété par Gaspard Ulliel, s'inscrit dans une logique qui évoque le contenu d'Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad et le film qui s'en inspira, Apocalypse Now, réalisé par Coppola. À noter que le metteur en scène s'est inspiré d'un véritable soldat français, Roger Vandenberghe qui a côtoyé Raoul Coutard durant la guerre d'Indochine. Ce dernier fut le chef opérateur des quatre premiers films de Nicloux et son témoignage fut précieux pour l'écriture du personnage de Tassen.

Les confins du monde décrit donc la descente aux enfers, teintée de fatalisme, d'un soldat. Nous sommes ici raccord avec l'idée directrice d'Apocalypse Now. Mais, au contraire du film de Coppola, la guerre semble invisible, hors champs, tapie dans les fougères. De ce point de vue, Guillaume Nicloux s'est inspiré du travail de Pierre Schoendoerffer pour son film La 317e section. La guerre est partout, elle se ressent à chaque plan et pourtant elle n'est pas physiquement présente à l'image. Elle relève de l'invisible.

Et pour cause, Les confins du monde s'intéresse avant tout à une guerre qui relève d'une forme de métaphysique : celle du soldat contre lui-même. Robert Tassen doit choisir entre la vengeance du meurtre de son frère et de sa belle-sœur par les soldats japonais et l'amour qu'il éprouve pour différents personnages : une prostituée indochinoise « Maï » jouée par Lang-Khê, une figure de père adoptif campée par Gérard Depardieu et l'amitié de son collègue Cavagna joué par Guillaume Gouix. Ces derniers sentiments seront délaissés ou relégués au second plan dans la mesure où ils ne servent qu'à cristalliser ce qui découle du traumatique. La folie s'empare de l'humain. Cette aliénation trouve sa plus flagrante manifestation dans la présence de la jungle, lieu par définition hostile au soldat occidental. Le travail du son est alors primordial ; la jungle grouille de vie et, donc, de dangers qui vampirisent l'esprit des hommes.

La mise en scène et le montage vont, sans cesse, dès le premier plan, déstabiliser le spectateur. Cela passe, outre l'immersion dans cette nature agressive, par les atrocités montrées sans aucune distance, sans aucun filtre à l'image. Mais Les confins du monde interroge aussi le spectateur sur son statut et sa morale. De longs plans fixes s'éternisent pour nous permettre d'observer chaque détail de l'image afin de distinguer le moindre signe de transgression à la normalité. Cela se vérifie notamment dans les plans effectués sur le visage de Tassen où se lisent l'égarement et la déraison. L'immobilité et la fixité du cadre deviennent des éléments perturbateurs. Le format de l'image n'est d'ailleurs pas anodin ici. L'usage du cinémascope (2.35 : 1 ) souligne encore plus l'isolement du personnage lorsque la folie s'empare de lui.

Les ellipses temporelles viennent briser le récit pour le transformer en puzzle auquel des pièces manqueraient, rendant la compréhension du récit ardue et complexe. Les confins du monde est une œuvre intrigante, captivante et dérangeante. Le spectateur ressort bousculé et perturbé de la séance. Le film met en image la disparition de la nature humaine au profit de la folie pour un retour vers une forme d'animalité oubliée et agit comme une piqûre de rappel sur ce qui nous guette et qui se terre tout au fond de nous.

Crédit photographique : ©AdVitam

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