Accueil > Jeux vidéo > The Council
Fusionner les genres dans le jeu vidéo ne constitue pas en soi une nouveauté. Mais, souvent, les studios ont produit des jeux où les différents chapitres de ceux-ci répondaient à une logique de gameplay affilié à des genres qui n'ont aucun lien avec la base du jeu concerné. Conduire une voiture et tirer sur des ennemis dans Grand Theft Auto répond à deux méthodologies totalement différentes puisqu'il s'agit de conjuguer deux actions distinctes. L’une n’influence pas forcément l’autre. Mais, parfois, les concepteurs trouvent de nouveaux moyens d’associer les gameplays pour créer une nouvelle expérience usant des avantages de la singularité des actions combinées. On peut penser à Dying Light qui fusionne le "Parkour" à la Mirror’s Edge (mode de déplacement le plus évident pour aller d'un point A à un point B) avec le principe de survie des jeux de zombies comme Left 4 Dead. Ainsi, dans cette optique, le studio français Big Bad Wolf nous a proposé au cours de l’année 2018 sa propre expérimentation dans un jeu intriguant : The Council.
The Council est un jeu narratif à épisodes où l’on incarne Louis de Richet, un français membre d’une société occulte pendant la Révolution française. Celui-ci, afin de retrouver sa mère disparue, doit se rendre sur une île étrange, demeure du mystérieux Lord Mortimer. Pour mener à bien son enquête, il va devoir représenter son ordre au cours d’une conférence secrète à laquelle sont invités ni plus ni moins que Georges Washington, Napoléon Bonaparte, un envoyé du pape et des représentants de diverses autres monarchies européennes. Louis est ainsi plongé dans un univers d’intrigues et de complots où le destin du monde se décide dans l’ombre. Du haut de ce manoir isolé au dessus des brumes marines, Louis rejoint d’une certaine manière les dieux de l’Olympe. D’ailleurs, une immense statue de Jupiter surplombe l’entrée du manoir et de nombreuses œuvres à connotations mythologiques ou religieuses occupent les lieux.
The Council permet au joueur de faire divers choix qui, tous, auront de l'influence sur le contenu scénaristique jusqu'à en modifier les rebondissements. En ce point, on note une réadaptation de la formule du studio Telltale Games qui a déjà fait ses preuves. Mais à cette recette, les concepteurs bordelais décident d’y ajouter des éléments de jeu de rôle. Le personnage de Louis de Richet possède diverses compétences que le joueur peut choisir de développer (ou non) pour s’offrir de nouvelles perspectives lorsque se profile la fin du récit. Le joueur peut ainsi s'approprier quelques pouvoirs "divins" appartenant aux autres invités du manoir et accéder à des indices qui seraient demeurés inabordables sans l'exploration de ces hypothèses. Le jeu gagne ainsi en complexité et en possibilités narratives.
Point de combat dans The Council. Seule l’intelligence du joueur lui octroie la possibilité de résoudre les énigmes disséminées dans le manoir et de s’attirer les faveurs des prestigieux invités. Des joutes verbales à l’issue incertaine ponctuent ou chapitrent l’enquête de Louis. À l’image des jeux de rôles classiques, les compétences acquises débloquent des répliques auxquelles le joueur n'aurait pas accès autrement. Cependant, leur utilisation ne garantit pas forcément le succès. Chaque invité a ses propres forces et faiblesses que le joueur devra découvrir et exploiter pour progresser dans son enquête. Tout est donc affaire de choix, de stratégie et de déduction.
La quête de la mère disparue de Louis ouvre les portes d’une aventure complexe saupoudrée d’éléments lovecraftiens aux multiples niveaux de lecture. L’enquête est depuis toujours une méthode narrative qui sert de prétexte à l’examen d’une époque, d'une culture ou d'un monde utopique. The Council nous propose une immersion dans une période historique sous l'angle de l'intime puisque c'est la compréhension des personnalités des figures historiques qui permet à notre avatar de progresser dans le jeu. La dimension psychologique n'est pas occultée par les concepteurs puisque le logo du jeu est un labyrinthe qui incarne symboliquement à la perfection l'idée d'une exploration intérieure. Au cours de son investigation, Louis va découvrir une foule d'informations sur les opinions et ambitions des invités de Lord Mortimer. Certains veulent soutenir les projets progressistes mais chaotiques de leur hôte tandis que d'autres préfèreront soutenir l’ordre établi.
Cette confrontation des points de vue a ainsi lieu à travers les yeux de l’avatar. Une entité avec laquelle le joueur peut synthétiser sa propre pensée. Une réflexion qui serait le fruit d'une dialectique reposant sur l'étude de l’argumentaire de chaque camp afin d'en évaluer les avantages et inconvénients. Le recul historique qui est le notre nous offre le luxe de pouvoir vérifier et mesurer l'impact de certaines décisions sur le contemporain. Le joueur peut demeurer objectif (s'il le souhaite bien sûr) face aux arguments séduisants de certains : vaut-il mieux soutenir l’avènement de la démocratie promu par les progressistes au prix de guerres épuisantes en Europe ? Faut-il contribuer à faire des États-Unis une superpuissance au détriment des états européens ? Vaut-il mieux, au contraire, protéger l’ancien régime ? Le joueur se retrouve ainsi plongé dans la tourmente de cette période charnière de l’histoire. Il est au cœur du dilemme de cette fin de XVIIIème siècle : l’ancien régime ou les Lumières ? Puisque ces deux systèmes ne semblent pas pouvoir échanger et cohabiter, un seul pourra s'établir dans les sociétés occidentales. The Council permet au joueur de faire ce choix et façonner l’avenir du monde après avoir découvert ses artisans tapis dans l’ombre.
Crédit image : ©FocusHomeInteractive