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L’Heure de la sortie

Publié par - 14 janvier 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Après Irréprochable, thriller réussi, Sébastien Marnier explore à nouveau le genre avec L’Heure de la sortie. L’histoire se déroule dans le prestigieux collège Saint Joseph et concerne la classe des 3e1, une classe expérimentale constituée d'élèves dits IP (intellectuellement précoces). Suite à la tentative de suicide du professeur de français (il s’est jeté par la fenêtre sous le regard de ses élèves), Pierre Hoffmann (Laurent Laffite) est engagé en remplacement. Très vite, il va rencontrer une certaine hostilité de la part de ses élèves qui se manifeste notamment par une totale apathie. Bien que brillants intellectuellement, les pré-adolescents sont inexpressifs, à la fois en cours, mais aussi lorsqu’ils se font agresser par leurs camarades ou questionner par leur enseignant.

 

 

Intrigué par le comportement des jeunes, Pierre décide de les espionner durant leur temps libre. Ces derniers se retrouvent régulièrement dans une carrière et se filment en train de se violenter les uns les autres comme dans un entraînement intensif de survivalistes. À chaque nouvelle « sortie », ils ajoutent le DVD de la session précédente dans une vieille boîte noire d’avion enfouie dans les décombres. Dans ces petits films amateurs, les images sont montées en alternance. Se juxtaposent les différentes expériences des élèves filmées et des vidéos de catastrophes écologiques (tsunamis, marées noires, septième continent…).

Inspiré du roman du même nom publié en 2004, le film conserve l'argument principal du livre : la description du rapport, ambigu, entre Hoffmann et ses élèves de 3e1. Cependant, le film procède d'une actualisation du contenu par l'intégration de préoccupations très contemporaines telle que la question environnementale. Au travers de ces jeunes « précoces » submergés par l'information en général, cette question anxiogène du devenir de la planète s'est transformée en une sorte de désespoir stoïque qui les a dépourvus de toute volonté de se battre. Plusieurs fois, ils se qualifient comme « trop lucides », argumentent sur l'absence de futur, etc. Même lorsqu’ils chantent en chœur Free Money de Patti Smith, ni les paroles ni la mélodie ne parviennent à les atteindre. L’Heure de la sortie apparaît alors comme une figure de la désincarnation. Les adolescents portraiturés ici se comportent comme des machines. Ils produisent ce qu’on leur demande ou impose sans commentaire ni état d’âme.

 

L’incompréhension de Pierre face à ses élèves se partage avec le spectateur. La mise en scène instaure d'ailleurs une atmosphère oppressante dès le premier plan du film. L’Heure de la sortie s'ouvre sur un soleil estival filmé en contre-plongée. Le plan est accompagné par un sifflement strident et menaçant puis s'enchaîne avec la séquence du suicide du professeur. Le ton est donné. Le reste du film est au diapason. Le cadre idyllique du parc dans lequel Hoffmann va souvent se baigner est également terni par la présence en arrière-plan d’une centrale nucléaire. Tout ce qui est montré est parasité, contaminé par un élément qui évoque une idée de destruction ou suggère que quelque chose se prépare sans en préciser la nature.

 

Cette atmosphère écrasante est aussi palpable par l'intermédiaire du son et de la musique. D’abord les différents bruits sourds qui alternent entre l’infra et l’ultra dans certaines scènes prennent davantage aux tripes qu’à l’esprit et participent de cette sensation très « uncanny ». À cela s’ajoute la bande originale de Zombie Zombie dont les sonorités voisinent voire fusionnent avec les bruits précédemment mentionnés. S'invite alors une touche psychédélique à l’intrigue principale, elle-même ponctuée par les cauchemars entomophobes de Pierre : plus il avance dans son enquête, plus les visions d'insectes qui envahissent son espace mental deviennent intenses et soulignent l'impuissance du personnage.

Dans L’Heure de la sortie, il y a un côté thriller psychologique sur fond d’alarmisme qui peut rappeler Take Shelter de Jeff Nichols dans lequel des marginaux se préoccupent d'événements que seuls eux semblent pressentir. Ce qui les entraîne dans un délire paranoïaque. Dans sa forme, L’Heure de la sortie dispense une sourde sensation désagréable qui relève d'une sorte de suffocation comme celles que l'on peut ressentir chez Tarkovski par l'emploi qu'il faisait du son. Bien que prévisible en quelques points (scène finale, climax…) L’Heure de la sortie témoigne d'une certaine singularité. L’Heure de la sortie s'approche de l'expérimental en certains points notamment dans sa volonté de créer une atmosphère où la sensation semble être le caractère premier de la mise en scène.

 

Crédit photographique : ©Haut et Court ; ©Laurent Champoussin

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