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Le steampunk, un outil de critique sociale

Publié par - 5 février 2019

Catégorie(s): Jeux vidéo

La fin du 19ème siècle est la principale inspiration des uchronies steampunk. Celles-ci s'ancrent dans des univers où le progrès technique est en avance sur son temps. Les engrenages se couplent alors au plasma et la vapeur aux machines à remonter le temps... Mais ces uchronies mettent aussi en image l'architecture du 19ème siècle avec les usines et les monuments. Cette mouvance artistique, née en littérature, s'est vite répandue aux médias de l'image comme le jeu vidéo par exemple. Ce dernier s'attarde au style steampunk de manière plus sérieuse. Le jeu vidéo aborde l'aspect communautaire de ces univers en soulignant le contraste entre les différentes classes sociales et pose, donc, des questions qui relèvent du politique, de l'éthique, du philosophique sans occulter évidemment la question de l'humain.

The Order : 1886 de Ready at Dawn dépeint la ville de Londres pendant l'époque victorienne. La cité est à la merci des lycanthropes (humains qui se transforment en loup). La direction artistique du jeu installe l'intrigue dans une ville grise, asphyxiée par la vapeur, en pleine apogée de la révolution industrielle. Les décors dépeignent la convergence du progrès scientifique et de l'économie capitaliste qui servira, entre autre, l'armée à laquelle l'avatar du joueur appartient.

L'environnement reste ancré dans le réel tandis que, au contraire, certains objets, et en particulier certaines armes, semblent appartenir à des temps futurs comme si la foudre de Nikola Tesla avait pu être contrôlée pour servir d'instrument de mort. Mais ce progrès ne sert pas tout le monde. Et la principale menace pour l'Ordre pourrait être humaine. En effet, les pauvres font gronder la révolte. La Belle Époque n'est alors pas si belle que cela puisqu'elle ne concerne pas tous les rouages de la société. Le steampunk hyperbolise le contraste entre la Belle Époque et sa réalité sociale.

Les événements qui se produisent dans le jeu Bioshock Infinite de Irrational Games prennent place dans la cité volante américaine de Columbia et se teintent d'atmosphères propres à ces périodes que l'on appelle outre-Atlantique le Gilded Age (1865 - 1901) et la Progressive Era (1890 - 1920) équivalents de la Belle Époque européenne. Le jeu prend place en 1912. Booker Devitt, détective privé de profession, recherche une jeune fille disparue depuis 15 ans, Élisabeth. Son enquête le mène à Columbia, ville formée de montgolfières et de zeppelins qui semble trop parfaite pour être vraie et file donc vers le métaphorique.

En effet, la corruption, le racisme, le fanatisme religieux et la propagande se cachent derrière ses jolies enseignes et ses joyeux spectacles de cirque. Une guerre idéologique fait rage au sein de la cité entre, d'un côté, le groupe révolutionnaire la Vox populi, aux idéaux marxistes et, de l'autre côté, le capitalisme inhumain de Jeremiah Fink et la vision religieuse sectaire du fondateur de la cité Zachary Comstock. Tout semble opposer les belligérants et pourtant, parfois, les deux camps sont animés d'une même cruauté qu'ils libèrent au nom d'un pragmatisme dévastateur. Le jeu devient la métaphore critique de cet âge d'or américain lorsqu'il décrit un univers concocté à partir de l'extrapolation des courants de pensées qui sévissaient dans la réalité américaine de l'époque.

Dishonored d'Arkane Studios se déroule dans la ville de Dunwall dans un univers fictif qui s'inspire, entre autres, de Londres et d'Édimbourg au 19ème siècle. Les quartiers qui forment les zones de jeu, de par leur architecture, sont le reflet de l'âme des habitants qui les occupent. Les logis des aristocrates font penser à l'imaginaire qui s'est construit autour de la Belle Époque. Celui d'une richesse abondante qui s'expose. Quant aux habitations et lieux de travail des pauvres, ils évoquent les villes minières des romans de la fin du XIXème siècle. Ce même contraste s'exprime à travers les vêtements et la morphologie des différents personnages du jeu. Les aristocrates portent des vêtements élégants et colorés et leur corps longiligne est le fruit d'une vie opulente menée dans de somptueux palais. Les pauvres, eux, portent des vêtements usés et leurs corps sont bourrus, sculptés par leurs labeurs et leurs conditions de vie.

Pour l'architecture, et plus généralement la direction artistique, Viktor Antonov, visual director sur le titre, s'est inspiré du style victorien, mais aussi de l'influence de l'acier sur la conception de l'architecture au 19ème. L'empreinte de ce matériau se vérifie sur les ouvrages d'art, les bâtiments d'institutions variés ainsi que sur les usines. Le parallèle devient alors évident avec l’œuvre de Gustave Eiffel (et de bien d'autres) qui fut l'une des attractions majeures de l'exposition universelle de Paris de 1889. On le doit à l'héritage assumé du designer industriel, Viktor Antonov qui a su utiliser sa connaissance des bâtiments industriels pour imaginer les décors du jeu. Les structures deviennent alors inflexibles et plus complexes. À l'image du monde dans lequel elles sont construites, à l'image du pouvoir à Dunwall.

Le décor de Dunwall est un support narratif à part entière, on parle alors de narration environnementale. L'environnement du jeu laisse paraître une société complexe qui se métamorphose au fil des époques, des avancées techniques et sociales. Ce qui se concrétise par l'impact du système de jeu sur l'espace qu'arpente le joueur. Les actions du joueur, à l'instar des actions des personnages non joueurs, modifient le monde qui les entoure. Se proposent alors de multiples possibilités et de multiples interprétations au joueur. Ce monde emprunte autant au 19ème, au contemporain qu'à l'imaginaire collectif pour proposer des réflexions complexes et propres à chacune des expériences de jeu et autant de visions sur la société de la Belle Époque et celle d'aujourd'hui.

Le steampunk, qui emprunte le suffixe "punk" de façon ironique au cyberpunk, ne semble pas prendre au sérieux les mondes dans lesquels se déroulent ses histoires. Il finit, à l'instar de celui-ci, par aborder des thématiques fortes et essentielles à appréhender pour l'Homme de notre époque, au travers du jeu vidéo. Les systèmes complexes que proposent les supports vidéoludiques permettent de vivre des expériences et donc des mondes steampunks aux histoires allant au-delà d'une simple lecture. En effet, chaque expérience de jeu devient unique et découle non plus du créateur mais bien du joueur. Le steampunk délaisse alors souvent l'humour pour un sérieux parfois teinté de satire.

Crédits images: ©Sony Interactive Entertainment  ©Take-Two Interactive Software  ©Bethesda Softworks

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