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Le Prince et la couturière

Publié par - 26 février 2019

Catégorie(s): Bande dessinée

Toute œuvre s’inscrit dans un climat social auquel il est difficile de la soustraire. Aujourd’hui, les questions identitaires liées au genre et l’expression de ces interrogations font partie intégrante d’une lutte sociale et médiatique permanente. Ceci se traduit dans différents domaines de création par l’implémentation de couples homosexuels ou transexuels et par le traitement de thématiques directement dépendantes de ces derniers. On pense par exemple à la série Sense8 reconnue pour ses qualités humanistes. Le Prince et la couturière se laisse gagner par ces nouvelles tendances et fait justement d’un personnage transexuel, l’acteur principal de son récit. Ce comics a d’ailleurs trouvé un certain public et a même été récompensé par le prix Fauve Jeunesse au Festival d’Angoulême.

Le Prince et la couturière est un comics de Jen Wang et il situe son propos dans la France du 19eme siècle. L’époque est placée sous l’autorité d’une monarchie et une industrie de la mode et du vêtement va évoluer avec l'arrivée de grandes marques.

L’histoire se concentre sur Francès, jeune couturière talentueuse, qui se voit, par un concours de circonstance, être invitée par le prince Sébastien à devenir sa couturière. En réalité, Sébastien aime se déguiser en femme et compte sur Francès pour lui créer des robes lui permettant d’explorer ses envies identitaires.Le Prince et la couturière est une œuvre qui s’inspire fortement de contes qui abritent des princesses et des films qui en ont découlés, les productions Disney en tête. Sur bien des aspects, l’œuvre évoque en effet les univers peints par Disney. Graphiquement, d’abord, les personnages se caractérisent par de grands yeux et des proportions cartoonesques. Le style est, dans son ensemble, assez épuré avec un découpage qui dépasse rarement les 2 à 3 lignes de cases. Ceci permet de séquencer l’action, d’offrir des planches aérées en images et en textes. Le tout se couple à une mise en scène qui joue sur l’insertion de situations, qui opte pour des plans rapprochés et qui privilégie la mise en évidence des émotions des personnages. Ajoutons enfin à cela l’omniprésence de couleurs vives formées par des aplats sans nuances et on se retrouve devant un ouvrage qui, malgré ses 280 pages, s’avère être rapide et facile à lire.

Tout le travail graphique sert le propos. Il est ici question d’une histoire aux allures de contes modernes. On retrouve, bien sûr, en toile de fond, des éléments propres aux contes et aux Disney princesses : rôle de la royauté, mariages arrangés, obligations protocolaires qui contrastent et s’opposent aux désirs des personnages.
Mais c’est avec le Prince Sébastien que l’ouvrage s'inscrit dans une forme de modernité. Il est la pierre angulaire du scénario et porte, avec Francès, toutes les thématiques de l’œuvre. En tant que Prince, c’est lui qui subira toutes les obligations qu’imposent tout système monarchique. Il doit donc composer avec ses aspirations intimes, s’incarner dans sa féminité, et répondre aux attentes de sa famille et de sa fonction. La dualité qui l’habite sera source de craintes et de questionnements. En parallèle de cela, Francès voit en Sébastien une occasion d’exprimer pleinement son potentiel créatif. Ainsi les deux personnages sont complémentaires et traduisent des sentiments convergents. Francès peut exprimer son art et la passion de la couture qui l’anime grâce à Sébastien, qui, lui, découvre et exprime son identité via les créations de Francès. Un personnage s’émancipe alors que l’autre découvre sa véritable personnalité. Ici le vêtement est le reflet d’une âme et, à la manière de certaines Drag Queen, Sébastien se révèle via ses robes.Nous trouvons là un des thèmes phare de l’ouvrage : la détermination d’un genre et tout ce que cela implique. Il s’agit, une fois l’évidence assimilée, d’accepter cette identité nouvelle tout en sachant que l’avenir sera complexe car la tolérance n’est pas la qualité la plus partagée. Puis, vient le temps de découvrir de nouveaux sentiments comme la peur du regard des autres.

L’ouvrage alterne donc, avec subtilité, entre ces différentes thématiques portées par les personnages tout au long du récit. On pourra toujours reprocher un final sans risque mais le principe rejoint ici l’idée de calquer son discours sur des motifs manichéens proches de l’univers “Disney”.

En conclusion, précisons que Jen Wang disait dans une interview vouloir adresser ce livre à la jeune adolescente qu’elle était. Déclaration qui témoigne d’un désir très personnel de rendre son récit accessible à tous. Ainsi même si l’œuvre se structure autour d’un personnage transexuel, Jen Wang fait de Francès, personnage cisgenre, la clé de voûte du récit et tend ainsi vers un propos plus « universel ».

Tantôt drôle, tantôt émouvant, Le Prince et la couturière est un livre chaleureux et agréable qui peut, de par ses thèmes, paraître éloigné du grand public. Pourtant il serait sans aucun doute judicieux et pertinent de faire lire, notamment aux plus jeunes, Le Prince et la couturière tant son message de tolérance pourrait en inspirer plus d’un.

Crédit images : ©Akileos

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