Splitscreen-review Image de Les mystères d'une âme de GW Pabst

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Sans Titre

Publié par - 25 mars 2019

Catégorie(s): Cinéma

Flash-back 1 : la psychanalyse au cinéma sans Freud

La scène se passe bien avant l'usage du rasoir électrique, au temps du savon à barbe et du coupe-chou. Le Professeur Mathias se rase. À côté, son épouse se coiffe, remarque une mèche trop longue, demande à son mari de la raccourcir. Au moment où celui-ci se penche sur la nuque, un cri surgit du voisinage ; plus exactement, apparaît à l'écran l'image d'une femme à sa fenêtre, la bouche ouverte, puis un carton : « Mörder ! » (« Au meurtre ! »). Le Professeur a suspendu son geste mais... il a lé­gèrement entaillé le cou de sa femme. Naissance d'un symptôme, la phobie des instruments tran­chants, et premier acte manqué sur pellicule. Représentation inaugurale de la doctrine freudienne au cinéma !

Mais peut-on figurer une doctrine ? Et surtout une doctrine dont l'objet, hors du champ de la conscience, ne se laisse pas voir !

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Geheimnisse einer Seele, de G. W. Pabst, a été projeté pour la première fois au Gloria-Pa­last de Berlin, le 24 mars 1925. La version française préfère les mystères aux secrets, Les mystères d'une âme donc, avec au générique les noms de H. Sachs et K. Abraham, deux élèves de Sigmund Freud.

Mais Freud, grand amateur de mots, de souvenirs, de récits de rêves et de narration de fantasmes, se méfiait des images muettes du cinématographe. Il avait vu un de ces films « abondant en folles poursuites » au cours de son séjour à New-York, en 1909 et il était, depuis, « dressé contre le cinéma »[1]. Il avait re­fusé, en 1924, la proposition de Samuel Goldwyn de collaborer à un film sur les histoires d'amour célèbres. Et il repoussa, en 1925, la proposition de Hans Neumann, directeur du départe­ment cultu­rel de l'UFA, de faire un film sur la psychanalyse. À Karl Abraham qui lui avait transmis cette pro­position, il répondit « il ne me paraît pas possible de faire de nos abs­tractions une présentation plas­tique qui se respecte tant soit peu ».

Patrick Lacoste a lon­guement analysé ce film de Pabst[2] et interrogé la possibilité de figurer, à l'écran, une cure analytique.

 

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Dans le film, le récit de la cure elle-même est limité mais l'ensemble du film était de nature à rendre populaire la psychanalyse. Le plus spectaculaire est là : le symptôme névrotique, les actes manqués, les rêves, les symboles et une violente scène d'abréaction après laquelle le patient est guéri. C'est moins schématique que ça en a l'air ici mais ça n'en est pas moins la vulgarisation d'une aventure psychique que les images suggèrent sans pouvoir la montrer.

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Ernest Jones, le biographe de Freud, semble être le seul à s'avouer consterné après la première pro­jection. La presse berlinoise, enthousiaste au contraire, a salué les truquages audacieux et brillants de Guido Seeber pour les scènes de rêves : « Des trains qui se croisent, des maisons qui sortent sou­dainement de terre, des têtes qui se balancent comme des cloches (...) »[3] Les journaux ont encensé le jeu de Werner Kraus, qui incarne le premier analysant de l'histoire du cinéma. Werner Kraus, un monstre sacré qui fut le Dr Caligari, le partenaire de Greta Garbo dans La Rue sans joie, et, hélas, l'un des personnages du film de Veit Harlan, Le Juif Süss.

Par l'opposition entre le personnage du Professeur Mathias, intellectuel rangé, et celui du cousin son rival, le joyeux aventurier, ce film accrédite l'idée que la psychanalyse est inutile aux hommes d'ac­tion. Il suggère aussi qu'elle s'adresse à des gens aisés. À ces impressions, les tribulations de Woody Allen avec son psychanalyste n'apportent d'ailleurs aucun démenti !

Flash-back 2 : Freud au cinéma sans Sartre

Le 27 octobre 1925, K. Abraham écrivait à Freud : « Vous savez, cher Professeur, que je n'aime vrai­ment pas rediscuter de cette affaire de film ». La réalisation de Geheimnisse einer Seele a été en ef­fet une véritable « affaire » et bien des années plus tard, en 1962, Freud, the secret pas­sion en a été une autre ! Entre-temps, le cinéma est devenu parlant et la psychanalyse a déjà beau­coup fait parler d'elle ; ses mots, à défaut de ses concepts, se sont diffusés dans la culture ambiante.

À l'époque où Hitchcock terminait une sorte de psychodrame psychanalytique, La maison de Docteur Edwards, 1945, qui fut suivi bientôt par le drame freudien tourné par Fritz Lang, Le secret derrière la porte, 1948, John Huston, engagé dans l'aviation, était devenu un cinéaste mili­taire. À la fin de la guerre, il réalisa un film sur le traitement psychiatrique des blessés de guerre, Que la lu­mière soit, qui lui donna l'occasion de s'initier à la technique de l'hypnose.

Est-ce l'effet de cette découverte ou celui de la longue pratique freudienne qu'on lui attribue[4], l'envie vint à Huston de faire un film sur l'époque héroïque où, renonçant à l'hypnose, Freud découvre, non, invente plutôt, ou crée, avec difficultés, victoires et remaniements, la théorie psychanalytique.

 

Splitscreen-review Image de Freud, passions secrètes de John Huston

C'est à Sartre que Huston demande un scénario, en 1958. Sartre envoie à la fin de l'année un synop­sis, qui est accepté. Il écrit alors une version jugée trop longue. Il accepte des conces­sions, envoie une seconde version, plus longue encore ! Finalement, ce sont les professionnels de Hollywood qui réduisent le scénario et Sartre exige que son nom ne figure pas au générique.

J'ai vu et revu ce film. Michel Onfray n'avait pas encore déboulonné le patriarche et pour moi Freud a gardé le beau visage tourmenté de Montgomery Clift, le cow-boy de La rivière rouge, le désaxé des Misfits, et ce regard si étrange, halluciné, qui soudain s'anime dans une scène qui n'a ces­sé de me réjouir, qui suggère l'allégresse de comprendre. C'est sans doute ce qui est si particulier à ce film : l'histoire qu'il raconte est celle de la formation d'une théorie. Avec, comme bonus, une his­toire d'amour ! Amour de transfert, évidemment, entre Cecily (Suzannah York) et Freud (Montgomery Clift). Cecily présente tous les traits d'Anna O., la malade de Breuer, qui inventa l'expression « talking cure » et dont les symptômes sont décrits dans les Études sur l'hystérie[5].

Splitscreen-review Image de Freud, passions secrètes de John Huston

 

Et pourtant, pas plus que ce qui se passe dans la cure elle-même, la chose théorique n'est de l'ordre du visible ! Et le cinéma que se faisait Claude Nougaro sur l'écran noir de ses nuits blanches n'avait rien d'une théorie. Tout se complique au fond quand le cinéma devient parlant : il pourrait sembler que c'est alors qu'il devient possible de figurer la « cure par la parole » mais paradoxalement n'est-ce pas le film muet de Pabst qui en dit le plus long ?

[1]    D'après R.W. Clark : « Sigmund Freud, » cité par P. Lacoste, p.54

[2]     dans « L'étrange cas du Professeur M. - Psychanalyse à l'écran - » édité par Gallimard en 1990 dans la collection  «Connaissance de l'Inconscient» dirigée par J-B Pontalis. Série : curiosités freudiennes.

[3]    Berliner Zeitung, 25 mars 1926, cité par P. Lacoste, p. 90

[4]    Cf Dictionnaire du cinéma, s/s la direction de Jean Loup Passek, art. Huston, p. 335

[5]    Studien über Hysterie, 1895

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