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Persona 5 - Dans l'esprit de Tokyo

Publié par - 25 mars 2019

Catégorie(s): Jeux vidéo

Le Japon est sans aucun doute l’un des pays les plus intrigants au monde. À partir des années 1980, la jeunesse occidentale s’est laissée gagner par les mangas, les dessins animés et les jeux vidéo qui sont autant de fenêtres ouvertes pour permettre de jeter un regard curieux sur le pays du soleil levant. Ainsi, au fil du temps, la culture nippone fut l’objet d’un véritable engouement autant en Europe qu’aux États-Unis. Les particularités du Japon fascinent tandis que les influences occidentales sur le quotidien des Japonais occasionnent d’étranges greffes culturelles. De l’extérieur et en observant de manière superficielle les réalités japonaises, la société nippone, très codifiée et très hiérarchisée, semble maintenir une paix sociale que le monde entier pourrait lui envier. Le Japon a également l’un des taux de criminalité les plus bas au monde. Mais tout n’est pas rose au pays des cerisiers en fleurs. Il existe un revers sombre que nombre d’artistes cherchent à révéler dans leurs œuvres. Parmi celles-ci, il en est une qui sonde en profondeur les logiques sociales et politiques japonaises à partir d’une étude comportementale, il s’agit de la licence Persona.

Persona est une série de jeux où chaque volet explore, influencé par les théories de Carl Gustav Jung, le côté obscur de l’archipel nippon. Persona se propose de fouiller bien au-delà du masque de dignité que chaque japonais semble devoir porter. Le dernier opus en date, Persona 5, est archétypique des intentions, de la grille de lecture et des outils utilisés par cette licence.

Chacun des jeux de la série présente des jeunes japonais, lycéens en général, qui découvrent l’existence d’un monde parallèle, très lié au nôtre, emplit de créatures fantastiques. Ces dernières ont des aspects et noms inspirés d’êtres mythologiques empruntés à toutes les cultures du monde (Odin, Phoenix, Anubis, Amaterasu…) et sont sensés être le fruit des états psychiques de l’humanité. Les héros sont donc capables de plonger dans une matérialisation du fameux Inconscient Collectif, peuplé d’archétypes et de symboles, décrit par Jung. L’influence du fameux psychanalyste se retrouve d’ailleurs dans le nom de la licence lui-même.

Chez Jung, le mot Persona désigne la personnalité socialement acceptable que chacun doit assumer afin de s’insérer dans le tissu social. Mais il n’est pas le vrai Moi et si les frontières entre les différents « rôles » que chacun se fabrique se brouillent, on est alors plus proche du Faux-Self de D. W. Winnicott. Toute la licence se structure autour de la quête du Moi situé au-delà de la Persona des protagonistes. L’aventure démarre avec une forme de prise de conscience de la différence entre les deux concepts et la découverte de la puissance cachée derrière le masque de la persona (terme qui désignait, avant Jung, les masques qui recouvraient le visage de comédiens). Les protagonistes de Persona 5 en portent tous littéralement un dans l’autre monde et le retirent lorsqu’il faut lancer des sorts contre leurs ennemis.

Dans ce jeu, les héros sont des lycéens tokyoïtes unis par la volonté de résoudre des crimes commis en toute impunité par des personnalités connues. Le spectre est vaste et couvre une faune qui s’étend de leur professeur de sport au patron d’une mégacorporation. Si ces derniers semblent respectables en apparence, ils cachent en réalité des attitudes ignobles. Le professeur de sport, ancien médaillé d’or olympique, est respecté de tous, collègues comme parents d’élèves, qui voient en lui un atout merveilleux pour l’école. Mais en réalité, celui-ci profite de sa réputation pour commettre des actes violents et pervers envers ses élèves dont la parole ne vaut rien face à la sienne.

Les protagonistes se servent alors de leurs aptitudes pour explorer des Palaces (représentations de la psyché tordue de leur cible dans l’autre monde) afin d’y récupérer un trésor (un symbole en réalité) qui est le pilier de leur perversion. Le voler permet de libérer la conscience morale des criminels et de les pousser à confesser leurs crimes. L’exploration de ces esprits malades autorise les héros à découvrir ce qui conduit ces individus malades à perpétrer les actes qu’ils commettent et d’observer comment leur inconscient perçoit le monde qui les entoure. Les protagonistes jouent ainsi les voleurs au grand cœur, d’où les références à Arsène Lupin, Robin des bois et autres pirates, pour explorer les tréfonds obscurs de l’esprit et ramener une forme de justice dans une société qui les marginalise pour diverses raisons. Le jeu se déroule dans une atmosphère Jazzy. Visuellement, la présence des ombres et du clair-obscur est magnifiée pour revendiquer une influence venue directement des Films Noirs américains.

Les protagonistes de Persona 5 cherchent donc à faire tomber les masques pour révéler les terribles vérités dissimulées derrière l’apparence d’une société paisible. C’est une idée qui semble parfaitement adaptée à la critique de la société japonaise. La rigidité de ses normes sociales est ainsi dénoncée comme la source d’un renforcement de la Persona chez tous les Japonais. Ceci entraîne alors un affaiblissement du rôle de l’individu et des principes de justice et de vérité sacrifiés au nom de la paix sociétale. Chacun garde ses blessures spirituelles pour lui, derrière le masque, jusqu’à ce qu’elles s’infectent, contaminent le Moi et fassent naître une personnalité inconsciente déviante. Le joueur, lui, fait une expérience différente. À travers les interactions entre son avatar et ses partenaires de jeu, il découvre que plus il passe de temps à communiquer, plus les joueurs semblent s’ouvrir les uns aux autres et, ainsi, plus ils apparaissent capables d’affronter leur passé et, finalement, de guérir. Un lien social sincère semble plus efficace que l’illusion d’une stabilité politique pour mener l’individu vers la paix intérieure.

Crédit image : Copyright ATLUS

 

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