Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

Accueil > Cinéma > The house that Jack built - Potemkine Films

The house that Jack built - Potemkine Films

Publié par - 28 mars 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

C’est peu dire que le nouveau film de Lars Von Trier, The house that Jack built, était attendu, espéré voire même redouté. 5 années se sont écoulées depuis Nymphomaniac et quelques questions subsistaient sur le devenir artistique du cinéaste danois. The house that Jack built a très vite suscité de l’intérêt chez les inconditionnels du réalisateur mais également chez ses détracteurs (de plus en plus nombreux). Sentiment qui fut amplifié par l’annonce de la sélection cannoise du film puisque le Festival fut le théâtre des frasques les plus retentissantes de Lars Von Trier en 2011 lors de la présentation de Melancholia. Insistons sur le mot « théâtre ». Lars Von Trier est très certainement le cinéaste estampillé « auteur » qui, le plus, attire autant qu’il révulse et intrigue autant qu’il exaspère pour le rôle qu'il accepte de jouer.

Il faut lui concéder tout de même, quels que soient nos sentiments vis-à-vis du cinéaste, qu’il génère des dialectiques improbables et qu’il est un personnage déroutant au regard de ses œuvres, de ses propos ou de ses attitudes. Créditons-le également d’une constante : Lars Von Trier et son cinéma ont toujours exploré des territoires délaissés par le reste de la profession. Ainsi, Lars Von Trier a très tôt endossé un rôle que personne, aujourd'hui, ne lui  conteste ou lui envie. Celui d’un cinéaste qui se plaît à produire des films que personne d’autre n’osera faire.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

On peut se méfier de l’homme, on peut regretter et honnir ses propos (préservons-nous cependant des jugements hâtifs formulés après avoir eu accès à quelques phrases décontextualisées et introduites par un discours partial), on peut rejeter sa conduite provocatrice mais il sera bien délicat de réfuter son talent et de mépriser l’artiste qu’il est. La fonction de la critique est d’estimer une œuvre à partir de ses conditions d’existence et d’émergence et de s’en tenir à observer de manière objective comment l’émotion et/ou la réflexion ont été produites. C’est donc à partir de ces principes déontologiques que nous avons reçu The house that Jack built à Cannes, lorsqu’il y fut présenté, et que nous le revisitons aujourd’hui grâce à une remarquable édition Blu-ray ou DVD que nous devons à Potemkine.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

De prime abord, l’impression cannoise se confirme. The house that Jack built semble être un film plus lisse et limpide que d'autres œuvres de l'auteur. C’est en tout cas ce que nous intime la première séquence du film introduite par un carton : premier incident. Le film baigne d'abord dans un calme apparent puis, tout s’accélère. L’univers s’indexe sur le ressenti du personnage principal, Jack (Matt Dillon). L’irruption de l’Autre dans sa vie déstabilise l’édifice. Jack, alors qu’il se rend en un lieu connu de lui seul, est forcé de stopper son véhicule sur le bord de la route pour aider une automobiliste victime d'une panne de voiture. Le film mute alors vers autre chose et, d’emblée, la conductrice a beau être interprétée par Uma Thurman, elle nous apparaît très antipathique, irritante, agaçante. Étrange sensation. C’est que l’image du film est conditionnée par Jack (sa volonté et ses sentiments). Dès que Jack déroge à ce qu’il avait prévu, le film devient plus nerveux. Le format "scope" conjugué à des cadrages de plus en plus serrés asphyxient les protagonistes et le spectateur. L’interruption du rituel dans lequel Jack s’était inscrit détruit la logique du personnage. Une autre mécanique se met alors en marche, l’évidence d’une pulsion destructrice.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

Le surgissement du monde extérieur dans le monde de Jack transforme l’atmosphère de The house that Jack built en une figure de l’insupportable. Jack n’avait pas planifié cette irruption qui s’apparente à une effraction. L’objet du trajet initialement organisé par Jack est retardé. Le déplacement rectiligne prévisible et programmé se doit désormais d’épouser de nouvelles circonvolutions qui diffèrent l’accès à l’objectif que Jack s’était fixé.

C’en est trop. La matérialisation de la frustration induite par l’apparition de la conductrice devenue un obstacle se vérifie pendant les trajets durant lesquels Jack l’accompagne, à regret, vers un possible réparateur. La discussion se précise et devient insoutenable jusqu’à l’incident 1. Était-ce d’ailleurs le premier ? Réellement ? Sans aller jusqu’à imaginer quelques crimes antérieurs, Jack a très certainement déjà été en proie à des actes ou pulsions qui, a minima, présageaient de la tournure que prend le film à partir cette première séquence.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

La suite de The house that Jack built se calque sur le fonctionnement du cerveau de Jack. Les images nous parviennent, et l’esthétique qui les accompagne aussi, par lui et pour lui. Elles illustrent littéralement sa logique et ses pensées : la simplicité et la complexité du personnage de Jack se vérifieront par l’alternance d’images d’une naïveté confondante et de plans plus composés ou plus riches de contenu. On retrouvera cette oscillation entre candeur et complexité dans le dialogue qui s’instaure entre Jack et Verge (diminutif de Virgile, celui qui accompagna Dante Alighieri aux enfers).

L’accumulation des images convoquées par l’esprit de Jack tourne à la compilation de citations. Mais il ne faudrait surtout pas imaginer que les évocations culturelles, politiques ou sociales présentes dans le film ne sont que des clins d’œil adressés à un public averti. Ce serait se fourvoyer sur les intentions de Lars Von Trier et faire injure à son intelligence. Les citations qui abondent et qui balisent le cheminement du personnage de Jack tout au long du film sont plutôt des convocations d’univers. The house that Jack built est l’occasion pour Lars Von Trier d’établir un dialogue ou un débat avec le spectateur.

La figuration d’images extraites des propres films du metteur en scène dans le flux d’informations qui nous parvient constitue une sorte de portrait en accéléré du film et de son auteur. Tous deux sont pris dans la tourmente d’un jeu médiatique aux règles abstraites. Jack, qui ne peut vivre son quotidien sans contrôler tous les paramètres de son existence, voit son horizon pollué par des faits parasites qui l’entraînent dans une spirale qui ne peut aboutir qu’en enfer. Mais l’enfer, chez Lars Von Trier, en bon existentialiste qu'il est, c’est les autres. Les autres qui le croisent et qui, par ce hasard, perturbent la trajectoire initialement prévue par Jack. Les autres qui existent et qui, de ce fait, viennent s’inscrire dans une spatialité où Jack ne les convie jamais, chez lui, dans son monde. Ainsi, aucun de ses fantasmes ne peut se réaliser.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

Jack construit une maison qu’il ne cesse de détruire et de recommencer parce que l’expérience de l’autre en métamorphose les plans, parce que son imaginaire ne peut se satisfaire de ce qui distingue la réalisation de ses intentions. Alors Jack déconstruit ce qu’il peine tant à élaborer. Virgile intervient pour lui indiquer que le matériau choisi pour bâtir l'édifice n’est pas le bon. Les travaux d’une nouvelle maison sont alors mis en chantier. Sans aide extérieure. Cette fois, il s’agira d’une maison intérieure au sens figuré comme au littéral puisqu’elle s’érige dans l’entrepôt investi par Jack. En changeant de process, Jack parvient enfin à ordonner ses pensées et canaliser la fulgurance de ses sentiments. Sa petite maison intérieure bâtie, elle lui offre un seul et unique refuge. L’enfer attend Jack.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

D'un point de vue physique, l'image de ce Blu-ray édité par Potemkine Films est tout simplement parfaite.

Pour ce qui est des suppléments, trois modules sont proposés aux spectateurs. Parmi ceux-ci, deux nous ont plus particulièrement séduits. Il y a tout d'abord un entretien avec Lars Von Trier qui, au-delà des mots, traduit avec justesse la sensibilité et le malaise qu'éprouve Von Trier chaque fois qu'il doit exprimer par les mots ses intentions de travail. Riche et particulièrement intéressant.

Autre module passionnant, un entretien avec Stéphane du Mesnildot qui revient sur les problématiques du cinéma de Lars Von Trier revisitées par The house that Jack built. Là encore, le module est riche et dense donc, forcément, très instructif.

Splitscreen-review Image de The house that Jack built de Lars Von Trier

Crédit photographique : ©2018 Concorde Filmverleih GmbH/photo by Zentropa : Christian Geisnaes

Suppléments :
Interview de Lars Von Trier (34 min)
Entretien avec Pacôme Thiellement (32 min)
Entretien avec Stéphane du Mesnildot (22 min)

Partager