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Synonymes

Publié par - 4 avril 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Il est toujours difficile de porter un regard critique sur la société dans laquelle on vit. Au-delà de la question de l’objectivité, on ne peut passer à côté de sujets brûlants où les prises de positions de l’auteur des critiques peuvent embarrasser. C’est pourtant ce que le réalisateur israélien Nadav Lapid tente de faire avec son nouveau film : Synonymes (Ours d’or au récent Festival de Berlin). Lapid abolit les frontières et les cultures, il tend vers l’universalité et observe notre époque par l’intermédiaire d’un jeune homme perdu dans sa quête d’idéal.

Synonymes nous conte l’histoire de Yoav, un Israélien tout juste débarqué à Paris qui rêve de devenir un Français. Il abandonne tout pour cela en débarquant en France muni d'un simple sac à dos, qu’il perd très vite, pour se retrouver littéralement nu dans un pays qu’il ne connaît pas. Mais Yoav n’hésite pas non plus à couper tout lien avec sa famille et ses racines puisqu’il va jusqu’à s’interdire de parler hébreux. La raison de ce renoncement se révèle à travers son passé qui semble abriter une profonde rancœur vis-à-vis d’Israël. Toutes les images qui sont associées à son pays exposent des faits violents. Parfois, les souvenirs de Yoav revendiquent une appartenance au domaine satirique comme lorsqu’il apprend à tirer et, donc, tuer efficacement au rythme d’une musique ou encore lorsqu’une cérémonie officielle au milieu d’un cimetière fait appel à des danseuses à la chorégraphie très suggestive. Le décalage est à l’image de la société israélienne telle que la perçoit Yoav : un espace violent, trivial et vulgaire.

Mais Yoav a foi en l’homme. Son idéal de civilisation s’inspire de l'Iliade d’Homère. Il s'imagine volontiers dans la peau d’Hector, défenseur de Troie face à l’envahisseur Grec. Yoav est alors convaincu que son salut passe par l’Europe occidentale qu’il imagine tournée vers la culture, les lettres et des interrogations philosophiques ou intellectuelles. En apparence, la France semble réunir tous ces critères d’excellence. Apprendre le français devient donc la priorité de Yoav. Il retient chaque mot et son sens en listant des synonymes tels que : Laid, Répugnant, Dégoûtant… La langue de Molière lui permet alors de raconter sa vie et d’exprimer tout ce qu’il ressent envers son pays et le monde qui l’entoure. Avec quelques amis parisiens à ses côtés, il progresse petit à petit mais découvre également la dure réalité du monde moderne.

Yoav voudrait abandonner ce passé et cette nation auxquels il ne s’identifie plus. Israël est selon ses dires “un pays dont le destin est condamné”. Son rêve est de se forger une nouvelle identité fondée sur un idéal de civilisation. Mais sans rien ni personne à son arrivée en France, il se doit de trouver un travail pour survivre. Même les aliments les moins chers du marché le plus miteux de France ont un coût. Le seul job qu’il réussit à trouver est celui d’agent de sécurité dans une entreprise dirigée par des Israéliens bellicistes. Lui qui voulait échapper à ses origines fait l’amer constat que seul un certain communautarisme devient sa planche de salut. Le constat fait, la trajectoire de Yoav, qui est également celle de Synonymes, prendra des allures de conte moral où, bien sûr, tout ne fera qu’empirer pour lui.

Synonymes est une tragédie avec un arrière-goût de comédie noire. Il faut une victime expiatoire dans ce type de récits et c’est sur Yoav, malheureusement, que le destin s’acharne. Lui seul semble prendre au sérieux sa quête et sa vision idéalisée, donc naïve, de la France. Ce qui le décrédibilise aux yeux de tous. Il chante avec force et conviction la Marseillaise, invective les autres pour qu’ils suivent son exemple mais personne ne le rejoint. Pire, tout le monde le raille. Partout, il n’y a que violence, sexualité exacerbée et le déni. Ses amis ignorent son appel aux valeurs civilisationnelles. Il rêvait de trouver une nouvelle identité plus proche de ses idéaux et se retrouve pourtant dans une version légèrement différente mais fondamentalement similaire du cauchemar qu’il fuyait. Une seule leçon à tirer de son errance : La France est synonyme d’Israël.

Crédit Photographique : © Guy Ferrandis / SBS Films

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