Bergman, mode d'emploi - Carlotta Films
Publié par Stéphane Charrière - 15 avril 2019
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Le coffret Bergman : mode d’emploi édité par Carlotta Films répond à plusieurs logiques qui, malgré l’intitulé du coffret, ne prétendent pas incarner une forme d’exhaustivité quant aux caractéristiques de l’œuvre du célèbre auteur suédois. Le coffret est constitué majoritairement par les films de Jane Magnusson, des documentaires consacrés à Ingmar Bergman. Le premier, une version cinéma de 117 minutes intitulée Bergman, une année dans une vie, a d'ailleurs bénéficié d'une sortie dans les salles françaises cette année. Celle-ci figure dans le coffret bien évidemment mais, pour ce qui est du contenu vidéo, on trouve également sur un second disque un document plus dense encore (près de 4 heures) qui prolonge les réflexions du film sorti sur nos écrans de cinéma : Bergman, une vie en quatre actes. Le film est chapitré comme suit : Acte 1, 1957 la folle année de Bergman ; Acte 2, Les débuts de Bergman ; Acte 3, La Bergmania ; Acte 4, La puissance et la gloire.
La version la plus longue est particulièrement attractive dans la mesure où elle répond sans doute encore plus aux intentions premières de Jane Magnusson. Car ce projet-là (elle avait, avant ce travail, déjà consacré deux documentaires à Ingmar Bergman) se structure autour d’une idée relativement simple. Quel commentaire peut-on ajouter aux études faites sur l’ensemble de l'activité cinématographique de Bergman ? Qu’est-ce qui n’a pas déjà été dit sur Bergman ? Son œuvre a fait l’objet de moult analyses des plus sommaires aux plus fouillées. Bergman est sans doute l’un des cinéastes dont les créations filmiques furent les plus commentées de l’histoire du cinéma.
Jane Magnusson, visiblement de manière obsessionnelle, éprouvait le besoin de revenir à Bergman. Mais comment proposer quelque chose de nouveau ? Quelque chose que nous ne savons pas encore sur le cinéaste suédois ? Ses films illustrent à leur manière ces questions et ils osent formuler une ou plutôt plusieurs hypothétiques réponses : puisque tout a été dit sur l’artiste qu’était Bergman, tentons d’observer quel homme était cet artiste.
L’homme, il est vrai, se prête à l’exercice. On connaît plus ou moins ses frasques extra-conjugales, ses obsessions nutritives ou ses exigences professionnelles mais comment cela se manifestait-il au quotidien ? Au regard de l’œuvre, de sa beauté, de sa profondeur, du niveau d’excellence des films sur la durée, l’homme a de quoi intriguer. Si l’œuvre bergmanienne peut se résumer à une observation de la comédie humaine traversée par des questionnements philosophiques, des fulgurances formelles et des constructions dramaturgiques exceptionnellement travaillées, alors l’homme qui en est à l'origine mérite une attention particulière.
Ce coffret Bergman aspire donc à ne pas commenter l’intégralité de la filmographie ou les problématiques du cinéaste mais à approcher l’homme sous l’angle de la chronique. En fonction des connaissances cinéphiliques du spectateur, l’intimité du cinéaste décrite ici vient s’ajouter à la somme des acquis pour affiner le portrait de Bergman. Le point de départ de la réflexion de Jane Magnusson est l’année 1957, sans aucun doute l’année créative la plus prolifique de Bergman tant au niveau qualitatif que quantitatif.
L’année cristallise à peu près toutes les orientations artistiques de Bergman. Au cœur de l'un de ses films les plus célèbres, Le Septième sceau, un chevalier revient des croisades et cherche à obtenir des réponses quant à ce qui a pu motiver et légitimer ses actes. Dans Les fraises sauvages, un vieil homme, professeur de son état, atteint, au crépuscule de son existence, la reconnaissance de ses pairs et effectue en compagnie de sa belle-fille un voyage qui lui permet de faire le point sur sa vie. La carrière filmique de Bergman se construit autour de la figure de l’intime puisque l’idée ou l’envie de film viennent, comme il le disait lui-même, de ses « images ». Le terme « d’image » ici appartient au champ du fantomal, il est une émanation de tout ce qui habite et hante Bergman.
Alors comprenons qu’un film de Bergman est avant toute chose un film sur lui. Enfin sur l’homme et sur l’artiste. Sur l’homme qui a été rongé par l’artiste car le travail de Jane Magnusson tend à expliciter que l’individu Bergman était complexe, attachant et repoussant, le tout en même temps. L’homme n’a peut-être rien d’attrayant de prime abord mais il ne faut pas perdre de vue que cet homme, à travers ses qualités et ses défauts, est à l'origine de cet artiste, de ce cinéaste. À la lecture des images proposées dans ce coffret, Bergman paraîtra irritant à certains mais il ne faut jamais perdre de vue que ce n’est pas l’homme qui vous invite à un étonnant voyage qui questionnera votre intelligence et/ou votre sensibilité mais bien ce metteur en scène nommé Ingmar Bergman.
C’est d’ailleurs en ce point bien précis que Bergman attire la sympathie du spectateur. Car finalement, pour nous, Bergman restera Bergman. Cet homme qui n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il réalise des films, lorsqu’il dirige un plateau de tournage ou des répétions théâtrales.
Le coffret s’accompagne d’un livre, Abécédaire Ingmar Bergman A-Ö, placé sous la direction éditoriale de Martin Thomasson. L’ouvrage est dans la continuité des films. Il propose des entrées qui permettent l’accès à l’homme et à l’œuvre et qui assument la vulgarisation qui les caractérise. Certaines entrées sont évidentes (Auteur, Angoisse existentielle, Biographie, Mort, Visage, Religion, Lanterne Magique...), certaines surprennent (Caméo, Oreille, Jaws, Parodie...) ou, d’autres encore, attisent la curiosité en cultivant le mystère (Zzz, Papier peint, Design nordique, Phonophobie, Snapsvisa, Yesterday…). Toutes ont le mérite de pouvoir être consultées indépendamment et dans l’ordre qui convient au lecteur. Toutes ont le mérite d'être explicites mais toutes ne passionneront pas forcément le lecteur. Il faut se laisser gagner par le jeu de la satisfaction et/ou de la déception qui rejoint en bien des points le rapport que le public entretient avec Ingmar Bergman. Il en résultera inévitablement un plaisir de la découverte ou de la redécouverte.
Ce coffret Bergman, mode d’emploi est un véritable objet qui répond à des obsessions fétichistes qui, généralement, se rapportent à la cinéphilie. Il est vrai que le pari, réussi, de Carlotta Films d’éditer ce coffret autour de la personnalité de Bergman concilie différentes approches possibles du cinéma : la découverte, l’évocation de pistes de lecture d’une œuvre foisonnante et la possibilité aux adeptes du cinéaste ou aux amateurs de films de poursuivre, de manière ludique, leur collecte d’informations sur l’un des plus grands cinéastes de tous les temps.
Crédit photographique : ©AB/SvenskFilmindustri
Suppléments (en HD uniquement sur la version Blu-ray) :
Blu-ray ou DVD 1 :
Vox Lipoma (2018 – N&B – 11 mn)
Court-métrage d’animation réalisé par Jane Magnusson.
Bande-annonce.
Inédit en France et exclusif au Coffret Collector Limité :
ABÉCÉDAIRE | INGMAR BERGMAN A - Ö sous la direction éditoriale de Martin Thomasson (144 pages)