Splitscreen-review Image de Monrovia Indiana de Frederick Wiseman

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Monrovia, Indiana

Publié par - 26 avril 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Avec Monrovia, Indiana, Frederick Wiseman se livre à une nouvelle étude de cas qui permet d'approcher les réalités de l'Amérique pro-Trump. Il choisit cette fois un nouveau décor, la ville de Monrovia. La caméra observe une Amérique majoritairement blanche, conservatrice et qui se replie sur elle même dans un élan de protectionnisme.

La ville s'organise autour de quatre entités : l’église chrétienne, l'école, l'agriculture et les institutions municipales. L'église prend plus de place que les autres parties structurantes de Monrovia. Elle s'immisce dans la vie quotidienne de chaque habitant. Elle rythme la vie de chacun par des étapes importantes que filme le réalisateur : le mariage, une cérémonie franc-maçonne (ordre pourtant traditionnellement athée) ou encore la mort à travers un enterrement. Ces différentes phases de la vie locale balisent, via le montage, la progression filmique. Lorsque l'église n'est pas directement impliquée dans les images du film, elle n'est jamais très loin. On notera à cet effet la présence métaphorique de celle-ci lorsque Wiseman filme la foire aux tracteurs. Les annonces du speaker ressemblent à des prières alors que l'homme se positionne sur une "chaire" de fortune. Du fait de la situation géographique de Monrovia, l'agriculture et donc la ruralité revêtent la même importance que l'église pour les habitants.

L'observation du pouvoir politique est un autre sujet important du film. En effet, les deux conseils que suit le réalisateur sont à mettre en parallèle avec les deux organes du Congrès américain : le Sénat et la Chambre des Représentants. Ces deux conseils, qui reviennent plusieurs fois pendant le film, sont animés des mêmes courants de pensée. Le protectionnisme de nouveau d'actualité depuis l'élection de Trump se manifeste, par exemple, lorsque certains membres de la communauté souhaitent limiter l'agrandissement de la ville et se montrent hostiles à la création d'une bretelle d'accès autoroutière pour éviter l'arrivée de nouvelles personnes. Au sein de ces conseils un autre aspect de la politique américaine exacerbé sous l'administration Trump s'exprime, le conservatisme. Les habitants souhaitent maintenir Monrovia dans un état qui la situe hors du temps et de la marche de celui-ci.

Ces positions politiques font écho à la nostalgie que certains citoyens expriment et notamment un des professeurs du lycée. Celui-ci fait un cours sur les anciennes gloire de l'école, des gloires qui datent déjà de presque un siècle, une époque où Monrovia brillait sur les terrains de basket.

Dans une autre scène au lycée, celle où la fanfare reprend des génériques de films et de séries, le réalisateur capte les visages fatigués, déprimés des parents. Ces mêmes visages qui sont visibles durant la foire aux engins agricoles. Ces visages racontent la dureté d'avoir vécu dans ce pays qui a traversé, comme le reste des États-Unis, des crises économiques, politiques et sociales.

La photographie du film est splendide. Certains plans sont proches de l'esprit qui animaient certaines photographies de Walker Evans. Le but est le même : donner un visage à une Amérique qu'on ne voit pas parce qu'elle est délaissée par les médias et les politiques. Le résultat est saisissant : l'autre existe.

Monrovia, Indiana est une pause, une expérience filmique hors du temps qui ne livre son analyse, avec brio, qu'à la fin de la projection. Quand le spectateur peut enfin comprendre le puzzle concocté par le réalisateur sur sa table de montage, le lieu où Wiseman fabrique réellement ses films comme il le déclare systématiquement. Monrovia, Indiana adresse un regard réflexif à l'Amérique qui a voté Donald Trump mais sans jamais la juger. Le film s'inscrit dans la continuité de son étude sociologique des États-Unis. Monrovia, Indiana prolonge la réflexion ou se développe comme un chapitre qui complète ses précédentes œuvres : Ex Libris : The New York Public Library, Public Housing ou encore At Berkeley... Une fois encore, il infiltre les institutions qui composent le lieu qu'il filme pour mieux comprendre l'organisation de la société américaine et les dynamiques sociales et politiques qui la régissent.

Crédit photographique : Copyright Météore Films

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