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Le territoire sans la carte

Publié par - 2 mai 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

La vibration, l’onde, la composition. Voici les trois mots proposés à l’artiste Chourouk Hriech à l’origine de son installation au deuxième étage du M.A.C. de Lyon. Elle ne sera pas la seule, six autres artistes dans cinq espaces (il y a un binôme) vont composer tour à tour, le temps de leur résidence au musée. Chacun reprendra les indices laissés par le précédent afin de raconter une histoire, une Storytelling. Pour chaque œuvre deux cartels, l’un justifiant la démarche de l’artiste à partir des indices laissés et l’autre, un descriptif de l’œuvre. Un seul cartel pour Chourouk Hriech, puisque c’est la première, et un terme qui questionne : la déterritorialisation.

Le concept d’abord philosophique a été formulé au début des années 1970 par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Ils prônaient l’idée de mouvement, de mutation de tout processus qui, sorti d’un contexte, donc déterritorialisé, en créerait un nouveau par de nouvelles mises en relation : il y aurait alors reterritorialisation. La démarche appliquée aux arts plastiques semble aussi commune à bon nombre d’artistes. Sans remonter jusqu'aux pratiques les plus radicales des ready-made initiés par Marcel Duchamp, aux collages dans le mouvement surréaliste ou, plus près de nous, au recours de Photoshop, l'insertion d'éléments dans un contexte autre est une pratique courante chez les plasticiens, même à des degrés moindres. À partir d’un contexte particulier qu’elle expérimente comme se déplacer dans un quartier au plus près de chez elle ou dans un paysage de littoral lors d’un voyage plus lointain, Chourouk Hrich en extrait certains éléments. Elle insiste d’ailleurs sur tout le travail préalable de croquis, prise de photos et de notes écrites nécessaires. Mais la restitution la plus fidèle possible de ce que l’on perçoit n’est pas qu’une simple duplication. Il y a le filtre de l’artiste, il fait écran et donc déforme et réinterprète de manière systématique. C'est ce que le cartel semble nous faire comprendre par l'emploi des mots « l’expression d’une déterritorialisation » pour qualifier le travail de l'artiste Chourouk Hriech. Dans son atelier, elle retravaille ses croquis, ses notes, ses photos avec sa sensibilité propre. Elle les transforme donc. Elle est à l’origine d’un autre monde, plus personnel, son monde.  « L’art ne reproduit pas le visible, il le rend visible » disait Paul Klee. Quoi de nouveau alors si la démarche n’est pas si originale ? Ce sont les choix de certains éléments qui importent. Ceux sur lesquels l’attention de l’artiste s’est focalisée.

Dans le cas de l’installation de Chourouk Hriech, rappelons que trois mots lui ont été proposés : la vibration, l’onde, la composition. Les deux premiers mots évoquent des fréquences émises, des sons et ce n’est pas ce qui manque au musée, il suffit de descendre d’un étage. Ces mots se réfèrent aux temps ou plutôt aux différentes temporalités de l’installation, elles sont au nombre de trois. Le dernier mot évoque les espaces ou plutôt les territoires qui sont des espaces délimités, aménagés, donc produits par l’homme. Commençons par les espaces.

On l’a déjà dit, cela se passe sur les murs. Une grande fresque dans le coin de l’installation capte notre regard. Une perspective de petits carreaux noirs au sol nous guide vers une fontaine à oiseau dans un patio, trois pans de murs sont percés de cinq ouvertures à frontons triangulaires et encadrées de colonnes qui donnent sur l’extérieur, cinq échappées possibles sur des paysages marins ou lacustres. Un paysage domestique à connotation très méditerranéenne mélangeant différents éléments architecturaux empruntés à des civilisations telle que l’Antiquité, certains sont difficilement identifiables parce que créés par hybridation. Ces mêmes paysages apparaissent plus loin sur le grand côté droit du mur. Cinq longues bandes noires et blanches déclinent ces motifs. De la végétation omniprésente, des littoraux, des formes architecturales plus contemporaines et indéterminées, puis la végétation seule. Ces bandes sont dégressives comme si l’inspiration se tarissait à réutiliser les mêmes motifs et que le territoire devenait peau de chagrin.

Dans Paloma, les motifs méditerranéens sont encore plus manifestes avec une jarre renversée, des barques, des arcs en ogive. Le support n’est plus un mur, mais quatre bandes de papier suspendues qui s’enroulent dans le bas comme des lés en tapisserie qu’on n’aurait pas fini d’enduire de colle. Un chantier non achevé. Comme si l’inspiration venait à manquer, une lassitude soudaine et que l’artiste laissait en l’état. Comme si l’expérience de se mouvoir dans l’espace et s’en imprégner comme une éponge arrivait, pour l’artiste, à son terme. Et qu’elle avait fini de tout restituer et transformer. La fin d’un cycle, de déterritorialisation et de reterritorialisation.

Cette expérience du monde, sa pratique, demande du temps. Dans les interviews, l’artiste insiste beaucoup sur la lenteur d’exécution requise par le dessin qui l’oblige à procéder par strates successives. Un travail de patience. Il en faut beaucoup, mais il est si variable ce temps, enfin ces temps, ces trois temporalités. Faire preuve de disponibilité et se conformer aux temps que Chourouk Hriech nous propose. D’abord visionner deux vidéos dans leur intégralité. En tout près de 20’, sans compter la dernière œuvre. Et là, ça sera plus ou moins long.

La première, Bird’s Fountain dure 4’15’’. Une jeune femme brune vêtue d’une tunique blanche fait des tours sur elle-même. Elle conserve la même posture et à chaque tour achevé, son regard nous fixe. De l’eau tombe dans un pot à anse déjà plein, elle déborde et coule sur sa tunique avant qu’une eau noirâtre au débit plus fort ne se répande sur tout le côté gauche de cette comme déesse. C’est un temps très ancien presque immémorial. Par son antériorité, ses références à l'Antiquité, elle est la matrice de toutes les compositions de l’installation.

La deuxième dure 14'15'', elle s'intitule Effeuillages et si l’écran ne faisait pas saillie au sol, on aurait pu marcher dessus, le fouler sans s’en rendre compte. Un temps éphémère comme la pratique de cette jeune femme dans une piscine à remous. Certainement l'artiste. Elle dessine de mémoire des fleurs en posant un calepin sur sa tête. Treize dessins qu’elle détache et laisse flotter à la surface de l’eau. Certains auréolés par l’eau correspondent à ceux exposés sur le mur de droite. C'est un temps éphémère, celui Dans le sillage d'une journée, celui de l'immédiateté, qui se fait et se défait sous nos yeux, à l'instant.

 

Pour Ailleurs, qui n'est pas une vidéo mais c'est tout comme, il faut se faire voyeur. C'est nous qui décidons de la durée d'observation. Qui forçons notre vue pour nous concentrer tour à tour sur trois maigres orifices au centre de panneaux de bois bleu pâle. De petites photos au liseré blanc dentelé montrent un paysage méditerranéen qui fait encore écho aux murs peints. Une barque à la voilure ramenée sur le mât est accostée au rivage, ensuite deux photos de femmes sur une terrasse et sur le perron d’une maison. L’ensemble est très nostalgique, années trente ou juste après guerre. On se plaît à imaginer des gens aisés, à supputer des filiations, à même tenter de localiser, mais c’est difficile. Alors on lève les yeux parce qu’on a trop forcé notre vue, il faut dire que c’est si petit et on voit de longues bandes bleues pâles s’alternant sur un fond blanc. Des bandes verticales de largeurs variables, dégressives, comme des pointillés. Comme un temps étiré, diffus ou au contraire accéléré, étriqué. Un temps hybride, entre le long et le court, qui ne dépend que de nous. Ce qu’on a oublié, ce que nous-mêmes nous aurions pu rajouter. L’installation n’est pas close. C’est une invitation à faire à notre rythme. Entre les hachures, sur les blancs laissés, il y a de la place pour nous, pour une autre histoire : la nôtre. D’ailleurs l’artiste nous y invite sur une musique au piano de Chopin. Et puis deux voiles blancs comme des blouses sont suspendues contre un mur tout noir, à notre portée, juste à la sortie. À notre tour.

Crédits photographiques :

Vue de l’exposition Storytelling au MAC Lyon. Œuvres de Chourouk Hriech Courtesy de l’artiste et Galerie Anne-Sarah Bénichou, Paris. photo Blaise Adilon © Adagp, Paris, 2019

Chourouk Hriech, Vue de l'exposition Le dessin, autrement, Galerie de l'Etrave, 2017. Photo : Annik Wetter © Adagp, Paris, 2018.

Storytelling du 8 mars - 7 juillet 2019
Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 18h.
Fermeture des caisses 15 minutes avant la fermeture du musée.
Tarif normal : 8 €
Tarif réduit : 4 €
- Jeunes de 18 à 25 ans révolus
- Employés des Offices de Tourisme (carte UDOTSI)
- Pass annuel du Musée des Confluences
- Détenteurs du pass annuel du musée gallo-romain de Fourvière

Gratuité
(sur présentation d’un justificatif)
- Moins de 18 ans
- Personnes en situation de handicap et leur accompagnateur
- Demandeurs d'emploi
- Bénéficiaires du RSA et minimas sociaux
- Personnes non imposables (du fait de leurs revenus)
- Employés et retraités de la Ville de Lyon, du Conservatoire à rayonnement Régional et ENSBAL
- Journalistes
- Carte ICOM ou ICOMOS
- Conservateurs et guides conférenciers
- Adhérents MAPRA ou Maison des Artistes
- Militaires du plan Vigipirate au repos.
- Lyon City Card

À savoir : gardez bien votre billet d'entrée ! Il donne droit à un accès supplémentaire entre le 2 mai et le 7 juillet, pour suivre l'évolution de l'exposition.

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