Là où les enfants jouent, un trésor est enfoui. Nous sommes en Biélorussie, en 1943. Deux enfants jouent sur un champs de bataille. Ils cherchent des trésors. L’un deux, Fliora, déterre un fusil, son ticket gagnant pour rejoindre avec fierté le camp des partisans et lutter contre les nazis. S’ensuit alors une errance dans l’horreur absolue de la guerre. Entre carnages, résistance et survie, Fliora devient acteur et témoin des atrocités de l'une des périodes les plus sombres de l’histoire. Ainsi s'installent les enjeux narratifs de Requiem pour un massacre réalisé par Elem Klimov.
« Il ne s’agit pas ici de faire du cinéma » s’inquiète le réalisateur Elem Klimov. Requiem pour un massacre dépeint la guerre comme elle est, c'est-à-dire un traumatisme pour quiconque s'y trouve mêlé. Klimov a vécu la guerre pendant son enfance à Stalingrad et il ne peut chasser de son esprit les souffrances éprouvées. Des années plus tard, en 1985, après une brillante carrière cinématographique, Klimov s’attelle au projet le plus ambitieux de sa vie, celui qu’il a en tête depuis ses 18 ans, Requiem pour un massacre.
Klimov était adolescent pendant la guerre. Il y a donc une certaine logique à ce que le cinéaste choisisse le jeune Alexei Kravtchenko pour interpréter le rôle difficile de Fliora, l'enfant qui sera le témoin des atrocités de la guerre et le passeur des images qui témoignent de cette horreur. Fliora perd la raison au fur et à mesure qu’il s’enfonce, arme à la main, dans les paysages meurtris de la Biélorussie. L’avion qui le survole tout au long du film, faisant trembler le ciel de son bruit sourd, le rend de plus en plus fou. Parmi les actes barbares dont il sera le témoin, le massacre de sa famille marquera une rupture dans la dramaturgie. C'est le point de non-retour. Pourtant Fliora rit souvent. Ici, le rire n’est pas salvateur mais bien un indice de gradation de la folie qui s'empare du jeune garçon.La première partie de Requiem pour un massacre décrit Fliora souvent en forêt, caché derrière des branches, des feuillages. Comme chez Akira Kurosawa, Klimov utilise le végétal pour piéger ses personnages derrière les arbres de la forêt et la toile que tissent les branches. La forêt devient une figure de l'aliénation et matérialise la folie ambiante qui dicte sa loi aux individus. Pourtant, dans cette première partie de Requiem pour un massacre, Fliora vit des moments de grâce. Il rencontre la belle Glasha à la beauté évanescente et ce moment contraste avec les horreurs qu’ils vivent. Fliora secoue les arbres comme un forcené pour faire tomber de l’eau. Le temps d’un arc-en-ciel, la joie, l’amour peuvent donc surgir même de là où la barbarie prend forme.
Elem Klimov choisit d'adopter un point de vue naturaliste pour dessiner l'univers de Requiem pour un massacre. Klimov va jusqu’à filmer certaines scènes de combats en utilisant des balles réelles. Le son est terrifiant. D’ailleurs, les traitements sonores et visuels se rapprochent parfois plus de la science-fiction que du film de guerre. Venue d’un autre monde, la violence que l’enfant ne comprend pas doit pouvoir s’expliquer par quelque chose qui se situe au-delà de l’humain.Requiem pour un massacre se situe entre naturalisme et science fiction. De fait, on pense à un autre réalisateur russe : Tarkovski bien sûr. L’Enfance d’Ivan pourrait être le grand frère de Requiem pour un massacre. On songe également à Tarkovski car, ici, le cinéma fonctionne comme une machine à remonter le temps pour ne jamais oublier. Mais il n'est pas si audacieux que cela de penser que cette nappe de mémoire que constitue Requiem pour un massacre œuvre à formuler un rêve qui permettrait de gommer des mémoires la guerre et ses horreurs afin d'envisager ou de formuler le rêve qu'elle ne se soit jamais produite. Qui donc le jeune Fliora assassine-t-il ? Notre mémoire ? Devrait-on assassiner l’enfant que fut Hitler si on le pouvait ? Le cinéma, plus qu’un devoir de mémoire, sert sans cesse à nous questionner.
Le dernier plan de Requiem pour un massacre suit le cheminement initiatique de Floria et accompagne, à la steadycam (savamment utilisée tout le long du film), le groupe de partisans qui s’enfonce dans la forêt. Et comme dans L’aurore de Murnau, la caméra s’échappe du peloton pour faire un détour par les bois. C’est là le témoignage de l’essence du cinéma, l’écriture en mouvement, le corps qui suit un chemin tout tracé tandis que l’esprit, lui, s’évade.
Crédit photographique : Copyright Drop-Out Cinema eG