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Désirs publics et discours refrains

Publié par - 13 mai 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

Respectant le principe du cadavre exquis, le binôme Lou Masduraud et Antoine Bellini pose deux questions à Chourouk Hriech, la première artiste invitée parmi les sept à exposer au M.A.C. de Lyon. Il s’agit pour eux de comprendre son processus de création afin de créer à leur tour : il leur faut un fil conducteur. Ses réponses apparaissent sur un cartel à côté de celui présentant le travail des deux plasticiens. Chourouk Hriech rappelle l’importance du vécu de l’artiste, de son passé. Par le dessin, elle dit créer des formes “qui ne sont pas imaginées mais fantasmées”. C’est donc une projection avec le désir de rendre plus visible ce qui l’anime. Ce qui stimule Chourouk Hriech , c'est de mettre en scène des éléments du passé sans forcément tout maîtriser parce que des choses peuvent lui échapper et en tout cas advenir, et c’est peut être ce qu’elle recherche : faire advenir. Le résultat tient alors dans une installation. C’est un présent qu’elle soumet au regard des visiteurs. Ceux-ci vont à leur tour suggérer, ils poursuivent le travail de l’artiste en mêlant leurs propres vécu et affect. Ils prolongent l’œuvre dans le futur. C’est donc un temps cyclique fait de déterritorialisation et de reterritorialisation. Chourouk Hriech insiste sur l’expression “la pratique des mondes”, celle qui multiplie les angles d’interprétation. Le processus semble sans fin.

Chez Lou Masduraud et Antoine Bellini, c’est aussi cyclique mais en plus court. Un temps plus ramassé et un temps qui tourne en boucle, enfin en rond. Il suffit de se rapprocher d’un drôle de duo pour que la musique qui accompagne la vidéo Effeuillages dans l’installation de Chourouk Hriech, une Nocturne de Chopin, cesse. Il suffit de se placer entre nos deux causeurs et de les écouter. Il y est question de choix d’existence, d’insignifiance et de dérisoire des vies à cause de la mort, de la difficulté de se réaliser, de mener à bien de grands projets, et tout à trac d’amour, d’entraide et d’amitié, d’histoires collectives et de tyrannies normatives. Des questions existentielles. Les propos auraient pu être tenus quelle que soit l’époque. Certains nous ramènent au monde contemporain par un rapide questionnement sur Internet, le féminisme et l’écologie. L’installation se nomme Désirs publics et discours refrains. Désirs publics parce que tenus dans une ruelle, une ruelle reconstituée, comme si ces conversations étaient portées par bon nombre de personnes, des désirs tenus en laisse depuis bien longtemps, de tout temps et que ces deux jeunes personnes se livrent à nous. Il suffit pour cela de s’immiscer entre elles et d’être patient pour tout écouter. Oui, bien les écouter. Elles sont jeunes, habillées d’un jean bleu. Seul un liseré rose marquant le bas du dos nous permet d’imaginer le reste du corps. Le garçon et la fille sont assis de biais, ils se regardent donc, lui un peu plus fort qu’elle par la taille de son bassin. Ce sont deux céramiques bleues qui représentent deux postérieurs. À l’intérieur, deux sphères diffusent leur conversation. Les enceintes donnent sur l’extérieur, comme si la conversation ne devait pas rester anonyme. Ils sont tour à tour déprimés par leur existence bien que le garçon soit moins pessimiste et tente de trouver des raisons pour garder espoir. Le grand sujet est donc la déprime.

Il faut dire qu’à leur décharge, le lieu les y incite. Un endroit cafardeux et lugubre. Une ruelle reconstituée. Du gris au sol et sur trois marches d’escaliers qui ressemblent à un palier d’immeuble éclairé par un gros lampadaire pas du tout design, ressorti de chez un antiquaire. Du jaune pâle pour les murs. C’est donc vieux, mais pas ancien. Et c’est un temps court et ramassé avons-nous dit. Ce sont trois temporalités successives. “Un avant” dans le coin de la ruelle, on y trouve un soupirail au sol obstrué par un sac plastique et une canette écrasée, une inscription annonce “Longue nuit”. Le coin est comme à l’abandon, en friche. Des bribes d’herbes séchées jonchent le sol et ce un peu de partout. On apprend qu’il s’agit du millepertuis, une plante reconnue pour ses vertus anti-dépressives. L’endroit n’est pas abandonné pour autant. Des bouteilles d’eau de 50 cl sont disposées à l’intérieur d’une cloison qu’on peut observer à partir de deux soupiraux. Il y a sept bouteilles en tout. Une lumière bleue, très crue, éclaire la structure intérieure faite de liteaux pour maintenir le mur. C’est presque organique, c’est la matrice de l’œuvre, c’est peut être de là que tout vient. On se dit que l’endroit est encore fréquenté, les gens sont juste partis, un emballage de sandwich le suggère aussi, sans oublier la bouteille d’eau. C’est “un juste avant”. Et puis il y a ces deux voix du palier qui discutent du monde et de ses vicissitudes et le monde qui continue de tourner. C’est pour cela que la discussion tourne en rond, elle ramasse ces trois temps si proches :

“avant, juste avant et maintenant”, enfin plutôt toujours. C’est une litanie qui est déroulée par les voix. Une sorte de complainte avec des pointes de désespoir et d’espoir. C’est sans fin.

Pas d’échappées possibles comme chez Chourouk Hriech avec les murs peints où cinq ouvertures donnent sur un paysage méditerranéen. Chez Lou Masduraud et Antoine Bellini, l'espace est fermé. Il conditionne les trois temporalités, les précipite, les pelotonne comme dans une boule. Chez Chourouk Hriech, seuls trois petits trous percés dans des panneaux de bois donnant sur des photos nous contraignent à forcer notre vue, tandis que le mur alterne bandes bleues pâles dégressives sur un fond blanc. Et puis, il y a ces deux presque voiles pendus au mur pour nous, à la sortie. Chez Lou Masduraud et Antoine Bellini, nos places sont assignées, il suffit de s’insérer entre ces deux postérieurs de céramiques bleues et de subir.

crédit photographique : Vue de l’exposition Storytelling au MAC Lyon. Installation de Lou Masduraud et Antoine Bellini Photo Blaise Adilon

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