Splitscreen-review Image de l'exposition Storytelling - Sara Bichao

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Sol souple (de l’œuvre)

Publié par - 14 mai 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

Dans ce troisième épisode, la consigne du cadavre exquis n’a pas été respectée. Seuls deux cartels figurent : la présentation et le plan de l’installation. Aucun pour nous révéler les questions posées à l’artiste précédent. On peut cependant reprendre comme fil conducteur entre l’installation du binôme Lou Masduraud-Antoine Bellini et celle de Sara Bichão la déterritorialisation. C'est-à-dire cette faculté à extraire un élément d’un espace pour le transformer et lui redonner une autre forme dans un autre espace et, par conséquent, une autre interprétation. Concept déjà employé pour qualifier le travail de Chourouk Hriech, la première des sept artistes invités par le M.A.C. de Lyon en résidence pour l’exposition Storytelling.

Ce qui surprend lors du passage entre l’installation du duo de plasticiens Lou Masduraud-Antoine Bellini, Désirs publics et discours refrains et celle de Sara Bichão intitulée Sol souple, c’est la lumière. Le passage d’une lumière artificielle, celle d’un lampadaire dans une ruelle reconstituée, un espace assombri par les couleurs grise du sol et jaune pâle des murs, à un espace lumineux, celui du white cube, un espace tout blanc. On peut presque dire en « plein soleil ». C’est le cas de le dire. Et il est bien présent, juste en face de nous, dans le haut du mur en entrant. L’œuvre est emblématique de l’installation à plus d’un titre, elle s’intitule Sun and its shadow (Le soleil et son ombre). À trois titres précisément. D’abord par la temporalité. Le cartel de présentation nous apprend que l’artiste a logé au M.A.C. comme tous les artistes en résidence pour cette exposition au musée sur au moins une semaine. L’artiste a séjourné exactement onze jours dans un appartement. C’est un studio situé au troisième étage du musée. Onze journées suffisamment stimulantes pour qu’elle décide d’en faire œuvre, d’en témoigner. Ces onze journées seront ponctuées par onze œuvres, une par jour. C’est ce que nous apprend Facets, (Aspects littéralement) un alignement de onze visages au mur. Sur une forme ovale faite de papier recyclé et peinte en blanc, l’artiste utilise du chewing-gum pour figurer la bouche. Les expressions sont variées : cela va du sourire au mécontentement, sans oublier l’étonnement ou la perplexité. Sans remonter jusqu’à Kurt Schwitters, précurseur en la matière, Sara Bichão utilise donc des matériaux de récupération. Elle peut aussi s’inspirer d’objets présents dans le studio et c’est ce qu’elle fait pour cette installation en démontant un tabouret rond qu’elle peint en blanc. Les huit barreaux lui servent à figurer les rayons du soleil, l’assise pour le cœur de l’astre et quatre ferrures dépliées pour le vol d’oiseaux dans Sun and its shadow. Toujours face à nous, une autre œuvre est liée à la durée : It’s time (Il est temps). Elle est constituée d’une assiette avec une fourchette revêtue à son extrémité de poils de pinceau. L’horloge indique une heure, vers le milieu de l’après-midi, peut-être l’heure à laquelle les ombres portées sont les plus fortes, d’où le titre en forme d’impératif : il est temps, il est temps de travailler !

Le deuxième point concerne l’ombre, plutôt les ombres. Sara Bichão insiste beaucoup sur cette notion d’ombre, l’ombre des objets, des actions et aussi la sienne. Sur le même mur, l’artiste s’est représentée en tenue de travail, une combinaison blanche jetable : The lover and its shadow (L’amant et son ombre). Elle dessine au stylo les côtes, les articulations, les muscles et hachure une surface rectangulaire pour le ventre, des sortes de bouches couvrent les deux côtés de la tête, rien d’autre n’apparaît sur ce visage sans expression tant la capuche est rabattue. L’ombre de l’artiste est représentée comme on a l’habitude de les voir en dessin ou en peinture : une surface sombre quand le parcours de la lumière est interrompu par un objet. Ici, c’est un morceau de linoléum gris découpé et posé au sol qui coule de son corps. La notion d’ombre peut être aussi envisagée comme une sorte de double d’un objet, ainsi le suggère l’œuvre emblématique Sun and its shadow. Le tabouret démonté et retransformé peut être considéré comme une ombre en forme de relief, un double déconstruit.

Le troisième point à relever est la présence de 24 dessins épinglés au mur, sur notre droite. Cette œuvre porte presque le même titre que l’installation, Sol souple (Drawings). C’est une interface, le processus de création. Entre l’espace privé, vécu de l’artiste au troisième étage et l’espace public du deuxième, l’espace d’exposition, celui qu’elle nous donne à voir. Sur l’un des 24 dessins épinglés, l’un représente le plan du studio vu de dessus. On apprend que Sun and its shadow, It’s time et The lover and its shadow, qui se trouvent face à nous, correspondent au mur du studio occupé par les deux fenêtres qui apportent la lumière, à l’origine des ombres.

Le plan du studio nous montre aussi, côté gauche, un coin cuisine, une salle d’eau et, sur le mur contigu, le coin chambre. On ne sait pas si ces journées passées dans le studio respectent un ordre chronologique dans l’installation par un sens de circulation particulier, en commençant par la droite ou par la gauche. On retrouve des objets et des actions liés par leurs ombres comme le suggèrent les titres. Ici, Thirsty cup, Sweaty-T-shirt (Verre assoiffé, T-shirt en sueur) un vêtement replié dans un verre, à côté, une serviette épinglée au mur avec en son centre un trou et ce titre Some Intimacy, Please (Un peu d’intimité s’il vous plaît) qui se prolonge par Good night (Bonne nuit) faite de T-shirts et de cadres en bois simulant peut être un bateau. Une activité physique certaine, à transpirer, à se laver, à rêver.

Plus simplement et prosaïquement, ne rien faire. C’est ce que l’on voit côté droit, celui correspondant sur le plan, au coin canapé avec Breath in, breath out (Inspirer, expirer). Elle utilise un sac de sport noir qu’elle découd, étale. Une branche recouverte de papier recyclé peint en blanc est placée au centre. Le sac représente le squelette de l’artiste. Reste un dernier objet non fixé au mur, c’est le seul. Une paire de chaussures noires suspendues de la marque Jordan, à quelques pas de l’entrée, est éclairée par deux boules bleue et rouge placées à l’intérieur. L’œuvre s’intitule Jordan tell me to jump, duties don’t (Jordan me dit de sauter, mes devoirs m’ont dit non). Un impératif pour pousser à une action, sauter et une voix intérieure, celle de l’artiste qui réfute l’action. Elle est donc en suspens, c’est une intention. À l’état de projets non aboutis parmi les 24 dessins figurent du mobilier, une table à manger et une table basse ainsi que des sièges.

Les deux ouvertures de l’installation sont matérialisées par ce que Sara Bichão nomme Passage, une planche de bois peinte en gris et fixée au-dessus des deux ouvertures. Un passage qui aura duré onze jours, suffisamment marquant pour réaliser une installation, Sol Souple, à la surface identique à celle du studio. Seule l’ouverture, celle de la sortie pour rejoindre la quatrième installation a été rajoutée.

Crédit image : Vue de l’exposition Storytelling au MAC Lyon. Œuvres de Sara Bichão Courtesy de l’artiste. Photo Blaise Adilon

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