La ressortie en salle de Divorce à l’italienne, tout fraichement restauré en 4K, est une réjouissante occasion de (re)découvrir une œuvre considérée aujourd’hui comme un classique de la comédie italienne. Avec un titre qui préfigure l’interprétation « à l’italienne » de la sacro-sainte institution du mariage, Pietro Germi confronte d’emblée le culturel et le cultuel. Nous sommes en 1960 et le divorce est interdit. Cette donnée législative est le point de départ narratif du film et c’est aussi sur ce point que Germi s’appuie pour réaliser une radiographie des us et coutumes de son époque tout en pointant du doigt l’archaïsme clérical d’un engagement matrimonial indissoluble.
De fait, pour mener à bien son portrait social, Germi flirte, dès le début du film, avec la frontière qui sépare fiction et documentaire. Il choisit de placer l’action dans la ville d’Agramonte (inventée de toutes pièces) en Sicile et il y reconstitue un véritable microcosme national. Formellement, la présentation de la ville se fait par la succession rapide de plans cartes postales qui permettent de cartographier les lieux alors que la voix-off du personnage principal, le baron Ferdinando Cefalù (Dit « Féfé » pour les intimes), nous livre parallèlement des informations d’ordre purement démographique. L’église, visuellement écrasante, est présentée comme un frein au progrès souhaité par un prolétariat qui préfère danser sur les derniers airs de « Yéyé » en vogue que répondre à l’assourdissant appel de la cloche.
Alors que le film semble s’installer dans un descriptif naturaliste, Pietro Germi prend le spectateur à contre-pied et propose soudainement une série de travellings qui nous projette à l’intérieur du palais Cefalù, repositionnant par la même occasion son récit sur les rails de la fiction. Une rupture de ton qui met en exergue la maîtrise du langage cinématographique dont fait preuve Pietro Germi, car lorsqu’on observe la richesse de mise en scène de Divorce à l’italienne, force est de constater que nous sommes face à une véritable pépite. Pour développer sa comédie satirique, le réalisateur italien écume les genres. Nous assistons, entre autre, à une scène de filature nocturne au noir et blanc profond tout droit sorti de la période des films d’espionnages de Fritz Lang. Divorce à l’italienne aborde aussi le grotesque par l’intermédiaire d’une scène de fantasme dans laquelle Ferdinando poignarde sa femme pour la noyer dans un immense chaudron remplit d’huile bouillante.
Mais réduire le talent de cinéaste de Pietro Germi à un simple empilement de procédés techniques ou à des effets de style serait une erreur. La fulgurance de certains plans confirme l’intelligence de mise en scène du réalisateur qui choisit toujours avec justesse son cadre et ses mouvements de caméra. À l’image de la fugace scène de retrouvailles entre Ferdinando et Angela où l’utilisation du travelling latéral, en gros plan sur les visages, convoque soudainement une cristallisation temporelle tout droit sortie de la scène de baiser de Vertigo et propulse le métrage, le temps d’une courte scène, dans une forme purement dramatique. Ces audacieuses ruptures de ton trouvent un écho dans le cinéma contemporain Coréen et notamment dans le travail de Bong Joon-ho qui lui aussi mélange les genres au sein de ses films. The Host, pour n’en citer qu’un, passe allègrement de la comédie au thriller horrifique avec la rapidité inhérente au cut.
Il ressort de cette collision des genres l’expérience jubilatoire d’une comédie dans laquelle le personnage de Ferdinando ose tout pour se séparer de sa femme. Bien loin des clichés manichéens, Germi met en lumière la machination qu’un homme marié, baron à la situation aisée, peut mettre en place pour parvenir à ses fins et cela sans aucun état d’âme. Le choix de Marcello Mastroianni comme acteur principal, tout juste consacré pour son rôle dans La Dolce Vita et symbole de virilité masculine, permet de poser un regard universel sur le paradoxe social que provoque l’interdiction de divorcer. Il autorise le cinéaste à approcher la question délicate du besoin d’assouvir des désirs niés par la société de l’époque. Germi va même jusqu’à la mise en abîme de son propos lorsqu’il met en scène la projection du film de Fellini au sein du village. Toute la population est conviée à la séance y compris Mastroianni qui, techniquement, est en train de jouer dans le film qu’il observe. La caméra s’attarde longuement sur les hommes présents dans la salle, toutes catégories sociales confondues, en extase devant l’objet du désir incarné par Anita Ekberg. Cette scène cèle définitivement le caractère rétrograde de la loi interdisant le mariage. Ferdinando, lui, quitte la salle de projection et se précipite pour finaliser son plan et ainsi rompre définitivement avec son temps.
Résolument moderne dans la forme et dans le discours, Divorce à l’italienne est une comédie de mœurs hilarante dans laquelle s’entremêlent crimes d’honneurs, recours mafieux et scènes d’hystéries familiales. Découvrir en 2019 ce pamphlet à l’encontre des traditions archaïques de la société de l’époque agit comme un marqueur temporel historique et nous offre l’occasion de nous interroger sur nos propres us et coutumes tout en nous rappelant qu’aucun progrès social n’est définitif. À (re)voir absolument !
Crédit photos : © Les Films du Camélia.