Splitscreen-review Image de Fellini Satyricon de Federico Fellini

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Fellini Satyricon - Potemkine Films

Publié par - 17 mai 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Il y a chez Fellini des périodes, comme chez certains peintres. Plus précisément, il y en a deux. Le cinéaste s’est d'abord ingénié à faire des films qui lui permettaient d’intégrer sa vie, ou celle qu’il s’imaginait, qu’il s’inventait, dans un espace marqué par la réalité italienne de l’immédiat après-guerre. Puis il y aura, après la Dolce Vita (1960), un temps où Fellini le cinéaste fera de son imaginaire le centre de ses intentions filmiques. Fellini ne racontera alors plus des histoires qui intègrent la sienne, il exposera à travers ses films des successions de visions et de sensations subjectives. Au tournant des années 1960, le cinéma de Fellini ne cherche plus à emporter le spectateur ou à agir sur celui-ci, c’est au spectateur de faire une partie du travail. Satyricon, le film qui nous intéresse ici, appartient à la seconde période.

La rupture définitive, c’est 8 ½ (1963). Les œuvres de Fellini abandonnent la narratologie pour devenir des œuvres sans récit. Mais il ne faut pour autant pas conclure hâtivement que l’œuvre se défie du réel. Satyricon est à ce titre exemplaire. Derrière la fausseté de la reconstitution se cache au moins une vérité. Il est bien évidemment question ici de celle du cinéaste. La vérité fellinienne se décline à partir du rapport qu’entretient le metteur en scène avec la réalité de la société italienne de cette fin des années 1960. Car Satyricon dresse le portrait d’une époque habitée par une humanité qui, par bien des aspects, ressemble à la nôtre.

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En ce point, Fellini, dans sa seconde période, nommons-la ainsi, considère le cinéma comme un moyen pour disposer des apparences et pour imposer à ces apparences une logique qui contredit les règles de la perception ordinaire. C’est sans doute la problématique essentielle de cette période qui s’ouvre avec la Dolce Vita. Alors, pour Fellini, l’essence d’une création filmique naît dans l’infidélité du miroir pictural qu’est l’écran. Celui-ci est considéré comme le reflet qui miroite le regard du cinéaste qui trahit ce qu’il contemple en ajoutant à la représentation des choses le mystère qu’elles dissimulent. Chez Fellini, le cinéma n’est pas un miroir passif de la réalité. Il n’a surtout pas pour fonction de singer le réel mais de le changer, de le métamorphoser. Pour cela, Fellini insère de l’extraordinaire dans le banal et le trivial voire dans le vulgaire. Les intentions sont multiples mais elles répondent au moins à une logique que tout le monde acceptera : il s’agit de porter un éclairage sur ce qui se situe au-delà des apparences ordinaires afin de mesurer l’écart entre l’image filmique de ce dont elle est le reflet. La quête menée par Fellini pourrait s'apparenter à une réflexion portée sur le pouvoir et l’essence de l'objet filmique capable de représenter le réel tout en le trahissant.

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L’intérêt principal de Satyricon n’est pas de savoir si la reconstitution proposée est authentique ou historiquement plausible (nous savons à cet effet que des recherches sérieuses ont été menées autour de l’habitat ou des modes vestimentaires de l’époque), mais plutôt de déceler ou de décrypter comment Fellini perçoit l’Italie des années 1960 et quelles sont les traces de cette perception dans le film.

Attention cependant à ne pas se méprendre. Il ne faut surtout pas chercher dans Satyricon les indices ou les résidus d’une quelconque projection subjective du cinéaste dans les situations filmées. Fellini retranscrit, sans affect particulier, ce qu’il pense voir dans le réel et comment celui-ci impacte le comportement social de l’individu. Il faut considérer alors Fellini comme un décodeur, comme un scribe qui, en fonction du trait de son écriture, modifierait la teneur du propos qu'il est chargé de traduire. Il est évident alors qu’un télescopage temporel est en cours : le Fellini des origines, le caricaturiste du Marc’Aurelio, n’a jamais véritablement disparu. Si cet individu-là s’est aventuré sur le terrain du réel (période néo-réaliste qui précède la Dolce Vita), c'est pour mieux cerner le monde qui allait déterminer quelques aspects importants de sa personnalité. Ainsi, sans doute, la démarche l’a aidé à mieux comprendre comment l'homme qu'il était pouvait aider l'intellectuel qu'il était aussi à s'inscrire dans le réel. Ce qui nous ramène aux origines et ce qu’a toujours été Fellini, un observateur plus qu’un participant.

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Satyricon s’affiche comme une succession de tableaux où la réalité italienne des années 1960 se voit contaminée par la vision fellinienne sur celle-ci. C’est sur ce point précis qu’une prétendue dimension baroque de l’œuvre peut se distinguer. Pour cela, il est important de considérer deux points précis qui entrent en compte dans la définition du phénomène artistique qu’est le Baroque. D’abord, il convient de faire abstraction des origines péjoratives du terme puis il convient d'extraire deux des qualités qui définissent le style baroque : la surcharge et le mouvement.

Le mouvement, chez Fellini, n’est pas qu’affaire de machinerie. Fellini n’est ni Ophuls, ni Mizoguchi. Si mouvement d’appareil il y a, celui-ci se dispense dans la discrétion voire l’effacement. Le mouvement, chez Fellini, relève plutôt d’une dynamique produite par les éléments qui constituent le cadre et, plus particulièrement, par le rapport qui s’instaure entre les corps, le décor et les sonorités qui traduisent les interactions entre tous ces éléments.

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Dans Satyricon, la structure de l’image est la matière même du film dans la mesure où l’architecture des plans synthétise et résume le propos principal du cinéaste. Les idéaux, les logiques sociétales des années 60, en Italie, sont, pour Fellini, dépossédées de leur substance première. La société qui s’expose dans Satyricon, écho de celle qui est contemporaine de Fellini, s’écroule, se décompose et se définit par la notion de décadence qui sera imagée par la scène de l’effondrement des habitations. Satyricon nous donne à voir, dans un raisonnement quasi archéologique (là est la notion de surcharge associée au terme baroque), ce qui résulte d’une confrontation entre l’Italie de la fin des années 1960 et ses origines latines.

La désintégration idéologique et sociale à laquelle nous assistons se vérifie dans l’attitude adoptée par une humanité dépourvue de morale qui fuit ses propres fantômes pour s’abîmer dans le néant. À ce titre, la scène du labyrinthe est édifiante. Encolpe, transposition ulyssienne d’un personnage qui ne sait comment trouver sa place dans le monde, se mue en Thésée, incarnation des forces du Bien, au moment de pénétrer dans un labyrinthe où l’attend son destin. Il se doit, pour survivre, d’affronter le Minotaure, représentation de la force des ténèbres. Comme dans une partie d’échecs, se joue ici un combat entre le bien et le mal, entre la vie et la mort. Mais la lutte perd de son sens au fil du combat puisque surgissent dans la trame mythologique deux éléments, au moins, qui répondent au contemporain de Fellini. Viennent s’immiscer dans la symbolique du mythe les réalités italiennes des années 1960 pour pervertir le sens du récit et sa possible dimension épique.

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D’abord, il y a la présence d’un public qui assiste au combat. Si le rapport filmique entre les spectateurs et les combattants répond à une logique spatiale qui prend en compte la position de l’arène par rapport aux gradins (haut/bas ; plongée/contreplongée), l’attitude de la foule est en revanche indexée sur le comportement d’un téléspectateur qui vient assister à un show T.V.. Ensuite, l’issue du combat est troublante puisque les frontières qui séparent les entités conceptuelles en lutte s’estompent, se brouillent pour se rejoindre dans un spectacle orgiaque.

Satyricon est une sorte de fresque. Mieux, dans la fragmentation de son schéma narratif, le film évoque une représentation du monde et de son temps proche de ce qui est visible sur la Colonne Trajane à Rome. Le film rejoint d’ailleurs en plusieurs points ce que traduit de son temps le monument édifié à la gloire de Trajan. Déjà, dans le film comme sur l’œuvre architecturale, il y a le souci de rendre compte par l'image de l’événement contemporain. Ensuite, Satyricon suit une progression chronologique des faits qui se lit et qui récite l’histoire en témoignant des épisodes principaux tout en occultant ce qui les relie. Ce principe fait coïncider les deux œuvres. Si nous déroulions la bande de situations sculptées sur la colonne, nous nous rapprocherions d’un phénomène proche de la BD dans la fragmentation des actes et de l’usage de l’ellipse pour dire l’histoire et donc forcer le public à envisager ce qui n’est pas montré et qui unit l’ensemble des images. Ce qui est exactement le processus en place dans Satyricon.

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De la même façon, les deux ouvrages font l’apologie de figures allégoriques qui s’invitent dans la représentation « réaliste » des œuvres. Cet usage de la parabole et de la métaphore visuelle employée par les ellipses narratives rejoint la dimension poétique des récits épiques.

L’impression qui résulte des deux créations est identique. Aussi prestigieuse soit l’épopée décrite sur la Colonne Trajane, elle n’en demeure pas moins le début de la fin d’une civilisation. Une finitude qui se mesure par un lent glissement vers la décadence. Cette dernière est initiée par un sentiment de supériorité sur les peuples (non soumis à l’autorité romaine sous Pétrone, l'auteur du Satyricon, ou ceux aux modes de vie éloignés des sociétés occidentales sous Fellini). De plus, que ce soit pour la Colonne Trajane ou pour le Satyricon, reste un sentiment d’inachevé puisque nous demeurons frustrés par les deux créations. La hauteur de la Colonne ne nous permet pas d’observer les bas-reliefs les plus hauts tandis que le film de Fellini est limité par notre connaissance des périodes qu’il superpose. Satyricon se présente comme une retranscription de ce que Fellini considérait, tel un archéologue, comme l’origine d’une apocalypse sociétale programmée. La question mérite débat : si les années 60 témoignaient déjà de cette finitude morale, sociale, politique et philosophique, où en sommes-nous aujourd’hui ?

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L'image de cette édition Potemkine Films de Satyricon est, en haute définition, absolument superbe, donc  exemplaire.

Trois suppléments vidéo complètent cette remarquable édition. Nous trouvons tout d'abord Teatro Numero Cinque, un court making-of réalisé par Dominique Delouche en 1969. Exclusivement constitué d'images tournées pendant le tournage de la scène des bains, le film de Delouche mélange habilement images et prises de son directes (captation des propos entre Fellini et ses collaborateurs au travail) et une voix off, celle Fellini, qui répond à des questions plus que pertinentes sur le fond et la forme de ses préoccupations filmiques en cette fin des années 1960.

Dans le prolongement de ce court module, Dominique Delouche est à son tour interrogé dans un entretien d'un peu plus de 30 minutes sur les rapports qui le liaient au cinéaste qu'était Fellini et sur l’œuvre de ce dernier. Module passionnant et riche d'anecdotes qui se transforment en argumentaire pour observer les mutations du cinéma de Fellini.

Enfin, nous trouvons également un entretien enlevé et enthousiaste avec Italo Moscati qui exprime son point de vue sur la conception du cinéma selon Fellini et comment ce dernier a su utiliser le medium pour satisfaire ses obsessions intellectuelles.

Crédit photographique : courtesy of mptvimages.com

Suppléments :
- Teatro Numero Cinque : making of de 1969 réalisé par Dominique Delouche (15 min)

Uniquement disponibles sur le blu ray :
- Interview d’Italo Moscati, écrivain et critique spécialiste de l’œuvre de Fellini (16 min)
- Interview de Dominique Delouche, réalisateur (36 min)

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