Splitscreen-review Hannelore Van Dijck Storytelling

Accueil > Expositions / Festivals > Hannelore et Roman

Hannelore et Roman

Publié par - 5 juin 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

Dans cet avant-dernier épisode de Storytelling, le principe du cadavre exquis a été inversé. Le successeur de Celsian Langlois, la plasticienne Hannelore Van Dijck, ne lui a pas posé de question mais a reçu de lui une lettre, plutôt sa trace sonore. On n’en connaît pas le contenu. Seul un petit espace tout noir dans l’installation Nulle part à la fois restitue l’environnement sonore de ce trajet postal fait de voix humaines et de bruits métalliques, une lettre transportée par voie ferroviaire ou aérienne. Hannelore Van Dijck poursuit donc cette réflexion sur notre environnement sonore ainsi que sur le temps. À cet effet, il faudra convoquer un autre artiste non représenté dans les collections du M.A.C. de Lyon, Roman Opalka.

Rappelons que dans l’épisode quatre, Celsian Langlois récupère des sons, des bouts de phrases inabouties de conversations ou des sons plus anodins encore comme ceux issus des cuisines, des cliquetis de couverts et autres. Il s’intéresse aux sons oubliés ou ignorés parce que omniprésents dans nos vies. Ces sons passent souvent à la trappe, trop banals pour être remarqués. Dans son installation, les murs s’en font le réceptacle. Il les fait entendre, plutôt chuchoter. Hannelore Van Dijck, elle, part de l’idée que les murs communiquent. Le cartel de présentation parle à juste titre de « porosité des murs » et de « résonance plastique ». On retrouve alors le concept fort de l’exposition Storytelling qui a guidé la première artiste Chourouk Hriech : la vibration, l’onde et la composition. Celle-ci emploie une Nocturne de Frédéric Chopin pour clore son installation, puis ce sont les voix d’un duo chez Lou Masduraud et Antoine Bellini qui exposent les soucis contemporains d’un jeune homme et d’une jeune femme alternant espoirs et plaintes. Seule Sara Bichão a occulté le son, plus sensible aux images mentales formées après sa résidence de onze jours dans un studio du M.A.C. de Lyon.

Celsian Langlois reprend le motif sonore. Depuis son installation, on entend ces sons, ces deux strates sonores qui se superposent ou parasitent les sons émis par les murs. Tout dépend de l’affluence des visiteurs et du volume sonore associé. Hannelore Van Dijck, elle, réfléchit aux sons perdus, ceux qui ne sont pas retenus par les murs. Et il y a de quoi faire ! Les normes techniques des bâtiments imposent d’aérer les intérieurs. C’est de l’air expulsé et aussi impulsé dont il s’agit et les sons qui vont avec. Le son n’étant ni plus ni moins en physique qu’une vibration de l’air. Un rapide tour aux alentours du M.A.C. de Lyon avait au préalable conforté la plasticienne dans son idée de travailler sur la circulation des sons, quand elle a prêté attention à toutes ces grilles et tuyauteries. La plasticienne choisit le motif des grilles d’aération, aboutissement des tuyaux. Passages obligés, elles jouent le rôle d’un sas. Elle va les représenter par des peintures murales faites au fusain sur les cloisons blanches. Elle ne choisit pas l’objet même, pas assez subjectif parce que son intention se double d’une autre : parlez du temps.

Scander le temps, les différentes temporalités, en alignant côte à côte les dessins au fusain de grilles d’aération. Des grilles comme témoignages, comme présence de sons. Et ils sont légion et variés, ces sons. En vrac et comme ça, tout à l’avenant. Des sons domestiques similaires à ceux retenus par les cloisons de Celsian Langlois ; des sons plus qualitatifs, grands discours d’hommes politiques enregistrés ; des sons à portée commerciale issus d’open space dans une tour ; des sons industriels, de bruits de machines. Tout dépend du type de bâtiments, du lieu et de l’époque. Des grilles d’aération comme témoins de tranches de vie et mises côte à côte. Il faut une méthode, presque un protocole pour ordonner tout ça. Respecter un espacement entre les grilles, une hauteur de vue adéquate, utiliser un chariot élévateur pour le haut des murs et surtout maîtriser une technique. Le gabarit employé va servir de pochoir, il faut recouvrir le pourtour d’un ruban adhésif de masquage pour éviter les salissures, combler de fusain les petits rectangles, puis le plus délicat, au crayon simuler les fils de fer plats qui se croisent et forment le treillage de la grille, et enfin reproduire le pourtour de la grille en rendant le volume des pans biseautés du cadre. C’est un travail long et minutieux. On s’en rend compte à regarder de plus près en rentrant, sur notre droite, au bas du mur, la seule partie de l’œuvre directement visible : ça apparaît tout gris. C’est gris mais ce n’est pas la duplication exacte des motifs précédents. Une myriade de teintes apparaît, comme si chaque grille avait sa propre histoire attachée à un lieu. Comme des tranches de vie extraites d’un contexte spatio-temporel et replacées dans cette installation. Du temps scandé, "périodisé" par l’espace qui sépare les grilles d’aération. Toutes placées dans le haut des murs, sur une seule rangée, voire deux pour celles qui nous font face quand on entre dans l’installation. Ces témoignages de temporalités font penser au travail du plasticien Roman Opalka non seulement pour la minutie requise dans le travail mais aussi pour la tonalité des couleurs dominantes, un camaïeu de gris. Roman Opalka a dédié sa vie à une œuvre : peindre l’image du temps, son irréversibilité à partir de l’année 1965 et ce jusqu’en 2O11, année de sa mort. Peindre à l’aide d’un pinceau des nombres, des suites de nombres en commençant par le un jusqu’à l’infini. L’œuvre globale intitulée Détails désigne une suite de tableaux respectant un espacement, une hauteur de vue bien définie. Peindre d’abord en blanc au pinceau sur du noir, puis à partir de 1972, peindre en rajoutant 1% de blanc au noir servant de couleur de fond pour la toile afin d’arriver à peindre blanc sur blanc.

Si Roman Opalka travaille sur la durée du temps, un temps linéaire, Hannelore Van Dijck, elle, travaille davantage sur un temps éphémère. Le fusain est une matière fragile, si un fixatif n’est pas employé, l’œuvre s’efface inexorablement. C’est ce que l’artiste suggère. La pièce, certes, a bien été nettoyée mais, sciemment ou pas, sur les plinthes, il y a de la poussière de fusain. Comme les grilles d’aération sont placées en hauteur, elles laissent des grands pans de murs blancs à notre regard, enfin presque. Le blanc est imparfait, des salissures se voient, celles de l’artiste malgré ses précautions, ou celles des visiteurs qui ont longé les cloisons. Loin de la linéarité des Détails de Roman Opalka, Hannelore Van Dijck parle des soubresauts du temps, de moments singuliers, des tranches de vie prises dans des lieux qu’elle juxtapose. Roman Opalka parle de la trame d'un temps commun, linéaire et inexorable. Chez Roman Opalka, il n’y a pas de place pour nous, nous sommes d’emblée convoqués, embarqués. Ses Détails sont à hauteur d’homme, 1,60 mètre à 1,70 mètre du sol. Chez Hannelore Van Dijck, il y a, à la place, ces portions de murs blancs pas tout nets, mais à notre disposition, et puis elle n’a pas sciemment tout recouvert.

Les temporalités de la plasticienne, comme celles de Chourouk Hriech, Lou Masduraud-Antoine Bellini et Celsian Langlois, font alors saillie sur la trame du temps, celle qu’il faut avoir en mémoire en rentrant dans cette suite d’installations, comme une trame de fonds, inexorable, celle qu’a peinte Roman Opalka. À partir de l’année 1968,  Roman Opalka se fait enregistrer en train d’énumérer toutes ces suites de nombres. Dans Storytelling, les sons associés aux œuvres sont circonstanciés, les histoires peuvent donc se poursuivre, et c’est tant mieux !

Crédits Photographiques : Vue de l’exposition Storytelling au MAC Lyon. Œuvre de Hannelore Van Dijck Courtesy de l’artiste. Photo Blaise Adilon

Partager