Splitscreen-review Violaine Lochu

Unchorus

Publié par - 12 juin 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

Dernier épisode de Storytelling. Dans son installation Unchorus, la double formation de Violaine Lochu amène l’artiste à réfléchir sur les liens entre les sons et leur représentation visuelle : elle est plasticienne et musicienne-performeuse. Elle enregistre des voix, elle travaille sur la matière sonore de ces voix. Elle va, dans Unchorus, réduire le visuel à une expression très simple. Le visuel doit être au service des voix et non pas le contraire comme souvent les plasticiens sont tentés de le faire.

Une pièce toute sombre, à certains moments noire, d’un noir presque total. Tout dépend du moment d’irruption du visiteur dans l’installation. Si le filament de l’ampoule rougeoie suffisamment, on peut alors se déplacer plus aisément, un halo de lumière sortant d’un édicule à quatre entrées nous permet alors d'entrer dans cette pièce, une pièce à quatre entrées. On peut s’asseoir. Mais on peut aussi éviter ce lieu en longeant les murs de l’installation ou en passant aussi au travers de l’édicule et rejoindre la sortie, juste à l’opposé. C’est donc un espace ouvert et c’est vraiment noir. L’enregistrement de ces voix dure 14’. Asseyons-nous donc sur l’un des quatre bancs d’angle.

Commençons par les essais de voix. Des mots épars, voix humaines, masculines et féminines. Le cartel de présentation nous apprend qu’elles sont au nombre de douze, de nationalités différentes, donc des langues parlées différentes. Que ce sont aussi des chants révolutionnaires. Et on comprend que c’est une épreuve au sens physique du terme qui va débuter pour le visiteur. L’ampoule située au centre de l’édicule, à hauteur des bancs, nous oblige à baisser la tête, à observer parce ce qu’il n’y a rien d’autre à voir et qu’il va falloir l’accepter, s’y habituer pendant ces 14’. Tout se réduit à cet état de fixation sur un objet suspendu au centre. C’est hypnotique. Les variations d’intensité liées aux modulations des voix font plus ou moins rougeoyer le filament. Cela vit, c’est organique comme si cette ampoule était le prolongement des cordes vocales des choristes qui sont à l’origine de ces sons. Comme un sismographe en action parce qu’on a plus de mal avec les sons et qu’il faut repasser par le visuel, par un signal pour faire sens, pour nous dire que les choses vivent, qu’elles peuvent s’entendre et se retenir. Comment avoir la mémoire des sons ? Qu’en est-il des traces sonores ? Ont-elles autant d’impact que les traces visuelles sur nos vies ?

Les voix tâtonnent, l’ampoule réagit. Des chuchotements qui doivent être une ébauche d’histoires. Des interférences aussi quand les voix deviennent plus fortes. On retient en français des phrases et des mots devenus audibles et ce sont pêle-mêle : « il regarde quand tu regardes toujours en arrière », « mes larmes s’ouvrent sur le monde », « venez, venez » ou « sel, vin, pain », « le chapeau », « 1,2,3,4, le chapeau de papier ». Puis un silence, c’est atone et le filament, et toujours l’œil, notre œil sur le filament qui a cessé de varier en intensité mais une intensité devenue fixe et forte. Puis elle baisse, des respirations, des souffles, des reprises de souffles et de respirations se font entendre. Des mots, peu nombreux, des ratés de mots, presque des borborygmes. La reprise des chants révolutionnaires, parfois harmonieuse, parfois en décalé et c’est une voix qui fait saillie. Et notre ampoule qui réagit, vibre à son tour, presque comme un cœur humain soumis à une marche lente puis à des à-coups et une course, au final, avec des arrêts brusqués et jamais on entend d’habitude le bruit de ce cœur, pas assez visuel. On s'imagine et on voit la grimace suite à l’effort, les mains sur les genoux et la tête baissée alors qu’il faudrait entendre les sons. Ou, si on les entend, c’est tout intérieur, rien qu’à soi, ça tape dans les tempes et personne pour écouter, pour partager, que l’expression du visage retenue et la posture. C’est ce que nous propose Violaine Lochu, écouter plutôt que voir.

Il suffit de sortir de l’édicule et rester autour, de se poster près des murs de l’installation. Comme à l’intérieur, quatre enceintes diffusent les chants. C’est toujours aussi noir. On peut coller l’oreille, y écouter des voix isolées, d’autres en chœur, harmonieuses ou pas, tandis que l’édicule continue sa vie, projetant des halos de lumière sur l’extérieur, comme pour nous attirer, nous ramener à nos penchants premiers, le visuel. Et comme le rappelle le cartel de présentation : établir une corrélation manifeste entre la violence des chants révolutionnaires et leur traduction visuelle, cette intensité de lumière presque aveuglante. Une fois en dehors de l'édicule, cela vit toujours, mais on a réussi à s’en détacher. L’ordre est désormais inversé. Les voix priment. La fonction référentielle du langage, l'informatif, ce qu’on apprend ici des chants, pour reprendre les travaux du linguiste Roman Jakobson (cité par Violaine Lochu dans une interview) est devenu accessoire, c’est la matière sonore qui importe : ton, timbre, accent, débit. Quand on sort de l'installation, on en a même mal aux yeux. Difficile ensuite de bien voir et de se concentrer. Il aurait suffit de rester à l’extérieur de l’installation pour entendre et de se suffire des sons sans aller chercher un visuel. Cette lumière, ce par quoi une image existe, est comme un excès, un excès du visuel dans nos représentations, presque à nous aveugler pour nous faire penser autrement, par les sons.

La conversation entre Violaine Lochu et Hannelore Van Dijck, sa prédécesseure dans l’exposition Strorytelling est intéressante (pour le vernissage, les cartels manquants sur le questionnement entre artistes ont été tous installés) quand la plasticienne belge avoue sa difficulté et sa quasi impossibilité à communiquer avec le public, à entendre ce que les visiteurs disent voir. Écouteurs, pull à capuche, nacelle et plate-forme pour Hannelore Van Dijck ont créé une « bulle de solitude » nécessaire pour sa concentration et sa créativité. La conscience de la présence du public crève cette bulle et rend vulnérable l’artiste, mal à l’aise, « mise à nue ».

Ainsi le regard peut perturber l’exercice du plasticien au travail et quand se mêle la voix, c’est encore un peu plus.

Crédit photographique : Vue de l’exposition Storytelling au MAC Lyon. Œuvre de Violaine Lochu Courtesy de l’artiste. Photo Blaise Adilon

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