Splitscreen-review Image de De chaque instant de Nicolas Philibert

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De chaque instant - Blaq Out

Publié par - 17 juin 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

De chaque instant, le film de Nicolas Philibert sorti fin août 2018 sur les écrans, vient d’être édité à l’unité chez Blaq Out. Il s’inscrit dans le prolongement de la parution d’un coffret consacré au travail documentaire du cinéaste et intitulé Nicolas Philibert : les films, le cinéma (De chaque instant fait partie des 12 DVD qui composent le coffret).

De chaque Instant décrit les étapes de l’acquisition d’un savoir et/ou de la diffusion de celui-ci et rejoint ainsi les thématiques récurrentes aux œuvres qui ont fait la réputation du cinéaste (Être et avoir (2002), Le pays des sourds (1993), Qui sait (1999)...). Pour De chaque instant, Nicolas Philibert a introduit sa caméra dans un espace qui, un peu comme tout ce qui relève de l’institutionnel, attire et séduit d’emblée : le centre de formation de la Croix-Saint-Simon, à Montreuil. Le cinéaste s’est évertué, cette fois, à capturer des moments de l'instruction des élèves infirmières et infirmiers qui sont formés par l'institution située en région parisienne. Le film se construit selon trois temporalités distinctes qui rythment et définissent la progression des étudiants.

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Le premier temps du film souligne le chemin à parcourir. La seconde partie pose la question de la confrontation avec la réalité des soins à prodiguer. La troisième partie, quant à elle, dresse le bilan de la formation. Par l'intermédiaire de discussions avec les instructeurs référents, cette dernière partie retrace, analyse et notifie les progressions de tous. Pendant tout le film, la caméra de Nicolas Philibert se fond dans une atmosphère où elle n’est pas le centre des attentions. Elle est très vite oubliée par les apprentis infirmiers que nous observons dans leurs premières attitudes professionnelles, pendant leurs stages ou à l'heure de conclure la formation (même si c'est à relativiser dans ces circonstances). Le temps joue en faveur du film. Nul besoin d’enregistrer des heures d’images pour qu’une accoutumance à la technique s’installe et que la vérité de chacun émerge, pour qu’un(e) étudiant(e) cesse de jouer à un rôle imaginé pour dissimuler une éventuelle gêne causée par la présence intrusive de la caméra. Les enjeux sont tels que l’esprit des apprentis infirmiers est derechef dirigé vers l’essentiel : l’acquisition d’un geste, l’adoption d’une posture, la conduction d'une réflexion adéquate et la maîtrise des techniques de soins. La caméra ne revêt aucun intérêt pour ces jeunes individus, ils s'appliquent à intégrer un savoir.

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Car la profession qu’ils s’apprêtent à exercer ne relève pas du hasard. On ne soigne pas autrui sur un coup de tête. Il faut croire en sa mission, son rôle et se persuader très tôt que les responsabilités qui incombent aux personnels soignants sont immenses. Sans doute encore plus aujourd’hui où l’homme vit plus longtemps et nécessite inévitablement de plus en plus de soins. Sans doute encore plus à notre époque où se délite ce qui cimente un collectif pour en faire une société avec un projet commun. Les imputabilités sont considérables mais les motivations dont ils témoignent (c’est en tout cas vrai pour ceux que nous suivrons au long du film) sont impressionnantes et imposent le respect voire une admiration.

L’architecture du film, les trois temporalités distinctes indexées sur les trois grandes étapes de la formation, distille ses effets de surprise ou confirme les impressions et les spéculations formulées à l’encontre de certains ou certaines plus tôt dans le film. De chaque instant est donc chapitré pour marquer l’évolution des étudiants. Le degré d’apprentissage de chacun ne se quantifie pas par l'exercice d'une pratique mais par les ellipses qui séparent les étapes qui nous sont montrées. Les espaces-temps vacants laissent le soin aux spectateurs de mesurer, par comparaison, le chemin parcouru. Il est indéniable que l’instruction se vérifie par le comportement, par les mots échangés avec les formateurs référents mais aussi et surtout par ce que les visages de chacun et chacune laissent transparaître des métamorphoses qui ont opéré en interne parfois même à l’insu des concernés.

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Comme souvent chez Nicolas Philibert, l’empathie se crée et se gagne justement par les observations que nous pouvons formuler quant à la reconnaissance des progrès effectués par les unes ou les autres, par les évolutions, le gain en maturité affective et intellectuelle, autant de critères qui, in fine, esquissent des trajectoires professionnelles proches d’une aventure humaine qui peut croiser la nôtre à tout moment. Encore une fois donc, Nicolas Philibert a œuvré, lui, à faire lien, à créer du sens pour que le monde sache que nos sociétés, malgré tout, arrivent à produire des êtres qui ne nous ressemblent pas forcément mais que nous avons envie d’aimer.

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L'image de ce DVD Blaq Out est tout à fait conforme à l'impression laissée par le film lors de sa sortie en salles.

Pour ce qui est des suppléments, Dix-huit mois plus tard se propose de retrouver cinq personnages croisés dans le film pour qu'ils témoignent de leur situation. Le complément agit comme une sorte de vérification des espoirs ou des perspectives que nous pouvions envisager pour quelques-uns des étudiants observés pendant le film. Là encore, le temps fait son travail et il est indéniable que l'évolution distinguée lors des étapes du film est toujours à l’œuvre.

Les deux entretiens qui complètent cette galerie de suppléments sont riches d'enseignement. Le premier, avec Arnaud Vallet, infirmier de son état et cinéphile convaincu, permet d'affiner notre jugement sur la justesse du propos de Nicolas Philibert. Arnaud Vallet verbalise très clairement ce que nous pouvions ressentir mais sans avoir la possibilité, nous profanes, d'argumenter sur le devenir et l'attitude des étudiants qui peuplent le film. Complément où la passion pour le métier exercé s'écoute et s'entend à la moindre seconde.

Le second entretien (réunion de deux en réalité), Sur De chaque instant / Le chemin se fait en marchant permet à Nicolas Philibert de s'exprimer sur les conditions d'émergence et d'existence de son film. Tout y passe : genèse du projet, intentions de réalisation, adaptabilité lors du tournage et le rapport à l'image de l'autre enregistrée dans des moments extrêmes ou routiniers. Épatant.

Crédit photographique : copyright Les films du Losange

Suppléments :
- Dix-huit mois plus tard (2019 / 10’)
- Entretien avec Arnaud Vallet (2019 / 14’)
- Sur De chaque instant / Le chemin se fait en marchant (2019 / 25’)
- Livret de présentation du film (24 pages)

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