Splitscreen-review Image de sans jamais le dire de Tereza Nvotová

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Sans jamais le dire - Burgos Films

Publié par - 24 juin 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Voilà un film qui intriguait lorsqu’il fut programmé dans nos salles à l’automne 2018. Par sa provenance tout d’abord puisque Sans jamais le dire est un film qui nous vient de Slovaquie, un pays qui produit peu et dont les œuvres ne sont pas forcément distribuées sous nos latitudes. Autre intérêt manifeste, le film est mis en scène par une toute jeune réalisatrice, Tereza Nvotová, une ancienne étudiante de la FAMU, célèbre école praguoise. Si la cinéaste reste inconnue du grand public, ce n'est absolument pas le cas de la profession. Ses documentaires ont toujours été bien accueillis par la critique, les distributeurs, les producteurs et les différents publics qui ont eu la chance d'accéder au travail de la réalisatrice.

Sans jamais le dire intrigue aussi par son synopsis que l’on qualifiera, pour le moins, d’évasif puisqu’il se présente ainsi :

Léna a 17 ans.

Elle aspire à la liberté et à l’aventure jusqu’à ce jour où son monde intérieur se fracasse. Léna se replie alors sur elle-même.

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Sans jamais le dire fit sensation dans tous les festivals qui l’ont accueilli (Roterdam, Karlovy Vary, etc.) et sa parution en DVD, que nous devons à Burgos Films et Tancrède Films, nous donne l’occasion, pour beaucoup, de le découvrir. Il convient de préciser, avant de détailler quelques-unes de ses qualités, que Sans jamais le dire, est la première fiction réalisée par Tereza Nvotová. Sans jamais le dire, Špina pour son titre original, qui signifie saleté, est l’histoire d’un viol et de ses conséquences. Léna est une jeune fille qui ressemble, en tout cas dans ses aspirations diverses, à de nombreuses filles de son âge.

Léna rêve de garçons, elle fait la fête, elle se chamaille avec sa mère, son frère handicapé et se réfugie dans une amitié presque exclusive avec Roza. Léna prend des cours particuliers avec son professeur de mathématiques, Robo, celui qui fait outrageusement fantasmer Roza. Pendant un cours privé dispensé dans la chambre de Léna, alors que la mère s'occupe du frère handicapé, la caméra se rapproche de Léna et de Robo créant une intimité soudainement inquiétante. Comme la jeune fille, nous avons à peine le temps d'estimer la situation que Robo, le prof de maths, se jette sur Léna et la viole.

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Le viol est filmé frontalement. Tereza Nvotová prend soin cependant de demeurer fidèle à ses intentions c'est-à-dire de rester concentrée sur l'exposition d'une intimité détruite. L'horreur se lit sur le visage de Léna filmée en gros plan, son regard s'étiole. Le souffle vital qui semblait animer Léna se dissipe sous le corps de son agresseur. Les yeux de Léna se vident de toute lumière. Elle se désincarne devant nous. Nous savons dès lors que sa survie passera par une approche nécessairement différente de l'existence.

La caméra de Tereza Nvotová s'ingénie à exprimer ce qui s'est brisé à jamais. À partir de cette scène, située au tout début du film, tous les espaces traversés par Léna seront contaminés et hantés par l’omniprésence du viol. Les couleurs s'estompent, perdent en saturation, les cadrages rétrécissent et deviennent des figures de réclusion, de claustration. Plus que de l'enfermement, il est question d'aliénation.

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Les qualités glanées par la cinéaste dans ses expérimentations documentaires servent le propos. Lorsque Léna est internée dans une institution psychiatrique, quelques uns de ses compagnons d'infortune sont de véritables pensionnaires de ce type d'établissement. Un décalage se note ici ou là dans l'interprétation entre amateurs et professionnels. Cette dissonance ne révèle pas quelque inaptitude à diriger des comédiens, elle a plutôt pour fonction de matérialiser l'improbable intégration de Léna aux univers qu'elle est contrainte d'habiter.

Ses angoisses, ses peurs, sa haine n'ont de place nulle part et ne peuvent être comprises ou acceptées par autrui y compris par ses proches. Car il n'y a rien à comprendre. Rien à analyser. C'est un fait, l'identité de Léna est à jamais souillée par l'immonde agression qu'elle a subie. Alors Léna fuit le monde. Elle se renferme et plonge dans un mutisme dont on ne sait s'il est salvateur ou destructeur. Il faudra une autre situation extrême pour que Léna s'ouvre à nouveau aux autres. Il faudra que ça sorte, que la douleur s'extériorise par des cris, des insultes. La cinéaste ne s'y trompe pas. Léna s'affranchit de ses démons et les affronte. Les cadrages s'élargissent à nouveau, Léna recommence à respirer. Pour que le cheminement devienne palpable, les plans rapprochés s'enchaînent. Ils permettent de définir comment se vivent ces véritables exorcismes tant au niveau émotionnel qu'au niveau psychologique.

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Il ne faut surtout pas se méprendre, Sans jamais le dire n'est pas un film qui mérite attention parce que son sujet colle à l'actualité. Sans jamais le dire se doit d'être vu parce qu'il nous donne à voir avec justesse l'inimaginable, l'indicible et l'irreprésentable d'une situation que les mots peinent généralement à décrire convenablement. Remarquable.

L'image ne souffre d'aucun défaut. Le DVD de Sans jamais le dire propose en complément un entretien de 15 minutes avec Tereza Nvotová, la réalisatrice, auquel nous n'avons pas pu accéder sur le DVD test qui nous fut remis.

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Crédit photographique : © Burgos Films et © BFILM

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