Splitscreen-review Image de Nevada de Laure de Clermont-Tonnerre

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Nevada

Publié par - 25 juin 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Nevada, le premier long-métrage de Laure de Clermont-Tonnerre, témoigne de cet intérêt que nombre de créateurs d’origine française osent désormais afficher pour les États-Unis. Laure de Clermont-Tonnerre fut d’abord remarquée pour quelques interprétations dans des films conséquents comme Le temps retrouvé, Le scaphandre et le papillon ou encore Les aventures d’Adèle Blanc-sec. Après avoir réalisé quelques courts-métrages, la jeune réalisatrice s’est essayée brillamment à un format plus long en réalisant trois épisodes de la série The Act avant de passer le cap de la première réalisation avec Nevada.

Nevada, dès son synopsis, apparaît comme un prolongement naturel à Rabbit, un film court consacré à une thérapie novatrice qui consiste à responsabiliser des détenus en leur confiant le soin de s'occuper d’un animal. L'objectif est simple : reconnecter l'individu au monde. Avec Nevada, le phénomène thérapeutique est au cœur du projet mais s’y ajoute, au-delà de l’aspect psychologique du rapport à autrui, une dimension physique puisqu’il est question de prendre en charge le dressage d’un mustang (d’où le titre original).

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L’ouverture du film peut induire en erreur le spectateur si celui-ci n’est guère attentif à la mise en scène. Des cartons détaillent la situation des célèbres chevaux sauvages du continent nord-américain et évoquent une réalité quant au rapport de l’homme à la nature et du pouvoir de nuisance de l’être humain sur son environnement. Mais l’essentiel du propos est ailleurs.

Les premières images arrivent, ce sont des très gros plans de chevaux filmés en train de brouter librement. Le très gros plan, c’est sur ce point qu'une interprétation hâtive peut induire en erreur, confère généralement à l’objet filmé, qu’il relève de l’animé ou de l’inanimé, une dimension symbolique. Ici, le très gros plan participe d’une dénaturation de l’animal pour en capturer l’essence, pour s'emparer de son image et pour l'assujettir au désir humain. Les plans s’élargissent et les chevaux s’inscrivent dans un paysage, l’Ouest américain. Nevada joue avec les mythes. Le contraste induit par les différentes tailles de plans dans l'appréciation des images relie deux dimensions diamétralement opposées : contenir la vitalité animale dans un cadre serré qui l'isole des espaces naturels et exposer l'infiniment grand convoqué par les plans larges qui intègrent les mustangs à un univers. Un Western ?

Tout le laisse penser. Comme dans le Western, si l’homme tente toujours de trouver sa place dans cet univers aux allures édéniques, l’animal, lui, semble vivre en harmonie avec les éléments. Mais cela ne dure pas. Très vite un son extérieur à la nature attire l’attention des chevaux. L’homme fait irruption. Un bruit, un moteur. Celui d'un hélicoptère qui vient troubler l’apparente quiétude des lieux. L’engin a pour mission de diriger les animaux sauvages vers un enclos. De là, les mustangs seront conduits vers les espaces de dressage.

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À partir de cet instant, Nevada introduit l’humain, filmé en gros plan, dans la dramaturgie. Un prisonnier, Norman Coleman (Matthias Schoenaerts) apparaît. On ne peut qu’assembler les images des chevaux qui ouvrent le film à celles de la cellule de prison où est installé Norman Coleman. Un montage parallèle est mis en place pour lier l’homme au cheval. Nous préférerons, pour éviter une nouvelle possible erreur d’appréciation, nommer ce parti pris formel "montage alterné". La simplicité voudrait que l’on se dise, en interprétant le terme "parallèle", qu’il y a une analogie entre l’homme et l’animal. Ce qui n’est pas le propos. L’alternance de plans indique plutôt une convergence narrative inéluctable entre Norman et le cheval qui lui sera confié. Mais il y a un processus à suivre avant cela. La démarche sera menée par un tiers, une psychologue, qui mesure le caractère asocial du personnage. Déjà, sortir Norman de sa claustration. Le faire travailler dans le ranch. Puis, laisser le temps faire son œuvre. Ou le hasard. C'est ce dernier qui va agir. Norman repère un cheval isolé des autres. Contact.

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Une fois la rencontre actée, le film décrira comment l’un et l’autre vont s’apprivoiser. Car il s’agira bien de cela. Une scène décrit tout l’apprentissage que Norman devra entreprendre pour communiquer avec les autres. Nous sommes dans le parloir de la prison. Sa fille, Martha, vient le voir. Dans la salle, un détenu a pour rôle d’immortaliser les visites des proches et il invite Martha et Norman à poser pour prendre une photo. Le père et la fille s’installent devant un poster mural qui laisse entrevoir un paysage exotique. Norman se positionne maladroitement avant que le photographe ne le dirige ou, plutôt, lui indique quels mouvements son corps doit effectuer pour être dans une position idéale pour prendre le cliché. La position idéale que doivent adopter Norman et Martha est bien évidemment celle qui laisse transparaître une communion ou un affect que les mots peinent encore à expliciter. Cela passe d'abord par le langage du corps.

Norman s’exécute maladroitement, il doit se positionner de trois-quarts face pour que soit perceptible dans l'image future un dialogue corporel censé traduire les sentiments qui unissent Norman et sa fille. Ce sont les mêmes indications que Norman doit mettre en pratique lorsqu'il se retrouve dans l’enclos avec le cheval afin que ce dernier tourne autour de lui. Cette position de trois-quarts face est une invitation. Elle permet de ne pas s’imposer physiquement à l'autre, à ne pas faire obstacle. C’est le début d’une possible danse, d'une possible communion physique et psychique qui, en soi, permet au corps étranger d'entrer à nouveau en contact et donc de se reconnecter au monde. Ne reste plus à attendre que le cheval accepte, lui aussi, d’entrer dans le pas de deux.

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Il était a priori hasardeux de tenter de concilier deux genres en apparence opposés, le Western et le film de prison. Le premier est par définition un genre qui a modelé, au cinéma surtout, notre rapport à l'espace et plus particulièrement aux grands espaces. Le Western est la mise en relation d’un certain paysage exceptionnel par sa beauté, sa vastitude et sa nouveauté, l’Ouest américain, avec une certaine aventure humaine (la domestication de ce paysage qui se mue souvent en expérience initiatique). Le Western est une épopée qui consiste à conquérir et investir ce paysage. Le film de prison, lui, arpente inévitablement les territoires du confinement et introduit le désir d'ailleurs (l'évasion), l'observation d'une structure sociale à travers ses maux (microcosme sociétal) ou encore permet d'explorer des formes d'injustice sociale ou politique. La réussite de Nevada tient dans la conjugaison de ces deux formes d'expression. Laure de Clermont-Tonnerre désigne avec justesse le corps comme prison de l'âme. Le talent de la réalisatrice se mesure dans sa capacité à rendre compte des intériorités de l'homme comme de l'animal. La cinéaste a su formuler par l'image ce qui semble improbable : elle a su opposer au calme apparent de ses personnages toutes les tensions internes des corps que seule une interaction avec autrui est en mesure d'apaiser. Surtout, la cinéaste s'emploie à nous rappeler qu'il est toujours possible d'échapper à sa condition. Explicitement, le salut de chacun ne peut se traduire que par l'acceptation de l'autre donc, d'une certaine manière, de soi.

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Crédit photos : ©Ad Vitam / © 2019 - Focus Features

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