Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

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China Gate - Carlotta Films

Publié par - 27 juin 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Samuel Fuller, très tôt tourné vers le journalisme, fut marqué, on le sait, par son incorporation comme soldat et reporter de guerre dans la Première Division d’Infanterie Américaine (la célèbre « Big Red One »). L’expérience, on peut s’en douter, l’a marqué à jamais. Repéré pour son travail de reporter et d’écrivain (publication en 1944 d’un roman intitulé The dark page), Fuller sera employé comme scénariste. Il devient cinéaste en réalisant J’ai tué Jesse James en 1949. Mais c'est grâce à ses films sur la guerre que Fuller va devenir le cinéaste réputé que nous connaissons aujourd'hui. Après un coup de maître sur la guerre de Corée (J’ai vécu l’enfer de Corée), Fuller va finir d’asseoir sa renommée avec des films comme Violence à Park Row, Le port de la drogue ou encore La maison de bambou. En 1957, Fuller réalise trois films inégalement appréciés. Si Quarante Tueurs et Le jugement des flèches bénéficient tous deux d’un crédit auprès de la critique, il n’en est pas de même avec China Gate. Carlotta Films, éditeur toujours en quête de valorisation ou de revalorisation du patrimoine cinématographique, nous donne enfin l’occasion de revisiter China gate.

Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

 

Avouons d'abord que nous comprenons pourquoi China Gate a pu, sans doute, déconcerter à sa sortie. Déjà, le film est moins évident que les deux autres, cités plus haut, réalisés la même année. China Gate se singularise de la filmographie de Fuller car le film est à la croisée des genres. Si China Gate se déroule en temps de guerre et qu’il emprunte nombre d’éléments thématiques au Film de Guerre (le plus évident reste cette volonté de relater un événement qui colle peu ou prou à une réalité historique objectivement vérifiable), le film se rapproche en bien des points à d’autres genres. On pense principalement au Mélodrame et au Film d’Aventure (théâtre de l’action exotique et mystérieux, insertion d’éléments fictionnels dans la réalité historique, personnages qui se transforment en figures allégoriques, anti-héros rongé par son le cynisme et le narcissisme, etc.).

Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

 

China Gate se déroule pendant la guerre d’Indochine. Le film décline les péripéties vécues par un commando de la Légion Étrangère chargé de faire exploser les stocks d’armes dissimulés par les combattants communistes dans des tunnels situés à proximité de la frontière chinoise. Pour infiltrer les territoires contrôlés par la guérilla communiste, le commandement français va convaincre Lucky Legs (Angie Dickinson), une Eurasienne qui est à la tête d’un trafic d’alcool avec les régions situées à la lisière de la Chine, de les aider à franchir les lignes ennemies.

Dans China Gate, on retrouve l’une des grandes qualités du cinéma de Fuller particulièrement perceptible dans ses films de guerre. On peut la résumer par l’aptitude du cinéaste de résister à la tentation d’une reconstitution mâtinée d’effets plastiques. Fuller, en connaissance de cause, a toujours revendiqué l’impossibilité de retranscrire visuellement les réalités d'une guerre. Il n’hésite donc jamais à théâtraliser son propos car, justement, ce qui importe à ses yeux, c’est la vérité que révèle le factice. Chez Fuller, l’artificiel est toujours guidé par l’expression d’une pensée qui, elle, au contraire des images, rend compte de phénomènes tangibles.

Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

 

Curieusement, l’effet produit est saisissant : sans avoir jamais été présent sur les lieux de l’action, le spectateur sait qu’il est au contact d’une réalité qui, dans sa formulation, se rapproche d’une vérité. Ce sera le cas également dans le célèbre The Big Red One. Le principe mis en place par Fuller dans China Gate ou ses autres films est simple : injecter dans l’espace fictionnel des éléments autobiographiques qui, dans leur manifestation, verbale le plus souvent, véhiculent du vécu.

Conférer de l’authenticité à la guerre telle que présentée dans ses films n’est pas la principale préoccupation du cinéaste. Ce qui importe, ce qui est essentiel, c’est de pouvoir donner au spectateur la possibilité de mesurer l’influence de la guerre sur un individu ou un groupe d’individus.

Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

 

Dans China Gate, comme il le fera plus tard dans The Big Red One, Fuller tisse une toile de fond historique, un conflit guerrier, pour ausculter ce que l’on peut nommer, pour faire simple, un phénomène d’exaltation de groupe (préoccupation qui a largement irrigué le cinéma américain à travers plusieurs genres). En ce point, nous ne sommes pas très éloignés de la situation de départ décrite par Ford dans Stagecoach (La chevauchée fantastique). China Gate, comme Stagecoach, est un film « microcosme ». China Gate réunit dans un espace hostile (même s'il ne relève pas du confinement ici) des personnages aux caractères, aux origines ethniques et aux statuts sociaux différents. Le paysage humain du film est une sorte de raccourci des fondements socioculturels de la société américaine (qu’on ne s’y trompe pas, les individualités réunies pour les besoins de la mission constituent une sorte de collectivité représentative des groupes sociaux US). Ce collectif, confronté à une adversité redoutable, devra trouver sa cohésion physique et morale dans l’épreuve qu’il se doit d’affronter pour sa propre survie. Cette traversée de l’espace hostile se transforme en un itinéraire où l’inconscient affectif de chacun permet de révéler la nature profonde des individus.

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Le groupe doit se solidariser pour avancer et tenter d’accomplir la mission qui lui a été assignée. Mais China Gate est plus retors. Comme on peut s’en douter, puisqu’elle est un élément que l’on greffe sur le groupe à la dernière minute, Lucky Legs n’a pas les mêmes motivations que les légionnaires. Par l’intermédiaire de ce personnage, le film entre dans une autre dimension que celle du film de guerre. Lucky Legs autorise, par sa présence improbable au sein du commando, d’intégrer des éléments dramaturgiques qui permettent à China Gate de transcender les limites du genre auquel le film semble se rattacher. China Gate se voit traversé et, donc, nourri par des élans sensuels (on pourrait même évoquer une certaine forme d’érotisme lorsque Lucky Legs apparaît pour la première fois au début du film), des péripéties qui teintent le film d’accents propres à la Tragédie (destinée individuelle contrariée par la raison du collectif), des fulgurances mélodramatiques, etc. Tout ça dans un film peu vu et très souvent sous-estimé. Si le film est moins brillant que Le port de la drogue ou The Big Red One, il n’en demeure pas moins vrai que l’œuvre mérite d’être réévaluée afin de lui rendre la place qu’elle mérite dans la filmographie de Samuel Fuller. Vous l'aurez donc compris, il nous revient de voir ou revoir China Gate afin de rendre à Fuller ce qui lui appartient.

Splitscreen-review Image de China Gate de Samuel Fuller

 

Il nous est apparu que l’image du film, sur le Blu-ray, était, pour un film de 1957, de très bonne qualité.

En complément, outre la bande-annonce du film, on trouve un module de 40 minutes environ intitulé Peace Of Mind. Dans celui-ci, sous la forme d’entretiens, il est question pour Samantha Fuller et Christa Lang Fuller, respectivement fille et ex-compagne du cinéaste, de relever les éléments présents dans China Gate qui se rattachent directement à la vie de Samuel Fuller. En creux, se dessine pour notre plus grand plaisir un portrait de l’auteur à travers quelques thématiques qui lui étaient chères.

Crédit Photographique : ©1957 MELANGE PICTURES LLC. TOUS DROITS RÉSERVÉS.

Suppléments (en HD sur le Blu-ray uniquement) :
Peace of Mind : entretien avec Samantha Fuller et Christa Lang Fuller (41 mn)
Bande-annonce

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