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Voilé.e.s/dévoilé.e.s

Publié par - 5 juillet 2019

Catégorie(s): Expositions / Festivals

Voilé.e.s/dévoilé.e.s. Ils ou elles portent un couvre-chef ou pas, on dit alors qu’ils ou elles sont en cheveux. Le voile est ce morceau de tissu non cousu plus ou moins souple, plus ou moins transparent en fonction de sa texture, du matériau utilisé et de son agencement sur le haut du corps, en tout cas sur la tête.

Parler de cette parure vestimentaire, c’est parler de chevelure qu’on veut cacher, masquer. Cacher c’est dérober à la vue et, de facto, susciter un peu plus le regard, l’aguicher, le diriger vers ce qu’on voulait ne pas montrer. Au final, cacher c’est exhiber. Des binômes paradoxaux, voilement/dévoilement, couvre-chef/en cheveux qui créent une tension. Cette articulation soulève bien des questions, et c’est là l’objet de cette exposition qui se tient cet été dans le monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse.

En latin et en arabe, le mot signifie à l’origine le rideau, une séparation. Celle d’une personne, homme ou femme vis-à-vis de la société, comme un retranchement accepté ou subi. Des quatre approches proposées, deux sont particulièrement stimulantes, celle de la mise en scène et celle du dévoilement dans les dernières salles. Dévoiler est alors un revirement de situation pour la personne concernée, ce que le déroulé de la scénographie reprend en partant du voilement jusqu’au dévoilement. Et ce à travers les âges, de l’Antiquité à nos jours et dans deux espaces principaux, européen et nord-africain.

Voiler tout court répond aux deux premières approches exposées : le voile coutumier et le voile sacré. Deux œuvres illustrent ces aspects. La première du peintre burgien Jules Migonney avec Femme arabe au narghilé de 1906 (œuvre du parcours située dans la collection permanente au premier étage du musée) représente une femme d’âge mûr, assise et vêtue du costume traditionnel, un voile enturbanné et un sarouel rayé. L’approche est sociale, elle parle du quotidien de ces femmes.

La seconde date de 1727, Jean Raoux dans Vierges antiques prend quelques libertés avec la réalité en représentant des vestales, prêtresses romaines affublées non pas de longs voiles ocres mais d’une tunique resserrée sur un jupon. Le tout dans des couleurs blanches ou ivoire, à la mode Régence.

Pour trouver les artistes travaillant sur l’articulation voilement/dévoilement, il faut recourir aux périodes agitées de l’histoire, à des révolutions de grande ampleur, aux grands fracas. Choisir les grands écarts par les dates et les espaces culturels. La France au tournant des XVIIIème et XIXème siècles et l’Iran à la fin des années 1970. Et ce sont des artistes femmes qui en parlent le mieux.

Claude-Denise Villers y répond avec brio dans une mise en scène manifeste. Une femme de la société pose depuis les extérieurs d’une propriété qui donne sur un paysage de collines lointaines sans élément particulier par la forme ou la couleur qui détournerait le regard de cette femme du monde. Il s’agit de l’artiste elle-même ou du Portrait présumé de Madame de Soustra, dame de compagnie de la future impératrice Joséphine. Nous sommes en 1802, les canons esthétiques de l’Antiquité sont repris et réagencés par les modistes de l’époque et Marie-Denise Villers est à la bonne école, elle a été élève auprès du peintre néo-classique Jacques-Louis David.

Ici elle joue des codes vestimentaires et détourne l’usage habituel de la mantille noire destinée au veuvage ou à la manifestation de la piété pour en faire un ustensile de séduction. Vêtue de grands voiles noirs qui rappellent ceux des vestales, elle nous regarde ostensiblement sans prêter attention au laçage de sa ballerine blanche. C’est une lecture verticale à laquelle l’artiste nous convie. Verticalité doublement soulignée par le voile tombant sur un côté et, de l’autre côté, par la main gauche qui se saisit du lacet. La carnation de la poitrine est révélée par le large décolleté et une passementerie rouge. La bouche est maquillée mais sans le regard arrogant, à peine aguicheur. Il s’agit de coquetterie, manière de paraître des gens du monde où prime “le besoin d’être aimée qui interdisait de se séparer vraiment d’un admirateur” souligne Catherine Descours dans sa biographe de Madame Récamier, égérie de ces années post-révolutionnaires, tout comme “le besoin de rompre tout en ne rompant pas faisait partie de l’art de se rendre inoubliable”. Le voile marqueur des frivolités et d’insouciances pour les happy few de l’époque. Ici, la tenue vestimentaire dit beaucoup du rapport de ces femmes à leur monde. Nous sommes dans un entre-deux, le voile comme artifice qui met une distance, mais qui peut aussi la briser par son retrait ou encore suggérer par son relèvement partiel. Le corps est mis en scène et le voile y participe de beaucoup.

Autres temps, autres mœurs, même si l’exposition n’est absolument pas caricaturale, puisqu’elle souligne autant le rôle du voile dans les cultures catholiques que musulmanes, il n’empêche que ce sont les artistes et leurs interprétations qui sont exposées et non pas les voiles à proprement parler, il est important de le signaler.

Donc deux artistes iraniennes exposent dans la dernière salle qui traite du voile dans l’art contemporain.  Deux séries de trois photos en couleurs qui se font face. Pour la première, Lida Ghodsi avec Intérieur, Extérieur Téhéran, trois photos datées de 2009 présentent trois âges de femmes avant la révolution islamique de l’ayatollah Khomeini. La même femme est photographiée avec et sans le voile. Juxtaposées, et légèrement asymétriques, les photos montrent le décalage entre espace public et espace privé. Dans le premier espace, la pression religieuse et sociale forcent les femmes à revêtir le voile, ce qu’elles n’ont plus besoin de faire dans le second, leur foyer. Décalage renforcé par l’inversion des termes dans le titre des œuvres. En face, l’interprétation de Shadi Ghadirian dans Like Everyday (Comme d’habitude) de 2001 est radicale. Le Shah a été renversé et la République islamique proclamée en 1979. Le visage féminin est remplacé par un attribut domestique, signature du rôle dévolu aux femmes : balai, bouilloire et fer à repasser. Le voile masque désormais tout le corps, c’est un tchador. Les deux artistes femmes iraniennes déclinent le voile en une double lecture, binaire et unitaire.

Pour jeter le trouble, il suffit de rebrousser chemin et d’observer une photo en noir et blanc de petite dimension due à l’artiste française Claude Batho, intitulée Le voile blanc d’avril 1980. Placée parmi d’autres œuvres dans la salle “le voile mis en scène”, elle côtoie entre autres des photos de femmes marocaines voilées de blanc et la peinture d’une femme prête à se marier. L’interprétation de la photo est alors double. Soit on voit un simple jeu, celui d’une jeune fille s’amusant d’un rideau blanc qu’elle enroule autour de son corps, le pur plaisir du toucher de la matière, douceur et légèreté. Soit on invoque un déterminisme social, parce qu’il y a parasitage par l’environnement immédiat des autres œuvres et on interprète dans un sens pré-figuratif, celui du mariage, voile blanc pour les cultures catholique et musulmane. La vitre de la fenêtre est embuée, de la même tonalité laiteuse que le voile. En extrapolant, c’est comme si l’extérieur devait se dérober pour se réduire à la nécessité d’un intérieur, celui de la chambre, du foyer, lieu du confinement traditionnel des femmes.

Le voile est un écran, il fait écran, à savoir qu’on se projette soi-même comme les autres peuvent se projeter.

Le voile bien plus qu’un simple morceau de tissu, un marqueur social. Celui de la place des femmes dans une société, et surtout celui de leurs marges de liberté accordées ou conquises.

Crédit image : Marie-Denise Villiers, Portrait présumé de Madame de Soustra, 1802, huile sur toile, Romans, musée de la chaussure, dépôt du musée du Louvre, © RMN Grand Palais - Gilles Berizzi (détails)

Autour de l'exposition :
Visites commentées à 15h :
Dimanches 16 et 23 juin, dimanches 7, 21 et 28 juillet, samedi 13 juillet , dimanches 4, 11 et 18 août ; Dimanches 1er, 8 et 29 septembre
Durée : 1h. Gratuit. Sur inscription au 04 74 22 83 83

Conférences
- Voile de la masculinité par Damien Delille, 25 juin à 18h
- Le voile en Orient par Bruno Nassim Aboudrar, 12 sept. à 18h
Gratuit. Sur inscription au 04 74 22 83 83

Jeune public
Stage "Dévoile ton talent" *
Création textile et imprimé à l'effigie de Brou en utilisant la peinture, la linogravure et le collage de motifs. Ces créations donneront lieu à un défilé de mode.
Du lundi 26 au mercredi 28 août, à partir de 7 ans, de 9 à 16h (repas tiré du sac)
Tarif : 45 €. Sur inscription au 04 74 22 83 83
(*) Dans le cadre de Voilé.e.s | Dévoilé.e.s

De l’art et des contes
Au gré du parcours, contes et oeuvres d'art se rencontrent et se répondent pour le plaisir des yeux et des oreilles.
Avec le réseau de lecture publique de la Ville de Bourg-en-Bresse
Jeudi 8 août et samedi 28 septembre à 15h. Durée : 1h30.
Sur inscription au 04 74 42 47 15

Mercredi 25 septembre, à partir de 18h : Soirée Loie Fuller.
En préambule du festival "T'en veux en corps ?" :
- 18h15 au monastère royal de Brou : Performance
Le chorégraphe Cécile Proust et l'artiste numérique Jacques Hoepffner associent lumière et corps en mouvement avec poésie et modernité.
Gratuit et sans réservation.
- 19h30 : Cinéma la Grenette :
Projection du film "La Danseuse" de Stéphanie Di Giusto
Avec Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, Lylie Rose Depp, François Damiens.
En partenariat avec le Cinémateur.
Plein tarif : 6,40 €
Tarif réduit : pour les adhérents du cinémateur, les amis de monastère royal de Brou et les étudiants.
www.cinemateur01.com / cinemateur@orange.fr

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