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Le cavalier électrique - Carlotta Films

Publié par - 11 juillet 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Sydney Pollack est un cinéaste qui n’a que très rarement bénéficié d’une attention critique digne de ce nom. Il faut dire que l’essentiel de sa carrière s’est développé, du milieu des années 1960 au début des années 2000, à un moment où les guerres de chapelles (critiques) faisaient rage. Il était alors de bon ton de traiter les films et leurs auteurs de manière excessive et, parfois, hasardeuse. Même si ce n’est pas l’objet ici, savourons l’idée que la relecture d’œuvres inconsidérées nous permet aujourd’hui de faire des découvertes et/ou de réhabiliter fort justement quelques-uns de ces artistes.

Pollack est de ceux-là. Il faut admettre qu’il n’avait rien pour plaire aux détenteurs du bon goût de l’époque puisque son œuvre s’est toujours située dans plusieurs entre-deux. C'est déjà le cas d’un point de vue générationnel puisque Pollack est un trait d’union entre le classicisme hollywoodien (Nos plus belles années en témoigne) et ce cinéma des années 1970 qui allait trouver son identité dans la déconstruction des mythes américains comme le démontre Jeremiah Johnson.

Au regard de sa filmographie, nous pourrions même avancer que Sydney Pollack a cultivé cette position médiane qui s’articule autour d’œuvres résolument commerciales (Tootsie, Out of Africa, Havana...), des films de genre réussis (L’interprète, Sabrina, L’ombre d’un soupçon…) et des films qui ne dissimulent rien de leurs ambitions formelles (Jeremiah Johnson, Les 3 jours du Condor, Bobby Deerfield, On achève bien les chevaux…).

Le cavalier électrique est à ranger plutôt dans cette dernière catégorie et apparaît de prime abord comme un prolongement naturel aux questionnements soulevés dans Jeremiah Johnson. Au-delà de son interprète principal, Robert Redford qui joue ici le rôle d’un cow-boy nommé Sonny Steele, les deux films ont en commun quelques problématiques convergentes (défiance envers les formes de pouvoir en place, refus des schémas civilisationnels aliénants, retour aux valeurs dictées par une nature fécondante, mesure des conséquences d’une innocence perdue, etc.). Les deux films se laissent cependant pénétrer de logiques différentes. Si Jeremiah Johnson revisite les conséquences de la domestication de territoires nouveaux à travers le rapport entre l’homme (incarnation de la Culture) et la Nature qu’il découvre et pervertit par sa seule présence, Le cavalier électrique fait le constat du revers de la conquête de l'Ouest et s'inscrit dans une pensée dont le cheminement est inverse. Dans ce dernier film, il s'agit d'abandonner ce qui fut édifié sur le sol américain pour retrouver des sensations primordiales.

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Dans Le cavalier électrique, c’est parce que l’homme a pris conscience de l’effet néfaste de ses actes sur son environnement qu’il décide de fuir ce qu’il engendre afin de tenter d'essentialiser son rapport au monde. À partir de cette seule idée, la trajectoire de Sonny Steele, as du rodéo devenu bête de foire et produit publicitaire, frappe par son évidence.

Une firme qui vend des céréales utilise son image de star du rodéo. Pour les besoins d’un plan marketing, la société en question achète également un pur-sang que l’on drogue ouvertement pour le rendre docile et le soumettre à des impératifs commerciaux. Alors qu’il doit effectuer un numéro promotionnel en compagnie du cheval lors d’un show organisé dans un casino de Las Vegas, Sonny Steele décide de ne plus être un objet corvéable à merci, il redevient un cow-boy et il s'enfuit avec le cheval.

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La scène est formidable. Affublé de son costume électrifié qui lui donne l’apparence d’une guirlande de Noël (stratagème inventé par les responsables de l'entreprise pour dissimuler, lors des shows en nocturne, les écarts éthyliques du cow-boy), Sonny Steele chevauche le pur-sang et traverse différents espaces qui, tous à leur manière, figurent différentes étapes de l’évolution de la conquête de l’Ouest. Il part de l’Enfer pour retrouver le chemin du Paradis. La fuite démarre depuis les coulisses du show avant de traverser la scène, la salle où se situe l’assistance, les salles de jeux du casino, la rue puis la ville. L’homme et sa monture disparaissent dans la nuit.

Notifier ce cheminement n'est pas anodin. C’est que les différentes étapes de ce parcours se déroulent selon un ordre qui est en tous points l’exact inverse de celui qui a défini la nature de la conquête de l’Ouest et de ce que cette épopée pouvait signifier. Sonny Steele, figure emblématique de l'Ouest, remonte symboliquement le temps. Sa fuite est en soi habitée par le désir de revenir aux origines utopiques de la conquête de ce territoire qu’est l’Ouest américain avec l'espoir de recommencer l’histoire et de tenter de ne pas reproduire les mêmes erreurs.

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La conquête de l’Ouest peut se définir par plusieurs phénomènes. Cela peut se caractériser, entre autres, par la volonté de s’affranchir des modèles civilisationnels européens ou par l'opportunité qui est offerte à l'homme de refonder des sociétés qui furent au fil du temps polluées et contaminées par diverses formes de déviances. Bref, la conquête de l’Ouest, c’est la possibilité offerte à certains individus de régénérer le genre humain. Hélas, la réalité fut tout autre. L’homme a défriché, massacré, déformé et souillé l’espace vierge qui se présentait à lui.

Las Vegas est à ce titre particulièrement représentative des dégradations dues à la présence de l’homme. Las Vegas est une sorte de nouvelle Babylone érigée en dépit de toute considération écologique et environnementale. Las Vegas est une anomalie, une erreur, une insulte à la Nature, une ville construite avec arrogance au détriment des ressources naturelles locales. Las Vegas est factice, artificielle, la lumière naturelle n’ose y pénétrer. Las Vegas n'est que néons.

Sonny Steele s’échappe du show recouvert de son costume électrifié qui se confond avec le décor. Lorsqu’il arrive au terme de la rue bordée de casinos, le Strip, il débranche son costume de la batterie qui alimente les lumières qu’il porte. Il disparaît dans l’obscurité d’une nuit où se perdent tous les éléments qui constitue ce qu’il reste de naturel aux environs de Vegas.

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Il faut voir dans le parcours effectué par le personnage l’aveu d’un fiasco retentissant. L’itinéraire parcouru par le cow-boy, des coulisses du casino au désert de l’Utah, atteste de la fin des utopies et induit une certaine forme de culpabilité. Sonny Steele, d’une certaine manière, plaide coupable pour le genre humain. Mais il ne faut pas se méprendre et penser qu’un fatalisme se cacherait derrière la noblesse de la décision du cow-boy. Au contraire, l’homme choisi de ne plus collaborer avec le pouvoir, il décide de ne plus servir un système avec lequel il ne se trouve aucune accointance. De ce fait, l’initiative devient rébellion. Un acte politique et civique. C’est aussi la fin des illusions, la fin de l’innocence et le rejet des réalités proposées par l’Amérique des années 1970. Le cavalier électrique touche par sa simplicité et la facilité avec laquelle s’imposent avec force les éléments qui définissent ce qu'est l’essence d’une nation qui aurait oublié ses propres fondements philosophiques et théologiques.

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La copie du film proposée sur le Blu-ray est excellente.

Pour ce qui est des suppléments, on trouve un entretien avec Bernie Pollack (29min), frère de Sydney et costumier respecté, qui revient sur sa carrière et ses rapports professionnels avec son frère. La voix des costumiers n'est pas toujours entendue et il est particulièrement intéressant d'approcher le travail de création d'un film depuis le point de vue de cette profession.

Autre bonus réjouissant, Point de mire sur la poursuite (13 mn) qui fait la part belle à Conrad E. Palmisano, cascadeur, qui a mis au point la célèbre course-poursuite entre le cavalier et les voitures de police.

Crédit photographique :  © 1979 COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC / UNIVERSAL CITY STUDIOS, INC. Tous droits réservés. TM & © 2019 UNIVERSAL STUDIOS. Tous droits réservés.

Suppléments (en HD uniquement sur le Blu-ray) :

Le costumier éclectique : Bernie Pollack à propos du Cavalier Électrique de Sydney Pollack (29 mn)

Point de mire sur la poursuite : le cascadeur Conrad E. Palmisano à propos du Cavalier Electrique (13 mn)

Bande-annonce

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