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Locke & Key

Publié par - 25 juillet 2019

Catégorie(s): Bande dessinée

Tout genre, littéraire ou autre, est habité de figures incontournables qui inspirent, au fil du temps, les générations suivantes. Peu d’artistes intéressés par le fantastique, par exemple, peuvent prétendre ignorer l’influence du Seigneur des anneaux de Tolkien sur leur travail. Il en va de même dans le domaine de l’horreur où l’un de ses représentants les plus respectés est sans doute H.P. Lovecraft. L’influence de ce fondateur de l’horreur cosmique se manifeste autant dans le cinéma de Guillermo del Toro que dans les peintures d’H.R. Giger. Les écrivains inspirés par son œuvre sont aussi très nombreux : Neil Gaiman, Clive Barker et, surtout, Stephen King. La transmission se poursuit de nos jours et on en trouve traces dans Locke & Key, une bande-dessiné écrite par Joe Hill, nom de plume de Joseph Hillstrom King, fils de Stephen King.

 

Lovecraft disait qu’un récit se devait de démarrer au plus tôt afin d'entrer rapidement dans l’action. Joe Hill applique donc cette règle. Locke & Key raconte la tragédie de la famille Locke. Tout commence par un massacre. Deux adolescents débarquent chez eux armés et assassinent le père, Rendell Locke, violent la mère, Nina, et tentent de tuer les trois enfants : Tyler, Kinsey et Bode. Après avoir vécu cet enfer, les survivants de la famille partent vivre à Keyhouse, l’ancienne demeure familiale, située dans une ville nommée Lovecraft, Massachusetts. L’auteur ne cache donc pas son admiration pour le célèbre auteur de L’appel de Cthulhu. Au contraire, il le revendique. Le fantastique ne tarde alors pas à se manifester et avec lui son lot de monstres et de magie. Le petit Bode, curieux et dissipé, explore le manoir et découvre des clefs magiques. L’une d'elles permet de devenir un fantôme, une autre de devenir un géant, une autre encore de changer de sexe en un clin d’œil. Chacune d’entre-elles offre ainsi une capacité différente et extraordinaire que les trois enfants Locke exploiteront selon leurs désirs. Mais aucun d'entre-eux ne se doute alors que des puissances obscures tentent de les manipuler pour mettre la main sur une mystérieuse clef noire. Ces forces ténébreuses agissent à travers le personnage de Dodge, une ancienne connaissance de leur défunt père, disparu des années auparavant. D'abord sous la forme d'une simple voix prisonnière d'un puits oublié, Dodge sait quoi murmurer à l'oreille de ses victimes (notamment Bode) pour obtenir ce qu'il souhaite : en premier lieu la liberté, puis, en se faisant passer pour un jeune homme ordinaire et plein de charme, les clefs, donc le pouvoir.

C’est hélas chose aisée pour lui puisque, suite au drame enduré, ce qu'il reste de la famille Locke est brisé. La mère sombre dans la dépression et néglige ses enfants. Si le benjamin de six ans, Bode, arrive à échapper à son quotidien en se réfugiant dans son imaginaire naïf lorsqu'il explore le manoir, il en va autrement pour Tyler et Kinsey, l’aîné et la cadette de la fratrie. Ces derniers sont dépourvus de figures parentales référentes au moment le plus complexe de leur jeune vie : l’adolescence. Entre les premiers amours, le deuil, la violence quotidienne et l’arrivée dans une nouvelle ville, chacun doit faire face à ses propres difficultés existentielles sans personne pour le guider. Les clefs représentent alors un moyen de fuir la réalité par l'obtention d'un pouvoir qui défie les lois de la nature. Kinsey, incapable de gérer ses émotions, n'hésite pas à utiliser une clef pour retirer le chagrin et la peur de son esprit. Mais refuser de faire face à sa psyché de façon aussi artificielle aura inévitablement des conséquences sur sa personnalité, ce qui envenimera les relations avec ses proches. On peut y voir une version fantastique de l’addiction à quelque chose pour échapper à la souffrance du deuil et à la dureté du quotidien. Faut-il aussi y voir un clin d’œil aux œuvres du père de l'auteur ? On pense à l’alcoolisme tel que décrit comme élément destructeur de la cellule familiale dans Shining.

 

H.P. Lovecraft disait que l’âge adulte est assimilable à l’enfer. Joe Hill semble partager cette idée. Tout au long du récit, le lecteur suit les tourments de personnages en manque de repères et qui s'opposent à des forces qui les dépassent. Les soucis de l’adolescence, du passage à l’âge adulte, se mêlent aux affrontements contre des puissances maléfiques qui outrepassent la compréhension humaine. Comme le veut l’archétype de la maison hantée, ainsi que du personnage Lovecraftien, les réponses aux questions des héros se trouvent dans le passé familial. Que ce soit à l’époque où leur père jouait La Tempête de Shakespeare au lycée ou quand leurs ancêtres combattaient les Anglais durant la révolution américaine, tout est le fruit d’un temps jadis qui resurgit après un événement déclencheur, la séparation sanglante initiale. Cette investigation sur le temps est autant un moyen de retrouver des repères à travers la découverte de ses racines qu’une explication aux épreuves à surmonter dans le présent. La menace pesante des horreurs cosmiques de Lovecraft s’associe au drame fantastique de Stephen King. On plaint Nina, la mère, qui découvre la clef qui permet de tout réparer. Tout sauf son mari. Les puissances incompréhensibles de l’univers mettent en exergue la tragédie de la condition humaine.

Joe Hill combine ainsi ses deux principales sources d’inspirations pour raconter la tragédie d’une famille perdue face à la complexité destructrice de l’univers. À travers celle-ci, à l’image de son père, il apporte une réflexion sur l’Amérique contemporaine et sa violence. Selon Hill, les racines de ces maux quasi-mythologiques sont à chercher dans les origines guerrière de son pays. Avec la vision microcosmique du monde qui se matérialise dans la petite ville de Lovecraft, nous vient à l'esprit que Joe Hill a choisit d’y faire jouer “La Tempête” uniquement pour confirmer cet extrait de la pièce : “L’enfer est vide. Tous les démons sont ici.”

Crédit images : ©Hicomics

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