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Masculin Féminin et 2 ou 3 choses que je sais d’elle de JL Godard - Potemkine Films

Publié par - 6 septembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Godard est un cinéaste qui a toujours été sujet à des appréciations ou à des analyses qui couvrent un spectre aussi étendu que les territoires arpentés par son œuvre. Godard, le cinéaste, est un artiste reconnu et, parfois, adulé au-delà du raisonnable, ce qui agace considérablement ceux qui l’observent avec défiance. Godard ne laisse, quoi qu’il en soit, personne indifférent : on admire ou on déteste l’intellectuel qu’il est tout en lui faisant le crédit d’une intelligence extra – ordinaire. En tout cas, chacun s’accordera au moins sur un point : Godard est une figure incontournable de l’art du XX ème siècle que le cinéma s’est proposé d’être. Cela ne signifie pas qu'il faut passer par lui pour comprendre ou aimer le cinéma mais il est judicieux, au moins, de se pencher sur son travail en considérant la dimension adéquate de celui-ci. Peu importe que l'on aime ou pas Godard, ce qui importe, c'est de mesurer et de reconnaitre l'importance de son ouvrage.

Comme pour tout artiste qui traverse son temps et le temps, le travail de Godard sur l’image et autour de celle-ci embrasse plusieurs périodes et emprunte à différentes formes d’expression (peinture, littérature, musique, cinéma, etc.) que le cinéaste se plaît à interpoler ou juxtaposer à d’autres domaines de la pensée (Histoire, Politique, Religion, Sciences humaines, etc.).

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Les deux films proposés par Potemkine Films en DVD/Blu-Ray en ce mois de septembre (Masculin Féminin et 2 ou 3 choses que je sais d’elle) sont particulièrement intéressants et cela pour plusieurs raisons. Déjà parce que ces deux films-là sont un peu moins connus que certaines œuvres réalisées dans les années 1960 qui ont été largement commentées à maintes reprises. Ensuite parce que Masculin Féminin et 2 ou 3 choses que je sais d’elle sont deux films représentatifs d’un cycle, initié par À bout de souffle, dont la fin s’amorcera avec Pierrot le fou pour se clore avec Week-end. Les deux films qui font l’objet d’une édition soignée par Potemkine Films sont aussi les prémices d’une nouvelle ère formelle qui, d'une autre manière, prolongera ou poursuivra le questionnement sur la nature du cinéma qui traverse toute l’œuvre de Godard. Ce qui est remarquable ici, c’est que cette interrogation se fait de l’intérieur. C’est-à-dire que c’est par l’intermédiaire du cinéma que Godard tente de trouver réponse à une célèbre question : Qu’est-ce que le cinéma ?

Pour ce faire, attiré par quelques aspects documentaires, notamment par ce qui relève de la restitution ontologique de l’instant ou du moment, Godard, comme d’autres cinéastes de la Nouvelle Vague, tentera d’inscrire le cinéma dans la réalité de la société française des années 1960. Le choc est brutal. Il en ressort que la jeunesse, peu importe ses aspirations, semble ne plus se satisfaire de ce que la société lui apporte ou lui offre.

De ce point de vue, Masculin Féminin apparaît comme une étude sur le décalage qui existe entre la jeunesse des années 1960 et la société en général. L’examen s'effectue selon une approche scientifique comme l’expriment les dissonances entre les voix off et le contenu de certains plans dans lesquels la vie des Parisiens suit son cours. Les plans sont des sortes de ponctions pratiquées sur une réalité inconsciente de l'argumentaire qu'elle recèle. Les différences sont palpables dans l'écart qui sépare la modernité qui émane du traitement de l'image du film et le paysage social qui en constitue la substance. Les voix off évoquent l'idée d'un vide matériel alors que la présence de la foule dans le cadre dynamise l'image. Écart. Mais de quel vide parlons-nous ? Uniquement d'un vide matériel ? Possible puisque ce n’est pas parce que les Français filmés de manière documentaire s’agitent sur l"écran qu’il ne produisent pas de l’inutile. Mais au regard de ce qu'avance la voix off, pourquoi ne pas envisager également un vide spirituel ? Ou un vide intellectuel ? Un vide culturel ? Ou pourquoi pas tout cela en même temps ? Toujours est-il que, dans ces scènes-là, l’écart entre le son et l’image, montage mon beau montage, invite à des réflexions autant poétiques que concrètes. Malgré son apparente abstraction, le film décrit le tangible d'une fracture sociale.

Godard rejoint ici Eisenstein. Car l'enjeu du phénomène à l’œuvre dans la forme rejoint les théories du célèbre cinéaste soviétique. Il s’agit de rapprocher deux éléments apparemment étrangers l’un à l’autre (le son intérieur d’une voix off et des images de rue, donc extérieures, capturées selon une logique voisine de celle des frères Lumière) et de les associer sur un plan qui leur est étranger (le film de Godard). La juxtaposition ou la collision de ces éléments provoque alors des interrogations qui échappent à la dimension rationnelle et factuelle des choses filmées et enregistrées. Nous sommes-là en présence d'un principe qui peut se comparer au collage.

Ces hypothèses formelles, dont le fonctionnement se démultiplie par l’usage de la citation, témoignent d’un intérêt scientifique (du fait de la nature de l’outil cinématographique) pour une question fondamentale : la question du regard et du voir. La vision physiologique importe peu. Ce qui est essentiel, c’est ce qui peut résulter des collisions de sujets identifiables qui perdent, du fait d'improbables télescopages, de leur sens commun dans l’imaginaire du spectateur.

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Dans 2 ou 3 choses que je sais d’elle, le même processus est à l’œuvre dans la fameuse scène du café dans lequel entre Marina Vlady. Le café est un lieu de tournage, un décor et un espace incubateur de réflexions sur le monde. Marina Vlady interprète une femme qui se prostitue, comme d’autres, pour des raisons financières mais pas que. L’argument économique est primordial car de cette situation singulière se décline une pensée sur l’état des sociétés occidentales qui gouvernent le monde. Elle entre dans le café et nous distinguons à travers les vitres de celui-ci, à l’extérieur, la réalité de la France de l’époque : les voitures, les passants, etc. Marina Vlady est un extrait, un prélèvement. Elle devient un objet d’étude. On distingue, à ce moment-là, aussi nettement l’extérieur que l’intérieur du café. On retrouvera quelques instants plus tard, dans la continuité de la scène, Marina Vlady devant la porte d’entrée du café mais, cette fois, nous ne pouvons voir ses traits en raison du contrejour. La rue, elle, l’extérieur donc, reste comme au début de la séquence parfaitement visible. Le moment est important puisque c’est à cet instant que le personnage interprété par Marina Vlady va changer de statut. Elle était une consommatrice et elle devient une prostituée en quête d’un client.

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Le phénomène technique révèle l’impact de l’extérieur sur l’intérieur, l’influence de la sphère collective sur l’être singulier et l’importance des effets socio-politiques sur la trajectoire individuelle de cette femme. Elle traverse le sas de la pénombre et devient un autre personnage ou plutôt une pensée en mouvement. Le cinéma, pour Godard, n’a pas pour fonction de se substituer aux moyens dont nous disposons pour résoudre les principaux problèmes de la vie mais le cinéaste aspire à en faire un révélateur, un traducteur, un décodeur. Pour Godard, le cinéma est un outil car ce qu'il en fait est politique au sens étymologique du terme. C’est-à-dire qu’il a pour ambition d’œuvrer sur le fonctionnement et la structure de notre société, via le spectateur, dans l’espoir de la modifier. Pour ce faire, il s’agit de s’adresser à tous pour transformer les consciences individuelles. De ce strict point de vue, il semblerait qu'il reste encore beaucoup à faire et donc que le cinéma de Godard a visiblement encore beaucoup à nous dire...

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La qualité des deux copies, restaurées en 2K, est irréprochable.

Pour ce qui est des suppléments, deux modules ont attiré notre attention sur Masculin Féminin. Il s'agit de l'analyse de séquence proposée par Nicole Brenez qui, dans une logique godardienne, nous propose une lecture pertinente d'instants choisis.

Toujours autour du même film, la présentation d'Alain Bergala sur la production et les origines de Masculin Féminin mérite plus qu'un détour. C'est simple, brillant, imparable.

En ce qui concerne 2 ou 3 choses que je sais d'elle, les bonus sont plus nombreux. On retrouve avec bonheur (à deux reprises) Alain Bergala qui, dans un registre plus étoffé que sur Masculin Féminin, excelle à nouveau. Analyse de séquence remarquable et présentation du film épatante sont au programme.

Cela aurait déjà été conséquent mais Potemkine Films a aussi eu la judicieuse idée d'enregistrer, en plus, les commentaires d'Aurélie Cardin qui s'attarde sur le rapport entre la nouvelle banlieue qui se dessine dans les années 1960 et le discours politique de Godard.

Un autre module voit Sylvain George évoquer les réflexions suscitées par le film sur la question de la périphérie urbaine. Ajoutons pour conclure cette importante liste de compléments la présence d'un court-métrage, Signé Stella, qui est une lecture d’une lettre anonyme publiée dans le Nouvel Observateur en 1966 en réponse à un article écrit par Catherine Vimenet sur la prostitution occasionnelle pratiquée dans les banlieues de région parisienne.

Crédit photographique : ©Potemkine Films

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Suppléments :
Masculin Féminin
- Préambule par Nicole Brenez (4min30)
- Analyse de séquence par Nicole Brenez (11 min)
- Masculin Féminin raconté par Alain Bergala (23min30)
- Bande annonce réalisée par Jean-Luc Godard

2 ou 3 choses que je sais d'elle
- Présentation du film par Alain Bergala (12 min)
- Analyse de séquence par Alain Bergala (28 min)
- Interview d'Aurélie Cardin, déléguée générale du Festival Cinébanlieue (20 min)
- Bande annonce réalisée par Jean-Luc Godard
Uniquement sur le blu-ray :
- Signé Stella (7 min)
- Le film vu par Sylvain George (30 min)

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