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Fête de Famille

Publié par - 9 septembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Dans Fête de Famille, Cédric Kahn quitte les régions montagneuses arpentées dans La prière et nous emmène sous le soleil de la Dordogne. Par la même occasion, il délaisse le cheminement spirituel pour le drame familial. Andréa (Catherine Deneuve) fête son anniversaire avec son époux, ses enfants et ses petits-enfants. L’aîné, Vincent (Cédric Kahn), est le prototype de l’homme qui a réussi : sa carrière est prometteuse, son épouse est médecin généraliste et ils ont deux enfants. Le second fils d’Andréa, Romain (Vincent Macaigne), est à l’opposé de son frère : ancien drogué, cinéaste raté qui n’hésite pas à filmer sa famille pour une commande et qui amène dans cette réunion familiale une jeune Argentine qu’il ne fréquente que depuis quelques mois. Comme le souhaite Andréa, les préparatifs de son repas d’anniversaire se déroulent dans une ambiance joyeuse et conviviale. Soudain, cette vision idéale de la fête est interrompue par un double événement : d’abord, la douceur estivale est balayée par une pluie diluvienne qui n’annonce rien de bon. Ensuite, il y a l’arrivée  « surprise » de Claire (Emmanuelle Bercot), la fille d’Andréa, dont personne n’avait plus de nouvelle depuis trois ans. À partir de là, le climat de la fête de famille change. Les festivités sont supplantées par une succession de crises que chaque membre de la famille tentera d’atténuer pour exaucer le souhait d’Andréa.

Avant ce revirement de situation, il semblait déjà évident que le propos du film tournerait de l'idée du non-dit, du secret de famille et des artifices utilisés pour préserver un semblant d’équilibre. Le film s’ouvre sur un plan subjectif de Vincent qui franchit, dans sa voiture, le portail de la propriété et pénètre dans le topos de l’intimité familiale. Vincent nous entraîne dans le film. Il est le personnage qui nous servira de repère. Or, ce personnage se singularise dans l’histoire mais aussi dans le métatexte. Tout d’abord, il est le seul membre de la fratrie qui semble indépendant financièrement. De plus, son apparent équilibre affectif (sa propre famille joue le rôle d’élément stabilisateur) lui permet, semblerait-il, d’adopter une posture plus rationnelle quant aux événements qui se bousculent. Il n’est pas anodin de noter que ce personnage est interprété par le metteur en scène du film (Cédric Kahn), ce qui charge Vincent d’une position double : celle d’un homme qui porte un regard lucide sur sa famille et celle d’un cinéaste qui contrôle la dramaturgie de l’intérieur du film.

Plusieurs éléments présents dans les scènes qui précèdent l’arrivée de Claire témoignent de cette forme de mise en abyme entreprise par les personnages imaginés par Cédric Kahn. Romain, par exemple, le cinéaste « raté », place ostensiblement sa caméra de manière à porter un juste regard sur les personnes présentes, comme s’il cherchait le meilleur angle possible pour exposer sa famille. Mais cela pourrait être aussi pour mieux saisir des instants qui seraient révélateurs des problèmes latents. Les enfants participent de cette entreprise. Emma, Julien, Milan et Solal préparent les divers éléments d’une pièce de théâtre (musique, répétitions, décors, costumes…) dont les personnages sont des homonymes des membres de la famille.

À compter du moment où Claire arrive, le château de carte s’écroule. Tout d'abord, des conflits familiaux « ordinaires » (argent, jugements d’autrui) se manifestent puis la crise se répand et contamine de manière concentrique tous les membres de la famille. Les crispations se multiplient et émergent alors des conflits bien plus profonds. Le caractère borderline de Claire en fait un personnage extrême (à la limite de l’hystérie) mais les autres protagonistes ne sont pas en reste. Tous dévoilent progressivement des failles intérieures conséquentes et tentent de maintenir en l’état le déni sur lequel repose leur relation, ce qui, d’une certaine manière, entraîne davantage de catastrophes. Cédric Kahn fait également un usage particulier de la citation qui a pour fonction, dans ce film, la prise en charge de ce qui n’est pas explicitement exprimé. À ce sujet, on pense aux morceaux de musique récurrents ou encore à la lecture de Claire, Une vie de Maupassant, qui dresse le portrait d’une femme qui cumule déboires et difficultés financières. À force de voir la famille de plus en plus gangrénée par les coups d’éclats, on en vient à se demander qui des personnages servira de bouc émissaire et devra être sacrifié pour rétablir un équilibre rompu lors de l’arrivée de Claire.

Sur fond de comédie dramatique, Fête de famille aborde, à sa manière, le sempiternel sujet des conflits de famille avec beaucoup de réalisme. Nul ne pourra prétendre ne jamais avoir été confronté à de pareilles situations, qu’il soit membre direct de la famille, de la génération suivante ou même de ceux que l’on surnomme les « pièces rapportées » qui subissent ces situations plus qu’ils n’y participent. Ce sera d’ailleurs la posture adoptée par le spectateur qui, par l’usage de beaucoup de plans panoramiques, peut à loisir observer ce qui se déroule sous ses yeux, réfléchir aux causes et conséquences des péripéties qui bouleversent la dramaturgie mais il restera un observateur qui ne pourra jamais agir.

Crédit photographique : Les films du Worso

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