Détour inattendu par le polar dans la filmographie de Bo Widerberg, Un flic sur le toit est une adaptation de L’abominable homme de Säffle, 7ème roman de la série Histoire d’un crime. Un ensemble de 10 volumes qui relate les enquêtes de l’inspecteur Martin Beck et a été écrit par le duo d’auteurs à succès Per Wahlöö et Maj Sjöwal entre 1965 et 1975. Sorte de Maigret suédois, Martin Beck partage le même physique imposant que son homologue français et son goût pour les interrogatoires taiseux. La plupart du temps, c’est d’abord un long soupir ou une volute de fumée de cigarette qui s’échappe de sa bouche avant qu’il ne prononce un mot.
Dans sa première moitié, le film immerge le spectateur au cœur du quotidien de Martin Beck et se concentre sur tout le processus d’investigation qui s’articule autour du sanglant assassinat de l’inspecteur Nyman dans sa chambre d’hôpital. Le meurtre fait l’objet d’une scène d’introduction qui s’oppose formellement au reste du film. Bo Widerberg feint d'amener son film sur un terrain psychologique. Cadre posé, temps suspendu et long silence entourent la chambre d’hôpital qui baigne dans la pénombre, le malade y attend son heure. Widerberg ose même quelques plans abstraits lorsque des rayons de lumière se réfractent au travers de la fenêtre donnant sur l’extérieur et quadrillent un prisme multicolore sur le plafond de la chambre du malade. Mais avec le passage à l’acte du meurtrier tout bascule. La caméra devient subjective, le spectateur se retrouve à la place de la victime, le sang rouge, hyper réaliste (Widerberg insista pour que cela soit du sang de cochon), jaillit de toute part et transforme rapidement la chambre d’hôpital en abattoir suite à l’impitoyable tuerie à la baïonnette. Ainsi, la rupture est faite, plus jamais la caméra ne sera posée sur un trépied, Widerberg prévient que son film sera expérimental ou ne sera pas.
En soi, la collision des genres qui a lieu dans cette scène d’introduction mérite déjà notre attention. Mais celle-ci change de dimension si nous la pensons en fonction de l’héritage cinématographique de Widerberg, plus particulièrement celui de son homologue suédois, Ingmar Bergman. Le traitement formel de l’ouverture d’Un flic sur le toit comme son sujet font directement écho au cinéma de Bergman. Rappelons-nous l’introduction de Cris et Chuchotement ou bien les corps allongés de Persona. La rupture opérée par Widerberg dans son introduction est donc double. De manière très habile, il rend à la fois hommage à son ainé tout en balayant du revers de la baïonnette un cinéma peut-être un peu trop daté pour lui, en tout cas trop intellectuel.
Widerberg est en quête d’innovation et de modernité. D’aucuns, à raison, lui attribuent la volonté de s’inspirer des méthodes de productions de la Nouvelle Vague française. Beaucoup de scènes sont prises à la volée et acceptent ainsi une part de hasard dans leur déroulement, nombre de figurants sont recrutés au moment du tournage, Widerberg laisse aussi beaucoup de place à l’improvisation en positionnant ses acteurs dans des décors réels et en laissant la caméra tourner longuement. Mais formellement les ambitions du réalisateur semblent plus proches du réalisme américain de Sam Peckinpah ou William Friedkin que du polar français d'Henri Verneuil, Peur sur la ville, tourné la même année.
Il faut dire que le propos d’Un flic sur le toit s’éloigne sensiblement des cascades à répétition enchainées par Belmondo en invincible justicier à la gâchette bien huilée, il lui serait même radicalement opposé. Widerberg porte un regard horizontal sur la police, il positionne son œil à hauteur d’homme et place ses fonctionnaires au même niveau que les citoyens qu’elle sert et protège. La caméra à l'épaule, toujours un peu flottante, invite le spectateur à pénétrer les dessous de la police criminelle. Grâce à un judicieux travail d’amorce et à l’utilisation de focales moyennes, Widerberg inclut le spectateur dans l’intimité policière tout en maintenant la juste distance que serait celle d’un voyeur omniscient, spectateur mais pas acteur. La caméra portée suppose aussi, de facto, un travail documentaire en prise directe avec le réel qui pourrait en quelque sorte attester, voire arbitrer, du caractère réaliste de ce que nous observons. Un aspect qui semblait primer dans le développement du film pour Widerberg. Les emprunts au réel y sont multiples. Le décor du commissariat central, le bureau de la Criminelle, les policiers en faction dans la rue, même le jeune camé qui crache au visage des policiers a été ramassé sur le trottoir, sans parler de l'hélicoptère qui s'abat sur les sanitaires de la grand place...
Si le point de vue adopté par Widerberg est horizontal, le danger, lui, vient d’en haut. Le fameux flic sur le toit, arsenal de guerre à portée de main, tire à vue sur toutes les silhouettes qui ressemblent de près ou de loin à un policier en uniforme. Bien sûr, celui-ci est réduit à sa caractéristique première, flic, peu importe lequel. Il n’a d’ailleurs pas de visage. Ce que l’on voit de lui sont les armes qu’il pointe sur la foule. La critique à l'encontre du système est acerbe, la violence policière se retourne contre elle-même et la social-démocratie suédoise, d’apparence idéale, semble être en bout de course. La police est impuissante face au tireur malgré le déploiement de moyens militaires démesurés ; tout aboutit à un échec. Le dernier mot revient au citoyen, lors d’un ultime assaut porté par une poignée d’hommes, alors que les uniformes sont tombés, le policier se refuse à tirer et laisse le civil porter le coup d’arrêt final à la violence.
Crédit Photographique : ©Malavida