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Bacurau

Publié par - 30 septembre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Il est de notoriété publique que les États-Unis et l’Amérique du sud ont des relations et une histoire que l'on pourrait qualifier de complexes. Il y a cependant une devise populaire en Amérique latine qui décrit son pays le plus étendu, le Brésil, comme une sorte d’équivalent tropical du pays de l’oncle Sam. Il est vrai que le Brésil et les États-Unis naquirent à partir du statut de colonie affiliée à une puissance européenne. Il est également vrai que ces deux pays se sont étendus en conquérant une terre "sauvage". Si l’on excepte l’Alaska, les deux pays font d’ailleurs quasiment la même taille. À travers Bacurau, film à la croisée des genres, Mendoça Filho et Dornelles tentent de tordre le coup à cette idée reçu.

Dans un futur proche, un petit village du nord-est du Brésil, Bacurau, porte le deuil de sa matriarche, Carmelita, morte à 94 ans. Suite à cela, divers personnages, y compris un criminel recherché, reviennent dans leur village natal pour présenter leur hommage. Tout le village porte le deuil au milieu d’une terre parsemée de ruines et de carcasses de voitures. Le décor est apocalyptique, quasi-désertique et fait le portrait d’une campagne brésilienne abandonnée par le reste du monde. Comme pour illustrer cela, les habitants découvrent que Bacurau a disparu des cartes géographiques consultables sur internet. Cet événement marque le début d’un terrible massacre au milieu de nulle part perpétré par un groupe de nantis américains en manque de sensations fortes.

D’emblée, l’imagerie de Bacurau nous entraîne sur le terrain du Western. Il est vrai que ce genre filmique, né aux États-Unis, semble, au regard des paysages grandioses observés et situés fort loin de la civilisation, particulièrement adapté pour raconter les tourments des villageois qui résident à Bacurau. De plus, alors que la réalisation puise dans la mythologie de ce genre cinématographique, le scénario, lui, s’inspire, par l’apparition d’un drone en forme de soucoupe volante annonciateur d’une possible invasion Alien, d’un autre genre typiquement américain : la Science-Fiction. Il faut cela dit considérer cet élément scénaristique à partir de son sens original anglais “Alien Invasion”. Ce qui veut littéralement dire invasion étrangère. Le village de Bacurau est en effet la proie d’un groupe d’Américains qui véhiculent une vision du monde qui est à l’opposé de celle des habitants du village. De plus, les « envahisseurs » sont détenteurs d’une technologie qui, bien que connue par les autochtones, est bien plus avancée que tout ce qui se trouve à Bacurau.

Ces intrus semblent n’avoir d’humain que leur forme. Leur goût pour la chasse à l’homme rappelle le fameux comte Zaroff. Aucun lien social ne semble unir ces individus entre eux ou même avec le reste de l’humanité. Leurs actes sont motivés par le simple besoin de satisfaire leurs désirs personnels qui atteignent leur plénitude dès lors qu’ils participent d’une déshumanisation de l’autre. Un enfant massacré rapporte un point et le score de l’assassin augmente. À l’inverse, les villageois se soutiennent et apportent, chacun en fonction de ses qualités, quelque chose à la communauté. La distinction entre les entités qui s’affrontent se vérifie dans l’usage des armes à feu. Les Américains sortent, à la première occasion (les prétextes sont d'une trivialité exemplaire), leur arsenal de mort comme s’il s’agissait de jouets. À Bacurau, par contre, les armes sont cachées ou exposées dans un musée. Une arme, à Bacurau, n’a rien d’anodin. Ce n’est pas un objet usuel. Les villageois n’en ont pas ou plus besoin. Seule exception : une bande en conserve pour résister contre les autorités qui gèrent le barrage qui assèche leur terre. L’arme est un recours, l’ultime moyen de se faire entendre.

 

Cette histoire de villageois perdus au milieu d’un paysage grandiose et désertique, aidés par des bandits au grand cœur pour lutter contre un conquérant égoïste, a tout de l’archétype du western. L’apport de visions surréalistes et d’ingrédients empruntés à l’univers de la science-fiction floute la frontière entre les genres pour constituer une fable ancrée dans la réalité de cette population rurale. L’usage de genres typiquement américains met alors en exergue les similarités et les différences entre les deux camps qui bataillent dans la campagne brésilienne. Devant l’amalgame qui fait du Brésil les “États-Unis d’Amérique du sud”, les réalisateurs s’insurgent. Les Américains qui massacrent impunément les habitants de Bacurau n’ont aucun point commun avec leurs victimes. Leur mépris de la vie humaine, leur goût pour les armes et leur soif de sensations fortes les présentent comme des sociopathes. Les villageois, à l’inverse, restent modérés dans leur usage de la violence jusqu’à éprouver de la compassion pour leurs assaillants. Ils souffrent à la vue des corps de leurs amis et se montrent prêt à pardonner les écarts des autres. Avec ce film, Mendoça Filho et Dornelles, curieusement, nous rappellent par l’intermédiaire d’un récit d’anticipation qui se déroule au Brésil, que ce qui fait la richesse de nos civilisations ne tient pas dans notre capacité à singer des modes de vie prétendument plus évolués mais plutôt dans la culture de nos différences. Au regard de l’actualité brésilienne, le propos est résolument politique. Et par la même occasion, les cinéastes affirment leur désaccord avec toute idée reçue quant à leur pays : non, le Brésil ne peut en aucun cas être considéré comme une duplication des Etats-Unis en Amérique du sud.

Crédit photographique : © 2019 VICTOR JUCÁ/© CINEMASCÓPIO / Copyright SBS Distribution

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