Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Accueil > Cinéma > Christine - Carlotta Films

Christine - Carlotta Films

Publié par - 3 octobre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

La remarquable édition de Christine chez Carlotta Films peut paraître curieuse : autant de matière pour ce film-là ne semble pas s’inscrire dans la logique éditoriale de Carlotta Films. C'est discutable. D'autant plus que l’auteur du film, John Carpenter, n’est pas le premier cinéaste venu puisqu'il est, à sa manière, un auteur à part entière. Carpenter, par bien des aspects, ressemble à ces cinéastes des temps premiers qui permirent au cinéma américain de grandir. Indépendant est le premier mot qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque l'homme. Un indépendant qui réussit assez rapidement. Après un premier film qui ne soulève guère d'enthousiasme (Starman), John Carpenter entame dans la seconde partie des années 1970 une série de films qui, tous, seront des succès : Assaut (1976), Halloween (1978), The Fog (1980), New York 1997 (1981), The Thing (1982) puis, en 1983, Christine, le film qui nous préoccupe ici. A priori, la trame de Christine et son atmosphère "teenage movie" ne semblent pas réellement correspondre aux univers habituels de Carpenter. Pourtant, nombre de problématiques chères au cinéaste se vérifient dans Christine.

Carpenter n'a cessé dans tous ses films d'étudier comment une micro-société trouve sa cohésion lorsqu'elle est composée d'un groupe d'individus aux caractères disparates (religion, milieu social, origines, etc.). Ce principe narratif, cher au cinéma américain (Rio Bravo, La Chevauchée Fantastique...) a pour but de vérifier, lorsqu'il se transforme en péripétie dramaturgique, l'état des rapports qui unissent ou désunissent les individus qui appartiennent au collectif concerné. La mesure ne serait cependant pas fiable si quelques éléments scénaristiques ne venaient troubler la sérénité apparente de la communauté afin de la tester. Ces éléments perturbateurs ont pour fonction de déstabiliser l'équilibre social par irruption de l'inattendu ou de l'incongru dans le quotidien : un chien poursuivi par un hélicoptère dans The Thing, le président américain qui échoue sur l'île de Manhattan reconvertie en prison dans New York 1997, etc. Ce travail sur la dramaturgie est généralement motivé par la volonté d'explorer qu'elles peuvent être les frontières qui séparent le Bien du Mal.

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Dans Christine, c'est la découverte d'une épave de voiture qui vient bouleverser l'ordre établi. La communauté qui nous intéresse ici prend la forme d'un cercle de lycéens, vision microcosmique de la société US. Cette structure semble fonctionner selon les habituels rapports de force ou de séduction qui régissent le quotidien des jeunes adultes. D'abord, le groupe qui nous concerne est principalement masculin. Chacun y endosse un rôle qu'il se plaît à jouer au mieux pour répondre aux attentes communes : les idiots ne font pas semblant de l'être, Dennis, le beau gosse, est cool et sympa et son amitié avec le looser, Arnie, relève de la mission caritative. Ce sont d'ailleurs ces deux derniers archétypes qui nous préoccupent dans un premier temps : le beau gars, Dennis, et le raté, Arnie. Les opposés s'attirent donc ils sont amis. Le beau mec s'occupe du type destiné à être l'objet de la vindicte : Dennis vient chercher Arnie en voiture pour faire le trajet jusqu'au lycée, Dennis défend Arnie lorsque ce dernier est harcelé par une bande de voyous, etc.

Et puis, lors d'un banal trajet commun en direction du lycée, les deux personnages découvrent une Plymouth Fury dans un état pitoyable, à l'abandon. Le même déplacement quotidien qui n'avait jusque là jamais révélé la présence du véhicule. La voiture apparaît comme une réponse aux questionnements d'Arnie quant à son statut au sein du groupe qui se détermine, à cet instant précis, en fonction de sa sexualité inactive. Comme le suggère Dennis, il serait temps d'y remédier. Les propositions de possibles partenaires féminines laissent Arnie songeur. La Plymouth Fury, sortie de l'inconscient d'Arnie, s'affiche comme l'évidente solution aux tourments, elle marque la fin de l'innocence. Le véhicule est visiblement dans un état de délabrement extérieur qui répond à l'état psychologique d'Arnie.

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

La Plymouth Fury, Christine donc, sera humanisée très vite, dès le premier regard d'Arnie, dès le premier contact physique proche d'une caresse affective destinée à un être cher, on passe pour la désigner du "it" à "she". La douceur dont fait preuve Arnie à l'encontre de la voiture est inversement proportionnelle à la brutalité comportementale qui s'empare du jeune homme dès qu'un contact physique a été établi entre lui et Christine. Arnie se métamorphose au rythme des réparations entreprises sur la Plymouth Fury pour lui redonner son lustre d'antan. Plus la voiture retrouve sa splendeur, plus Arnie gagne en noirceur, devient irritable et agressif.

On peut d'ailleurs voir dans le traitement réservé à cette problématique une réflexion directe sur les rapports qui existent entre le Bien et le Mal puisque l'un a bien des difficultés à exister sans l'autre. À ce sujet, il semblerait même que ce qui anime les intentions de Carpenter se situe dans une recherche singulière sur ces deux concepts. Celle qui vise à déterminer la provenance de la manifestation concrète du Bien et du Mal dans la société et la pensée américaine.

Le Bien et le Mal émanent de l'intérieur. Les deux principes sont étroitement liés à la nature identitaire profonde qui caractérise la société américaine. Le Mal, ici, c'est Christine, la voiture, comme nous l'indique la chanson Bad to the bone de George Thorogood utilisée lors de l'ouverture du film. Très bien, message reçu. Le Mal est là, sous nos yeux, il se distingue aisément dès le début du film puisque sur la chaîne de montage que nous découvrons, une voiture qui se nommera plus tard Christine est de couleur rouge alors que les autres sont de couleur neutre, blanc crème. Le Mal est donc le pur produit de l'industrie américaine et du système qui accompagne son fonctionnement. Une fois Christine intégrée au paysage de la communauté lycéenne, cette dernière, étonnamment, trouve un équilibre qui tend à prouver qu'il est possible de s'accommoder de tout, même du pire.

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Il faut l'arrivée de l'inopiné dans le film pour que le Mal, plus ou moins en sommeil depuis sa renaissance, ne dévoile ses desseins. L'impromptu en question revêt forme humaine en la personne de Leigh (Alexandra Paul), jeune femme qui est, elle, extérieure à la communauté. Leigh est l'exacte inverse de Christine donc, syllogisme imparable, si la voiture est une incarnation du Mal, Leigh sera, elle, une incarnation du Bien.

La lutte entre le Bien et le Mal, opposition basique chère aux films d'horreur en général, souligne l’antagonisme qui existe entre l'intérieur et l'extérieur et même entre intériorité et extériorité. Cette discordance, dans le film d'horreur, permet justement l'extériorisation des peurs les plus enfouies dans l'inconscient du public. En cela, Carpenter rejoint Kubrick puisqu'il produit une œuvre qui tend à observer et interroger les phobies irrationnelles qui gouvernent l'être humain.

Pour mener à bien son expérimentation, Carpenter joue du principe de représentation et/ou d'identification. Le spectateur suit, participe et interprète les actes perpétrés par les protagonistes. Le spectateur est ici invité naturellement à éprouver des sensations qui résultent du comportement des personnages. Dès lors que nous nous sommes projetés dans le personnage d'Arnie Cunningham (cela ne se produit pas immédiatement), nous ressentons ce qui se tisse entre lui et la voiture. Les affinités qui se développent arpentent autant le domaine du psychique que le domaine du physique. Il y a d'abord, entre Arnie et Christine, une attirance qui agit sur le psychisme (les regards adressés par Arnie à la Plymouth) avant que l'attrait ne devienne fascination puis le reflet d'une totale dépendance physique dès que le jeune homme sera entré en contact avec Christine par l'intermédiaire d'une gestuelle résolument sexuée.

Carpenter se sert des jeux et enjeux de projections qui s'activent lorsque le spectateur se laisse embarquer dans l'écran pour y rejoindre le personnage sur lequel il a jeté son dévolu. Il est étrange de constater comment le processus s'installe dans Christine. Dans un premier temps, il est bien délicat de savoir qui fera l'objet de toutes nos attentions. Traditionnellement, dans le "teenage movie", c'est le personnage le plus sympathique, le plus populaire et, cerise sur le gâteau, le plus agréable à regarder qui suscite et attire la bienveillance du spectateur. Rares sont les films où nous sommes associés au faible. Or c'est précisément ce choix que fait Carpenter : nous serons le faible ou nous ne serons pas. Pire, nous le faisons sciemment.

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Pour que cela fonctionne, il fallait imaginer une ouverture de film qui éveillerait notre curiosité. En ce point, celle pensée par Carpenter est terriblement efficace. Nous sommes à la fin des années 1950, nous observons une chaîne de montage automobile, une voiture qui se distingue des autres par sa couleur, une voiture qui se distingue parce qu'elle réagit à ce que les hommes lui font, une voiture qui réplique lorsqu'elle estime subir une agression au point de tuer un ouvrier qui a nonchalamment laissé la cendre de son cigare tomber sur le siège passager. Mais comment une voiture peut-elle tuer ? Comment a t-elle pu commettre ce crime à la vue de tous ? Le rationnel qui est en nous tente désespérément de résoudre ce mystère : le meurtre aurait-il été commis par un autre ouvrier ? Rien ne nous l'indique. Bien au contraire, la mise en scène se concentre uniquement sur la voiture par la multiplicité des plans qui lui sont consacrés et qui nous désigne ainsi la coupable. Les plus attentifs d'entre nous noteront que le découpage du film trouve sa rythmique, indexée sur la musique qui se diffuse dans l'habitacle de l'auto, dans ce que suggèrent les différentes tailles de plan utilisées dans la séquence. Nul doute que la fragmentation de la Plymouth filmée sous tous les angles ajoute à l'inquiétude qui naît en nous.

C'est la rencontre entre Arnie et Christine qui scelle notre positionnement par rapport au film. La rencontre est troublante, on l'a évoqué plus haut, car lorsque la voiture se mue en idéal féminin aux yeux d'Arnie, le jeune homme nous aide à trouver réponses aux interrogations soulevées dans la première séquence, celle du meurtre de l'ouvrier. Arnie, de fait, devient notre allié et gagne notre sympathie. Le lien obsessionnel qui se développe entre Arnie et la Plymouth attise notre irrépressible besoin d'en savoir plus. Carpenter sait que le cinéma est un art de voyeur. Christine apparaît donc comme un film qui se propose de mettre à nu une part de la nature humaine pour comprendre certains de ses dysfonctionnements. Pour cela, Carpenter peint un monde qui est la duplication d'un idéal de félicité vanté par le cinéma américain mais qui, sourdement, est gangrené par une insatisfaction globale propre à l'humain quel qu'il soit, où qu'il demeure. Le rêve peut alors devenir cauchemar.

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Pour ce qui est des suppléments, Carlotta Films n'a pas lésiné sur les moyens et sur la qualité (la copie du film est par ailleurs excellente sur le blu-ray) pour concevoir son coffret ultra collector.

D'abord évoquons le Making-of du film (48 min) qui, signé par Laurent Bouzereau, est fort instructif. Anecdotes et témoignages des techniciens ou acteurs du film contribuent à rendre le module riche et agréable à suivre.

Mais deux autres compléments emportent notre totale adhésion. D'abord la conversation avec John Carpenter conduite par Katell Quillévéré et Yann Gonzalez à l'occasion de la remise du Carrosse d'or 2019 (prix décerné par la Société Française des Réalisateurs de films). Les questions fusent, les réponses aussi. Des échanges d'impressions permettent de mieux cerner le cinéaste et l'homme. Complément particulièrement plaisant car jamais répétitif et toujours surprenant.

Enfin, outre le teaser et la bande-annonce originale, le coffret s'enorgueillit de la présence du livre de Lee Gambin intitulé Plus furieuse que l'enfer : le tournage de Christine. L'auteur se livre à une analyse minutieuse des thématiques du film. Chapitré en fonction de certaines problématiques incontournables, le livre de Gambin est construit selon le principe de l'essai critique. Les réflexions critiques de Gambin reposent sur un argumentaire (détaillé sous la forme de paragraphes à la fin de chaque chapitre) qui est le fruit de la collecte de différents propos tenus par les équipes qui ont travaillé sur le film. Passionnant.

Crédit photographique : ©Columbia Pictures ©Carlotta Films

Splitscreen-review Image de Christine de John Carpenter

Suppléments de l'édition ultra-collector :
. Commentaire audio de John Carpenter et Keith Gordon (VOSTF)
. Making-of (48 mn) en trois parties, écrit, produit et réalisé par Laurent Bouzereau.
. 20 Scènes coupées (26 mn)
. Le Carrosse d'or 2019 : conversation avec John Carpenter (74 mn)
. BANDE-ANNONCE TEASER
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE
"Plus furieuse que l'enfer : le tournage de Christine" Livre inédit de 200 pages et 50 photos d'archives écrit par Lee Gamblin

Partager