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Alice et le maire

Publié par - 7 octobre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Ceux qui n’avaient pas encore vu les courts-métrages de Nicolas Pariser furent, en 2015, étonnés par la pertinence de son premier long, Le grand jeu. Le film fouillait les arcanes du pouvoir en développant une intrigue anxiogène qui nous entraînait sur le territoire du thriller. À cette occasion, on avait loué les aptitudes du cinéaste à construire ses dialogues et à en faire le ressort et l’objet de la mise en scène. Filmer le verbe, la parole, n’est pas chose aisée. Tout le monde ne peut pas être Hawks, Lubitsch ou, plus près de chez nous, Guitry ou Rohmer. C’est de ce dernier que Pariser a retenu, au propre comme au figuré, la leçon (Pariser a suivi les cours dispensés par Rohmer à la Sorbonne). Alice et le maire confirme le talent de Pariser et nous permet de cerner avec plus de précision un travail cinématographique complexe et réjouissant.

Paul Théraneau (Fabrice Luchini), le maire d’une grande ville de province (Lyon) semble au bout du rouleau. Démotivé, il a perdu le goût du combat, de la joute politique. Son équipe de conseillers décide de faire appel aux services d’une jeune philosophe, Alice Heimann (Anaïs Demoustier) pour tenter de raviver la flamme intellectuelle qui avait permis à Théraneau de conquérir la mairie de Lyon.

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Au commencement d’Alice et le maire est le verbe. Pas n’importe lequel, le verbe qui touche au politique, qui fait du lien. Il faut ici entendre le terme de « politique » dans un sens qui se rapproche de politeia. Il s’agit donc de considérer la politique et le verbe qui l’accompagne à travers ce qui touche au collectif et à la diversité des individus qui composent ce collectif. Dans Alice et le maire, la mise en scène, c’est-à-dire l’usage qui est fait du champ lexical cinématographique, a pour fonction d’accompagner ce qui se dit afin d’en relever les différentes tonalités. La mise en scène chez Pariser souligne, ponctue ou contextualise les propos exprimés. Les idées aussi.

L’intention première dans la mise en scène d’Alice et le maire est d’utiliser le langage filmique comme un outil de mesure. Il est question ici de soupeser ce qui se perd dans l’usage de la parole politique en raison des transformations inoculées par les logiques inhérentes aux nouveaux médias de communication. Le film est donc politique.

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Un tweet c’est 140 caractères. Il faut donc, en vertu du diktat de l’immédiateté et des caractéristiques inhérentes au principe, trouver le mot juste, le ton juste pour s’exprimer le plus rapidement sur tout. En réalité, plutôt que de mot juste, il est surtout question de rapidité, de séduction, de facilité. Le tweet est une illusion. Celle qui consiste à laisser entendre que l’accès au savoir ou à l’information peut se faire sans besoin de profondeur et de raisonnement. Au risque de contresens effroyables ou d’interprétations funestes. Le Tweet, lorsqu’il prétend informer ou livrer une pensée, relègue l’information qu’il délivre à une forme d’aphorisme d’une pauvreté extrême. Le Tweet, c’est la mort de la pensée puisque par définition celle-ci a besoin de temps. Le temps de la réflexion. Si nous considérons la politique comme une attitude qui nous permet de nous situer face au monde, alors l’homme que nous déléguons pour soutenir cette position a en charge de formuler des hypothèses pour répondre aux interrogations qui habitent le citoyen : comment mieux vivre ? Comment exister en harmonie avec ce qui nous entoure (hommes, animaux, nature, etc.) ?

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Sur ce point, la philosophie peut nous aider à trouver des réponses. Le Tweet, c’est la fin de la pensée philosophique. Mais la réciproque est vraie, l’usage de la philosophie relègue le tweet à sa juste place, l’éphémère plaisir d’un échange sans réelle consistance. Théraneau, figure politique d’un autre temps et rompu à des logiques discursives qui ne s’accommodent guère de l’immédiateté, souffre de ces nouveaux phénomènes de communication. Il lui faut du temps or il n’en a pas puisque la fonction politique, aujourd’hui, semble fort éloignée d’une quelconque approche philosophique. Hélas.

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Il n’y a pas de hasard donc à ce que ses collaborateurs décident de lui adjoindre Alice, une philosophe qui sait voir de l'autre côté du miroir et qui semble en capacité de comprendre et de relier le monde de Théraneau à celui de la société civile contemporaine. Et puis les échanges entre Alice et le maire construisent, mine de rien, un nouvel espace, celui peint par le film. Le cinéma, ne l’oublions pas, c’est la possibilité de capter le mouvement d’un objet qui s’inscrit dans la durée et de restituer cette captation ultérieurement. Le cinéma, c’est la possibilité de visiter ou de revisiter le temps donc de le prendre.

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Alors le film que nous voyons, Alice et le maire, est aussi l’instauration d’une temporalité qui voisine avec la notion de parenthèse. Théraneau, dans ses échanges avec Alice, s’esquive. Il s’évade de la logique du contemporain, de la rationalité nouvelle de sa fonction politique pour se laisser gagner par la gratuité de plaisirs qui ne passent que par l’intellect. Pour peu que le spectateur s’abandonne et s’en remette à la discrétion de la mise en scène du film, nul doute que lui aussi s’adonnera aux plaisirs de l’esprit, ce qui, par les temps qui courent, est un luxe absolu.

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Crédit photographique : ©BacFilms

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