Splitscreen-review Image de Joker de Todd Phillips

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Joker

Publié par - 14 octobre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le projet du film Joker est né d'une réflexion et d'un constat effectués par Todd Phillips, réalisateur habitué aux comédies graveleuses. Ce dernier considère qu'il n'est plus possible, dans le climat actuel, de réaliser des comédies irrévérencieuses à Hollywood. Ainsi vit le jour un film à la violence outrancière, Joker. Pour autant, bien que la motivation originelle d'un tel projet soit discutable, le métrage n'est pas dénué d'intérêt tant pour ses inspirations cinématographiques scorsesiennes (Taxi Driver, The Big Shave, King of comedy, etc.) que pour l'auscultation d'un esprit malade ou pour le traitement esthétique de l'aire urbaine. Bien sûr, Joker ne s'exonère en rien d'une réflexion, et c'est tant mieux, sur l'émergence du mal dans l'univers de Batman et, par extension, dans nos civilisations contemporaines.

Avec ce film, Todd Phillips imagine des problématiques aux tonalités œdipiennes pour expliciter l'apparition de la Némésis du chevalier noir. Le personnage d'Arthur Fleck est habité par deux personnalités très distinctes. Celle d'un individu qui semble se fondre dans le collectif lorsqu'il est en compagnie de sa mère ou de ses collègues de travail et celle d'un individu psychologiquement fragile et instable. Ces deux aspects du personnages finiront par n'en devenir qu'un quand Arthur Fleck deviendra le Joker, un psychopathe froid et sans remord. Arthur Fleck est alors en perdition. Il cherche désespérément des repères auxquels se raccrocher pour ne pas devenir ce monstre.

Il fantasme une structure familiale dont chaque élément finira par l’abandonner (Fleck n'a pas connu son père, sa mère qui ne parvient pas à le protéger et ne cesse de lui mentir sur l'identité du père). Alors Fleck se choisit des "pères", des modèles afin de tenter de baliser ce qui peut l'être encore dans une existence au bord de l'implosion. Lorsque ces figures paternelles de substitution commencent, une à une, à lui faire défaut, nous savons Arthur Fleck emprunter un chemin vers la folie sans retour possible. Cela commence avec Thomas Wayne, l'ancien patron de sa mère, qui réfute leur lien de parenté. Puis ce sera le tour du présentateur Murray Franklin, dont il rêve d'avoir les louanges et la compassion, qui lui tournera le dos en le moquant ouvertement.

Il ne lui reste alors pour seul point d'ancrage que les artistes comiques qu'il admire. Le film décide d'en mettre un en avant, Charlie Chaplin. Ce choix a une double utilité. L'œuvre de Chaplin ne peut se décorréler des idées de l'homme. On pensera entre autres à des films comme Le kid, Les temps modernes ou encore Le dictateur qui témoignent des idées de leur auteur. Ainsi par l'intermédiaire de ces citations, les actions du Joker deviennent également politiques même s'il prétend le contraire. On pensera à son interview dans le talk-show de Murray Franklin qui ressemble plus à un plaidoyer politique qu'à un moment de divertissement.

La deuxième utilité de la comparaison avec Chaplin est d'ancrer le film dans une certaine représentation du réel. Pour cela, le réalisateur utilise des plans qui évoquent la forme des télévisions cathodiques tant dans le format d'image (4:3) que l'esthétisme qui définit l'émission de Murray Franklin. Ainsi, seul le rythme du montage permet alors au spectateur d'appréhender la réalité physique et psychique des scènes qu'il voit.

Ce qui se joue dans la famille que s'imagine Arthur Fleck se déploie aussi à l’échelle de la ville de Gotham. Elle est une allégorie des États-Unis d'Amérique. Le modèle patriarcal incarné, entre autres, par l'entreprise de Thomas Wayne s'effondre. L'omniprésence de la violence dans les rues en est un des premiers effets. Les agressions gratuites et les pillages se multiplient. Arthur Fleck et ses collègues clowns de rue la subissent de front. Ils sont des cibles faciles car ils sont marginalisés et dans une situation précaire. Une sorte de freak show s'installe. L'atmosphère qui règne alors n'est pas sans rappeler l'œuvre de Victor Hugo, L'homme qui rit. Elle fut d'ailleurs une source d'inspiration pour la création du Joker dans les comics.

Cette défaillance du système se manifeste aussi par l'abandon des malades mentaux quand les crédits des centres d'aide sont coupés. De plus, les médias abreuvent les citoyens de Gotham d’informations constamment négatives et alarmantes. Celles-ci sont présentes dès l'introduction du film à travers le fond sonore qui reprend les déclarations des présentateurs du journal télévisé.

Le film joue avec les chromatiques. Les mêmes couleurs sont utilisées dans le décor et sur les vêtements du Joker. Mais celles-ci ont des significations bien différentes. Ainsi le jaune des lumières est signe de mensonge alors qu'il est signe de puissance sur le gilet du personnage. Ce contraste se renforce par le ton des couleurs. Elles sont ternes dans l'espace urbain et vives sur le costume du clown. Les couleurs du Joker, sur son costume ou son maquillage, reflètent ce qu'il incarne aux yeux de certains habitants de Gotham. Il est l'image d'un espoir destructeur face à un système qui broie les gens et les pousse à la violence. Il devient alors un leader idéologique.

Cependant, la caméra laisse le spectateur à l'écart. Celui-ci n'est pas associé à la folie irrépressible qui contamine l'écran et le monde filmique. Le spectateur reste dans un univers stable. La seule instabilité se manifeste par l'utilisation du dutch angle pour des scènes ponctuelles de violence ou de troubles psychiques. Il est question ici de nous donner à comprendre et à mesurer la violence des sentiments.

Todd Phillips donne des origines cinématographiques au plus célèbre méchant de comics, sans altérer l'essence même du personnage. Celle-ci réside dans l'ambigüité et le flou moral qui entourent le personnage. Ainsi le metteur en scène arrive à faire éprouver au spectateur de l'empathie pour un monstre. Cette réussite est aussi et avant tout le fruit de l'incarnation du personnage proposée par Joaquin Phoenix. De la maîtrise du rire au corps de l’acteur en passant par la gestuelle, tout participe à donner l'impression que le Joker est physiquement là. À ce titre, il est à noter que l'acteur s'est documenté sur les effets secondaires des médicaments, la danse ou encore le rire pathologique pour habiter pleinement le personnage qu'il devait incarner.

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