Splitscreen-review Image de Los Silencios de Beatriz Seigner

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Los silencios

Publié par - 24 octobre 2019

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Après avoir distribué Los silencios en salles, Pyramide permet à ceux qui n’avaient pas pu avoir accès au film de le découvrir désormais dans une belle copie sur DVD. Le film est une curiosité, une audace en soi dans la mesure où Los silencios réunit dans sa trame comme dans sa forme des univers distincts voire opposés pour construire un récit qui se situe aux confins de la fiction et du documentaire.

Los silencios est avant tout l’histoire d’une survie. Celle d’une famille amputée de l’un de ses membres. Deux enfants, Nuria, 12 ans et Fabio, 9 ans, ainsi que leur mère, Amparo, arrivent sur une île située au milieu de l'Amazonie. L’île de la « Fantasia » se trouve à un carrefour entre le Brésil, la Colombie et le Pérou. Ils débarquent sur cette île après avoir fui le conflit armé colombien qui est à l'origine de la disparition de leur père.

Los silencios semble dans un premier temps se construire selon une logique qui habite de plus en plus les films qui nous proviennent de régions qui ne sont que trop rarement explorées par les images TV diffusées sous nos latitudes. En général, les auteurs de ces films témoignent assez souvent d’un didactisme qui pénalise le développement de la fiction dans la mesure où le propos se perd dans une sorte d’élan ethnographique et/ou pédagogique.

Splitscreen-review Image de Los Silencios de Beatriz Seigner

On pouvait redouter pareille expérience ici mais la cinéaste, Beatriz Seigner, a su éviter l’écueil. Cela ne coulait pas de source dans la mesure où Los silencios est un second long-métrage qui fait suite à un documentaire (Bollywood dream) remarqué dans de nombreux festivals internationaux. Le film s‘organise autour de l’implantation sur une île d’individus contraints à l’exil pour survivre à une lutte armée. Démarches administratives, recherche d’emploi, scolarisation des enfants, bref, tout participe à donner aux images valeur de document. Mais Los silencios transcende ces données factuelles pour les intégrer à un processus où réalité et onirisme vont cohabiter.

Los silencios est surprenant, étonnant, déstabilisant. Dans le développement visuel de l'intrigue, jamais rien ne nous prévient de l’irruption du fantastique qui s'inscrit donc avec naturel dans le quotidien de la population. À tel point d'ailleurs que le spectateur a besoin de s'habituer à la présence du fabuleux dans le tangible. Le père disparu, Adam, réapparaît soudainement. Nuria rentre de l’école, ouvre la porte de la maison et découvre son père affairé comme s’il avait fait partie du voyage. D’abord nous pensons à un possible intrus venu voler ce qu’il pouvait mais non, la réaction de Nuria est sans équivoque : elle connaît cet homme. D’ailleurs celui-ci regarde la jeune fille avec bienveillance. Il faut du temps pour assembler les pièces du puzzle : c’est homme est le père défunt.

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Des questions surgissent alors : la présence de l’homme est-elle une figuration des pensées ou des sentiments de la famille d’Amparo ou bien l’île est-elle un lieu où cohabitent vivants et morts ? Pas de pont à franchir pour que les fantômes viennent à la rencontre des vivants, on rejoint l’île de la Fantasia en bateau. La situation particulière de l'île, être un point de jonction entre trois pays d’Amérique latine, file la parfaite métaphore d’une possible convergence entre différents pays mais aussi différents niveaux de réalité.

Beatriz Seigner se livre à une expérimentation qui mérite une attention particulière. Los silencios est un véritable objet de spéculations sur les possibilités narratives offertes par la juxtaposition du réel et du surnaturel et, en même temps, un paradigme. Pas n’importe lequel puisque, là aussi, dans ce monde qui abrite le film, l’imaginaire et le tangible que nous connaissons ou croyons connaître dialoguent.

Il en va ainsi formellement lorsque Beatriz Seigner filme deux réunions de villageois. L'organisation sociale de la Fantasia passe par un ensemble de décisions prises de manière collégiale. La première réunion est un libre échange de propos entre vivants. La seconde fait intervenir les morts. Ainsi des concepts en apparence contraires dialoguent à distance, les vivants entre eux, les vivants avec les morts et les deux réunions dans la logique du film puisqu'elles constituent deux blocs narratifs d'importance.

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Formellement, les deux séquences sont admirables. Elles sont filmées simplement, avec pudeur et presque avec la volonté de gommer la présence de la technique. La caméra laisse les individus s’exprimer comme ils le souhaitent. La mise en scène se nourrit du contenu de l’image puisque ce sont les propos des villageois qui conditionnent les cadrages et le montage. La durée des plans s’indexe sur la matérialisation des idées émises par les participants. Nous sommes-là en présence de parenthèses documentaires introduites dans la fiction. Ce qui est probant dans la démarche de la réalisatrice, c’est que ces espaces de vie bruts servent le propos global du film et, donc, la fiction. Les problématiques de Los silencios se structurent sur un argumentaire concret (les parenthèses documentaires) qui s’accommoderait, en raison des singularités culturelles de l’île, de la présence permanente du fabuleux dans le quotidien. Il s’agit ici de matérialiser l’existence manifeste du fantastique dans l’ordinaire des habitants de l’île.

Los silencios se permet ainsi de conjuguer fiction et documentaire mais également des concepts a priori étrangers tels que réalité et abstraction. Beatriz Seigner procède ainsi à une transposition des principes chers au Réalisme Magique puisque son film n’est que l’expression d’une aptitude à installer avec probité des éléments oniriques à l’intérieur d’un espace réaliste. Autrement dit, Beatriz Seigner a su brillamment insérer dans les images de son film, par l’intermédiaire de touches poétiques distillées sous couvert de réalisme, des éléments qui relèvent généralement du sensitif donc de l’indicible.

Un intéressant making-of et des scènes coupées complètent avec pertinence l'édition de ce film réjouissant.

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Crédit photographique : ©Pyramide Films

Suppléments :
Making-of 30 mn
6 scènes coupées 20 mn

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