Splitscreen-review Image de System Shock

Accueil > Jeux vidéo > Série System Shock

Série System Shock

Publié par - 29 octobre 2019

Catégorie(s): Jeux vidéo

La science-fiction se nourrit depuis longtemps de l’évolution des technologies. Parfois avec optimisme mais, très souvent, les artistes qui travaillent les codes du genre ne partagent pas cette euphorie insouciante. Par exemple, ceux rattachés au fameux mouvement Cyberpunk en sont de probants exemples. On pense à des œuvres telles que  Neuromancien de William Gibson, Akira de Katsuhiro Ōtomo ou Blade Runner de Philip K. Dick. Loin des explorateurs et chevaliers de l’espace propres au Space Opera, les œuvres citées ci-dessus regorgent plutôt de hackers cupides, de mégacorporations toute puissantes et de technologies transhumanistes banalisées. En 1994, le game designer Warren Spector conçoit un jeu vidéo, System Shock, qui se situe à la croisée des genres entre jeu de rôle et jeu de tir, entre récit de science-fiction et trame horrifique. Après Warren Spector, le créateur de Bioshock, Ken Levine, apportera sa touche à la franchise. Au cœur du jeu et du récit pensés par Levine se trouve une antagoniste. Une intelligence artificielle que certains intronisent comme l’équivalent vidéoludique du fameux HAL 9000 de 2001, l’odyssée de l’espace. Son nom est SHODAN.

Nous sommes en 2072. Le joueur incarne un hacker sans nom qui fait un pacte faustien avec un membre haut placé de la mégacorporation TriOptimum. S’il s’infiltre et modifie les programmes de l’IA, SHODAN, de la station spatiale Citadelle, il obtiendra les meilleurs implants cybernétiques du marché. Une fois sa mission accomplie, il est placé en coma post-opératoire sur la fameuse station. À son réveil, tout est bien trop calme et les caméras de vidéo-surveillance semblent fixées sur lui. Il n’y a plus personne dans les couloirs de la Citadelle. Personne d’amical du moins puisque l’espace est envahi par des robots tueurs, des mutants humanoïdes et des chimères biomécaniques. Le joueur semble plongé dans un cauchemar sorti tout droit de l’esprit d’H.R. Giger.

La révélation ne tarde pas : suite à l’intervention du hacker, SHODAN s'est vidée de toutes les notions morales programmées par ses créateurs. La Citadelle est désormais sous son contrôle et elle s’apprête à tirer au laser sur les principales grandes villes du monde. Le joueur doit alors explorer la station spatiale pour trouver un moyen de l’arrêter.

L’immersion du joueur est le résultat d'un mélange de vues à la première personne et des principes du jeu de rôle. Le phénomène contribue à amplifier l'atmosphère horrifique de cette aventure. Ce qui s’affiche sur l’écran correspond au champ de vision de l'humain dans la réalité et nos interactions avec l’inventaire, les documents et les objets de la station s’effectuent en temps réel. Le principe est simple : le traitement du temps et de l’espace affiche pour ambition de coller à notre appréhension du monde réel. Les sensations ou sentiments ne sont pas en reste puisque le joueur est piégé dans un labyrinthe obscur rempli de monstres. Sensations passablement désagréables auxquelles s’ajoute l’impression d’être observé en permanence par SHODAN, l’entité omnisciente qui a tout pouvoir sur ces lieux.

Cette position omnisciente de l’IA est à l’image de l’objectif de SHODAN : se substituer à Dieu. Elle déclare elle-même que ce titre et ce statut lui vont à ravir. Dépourvue de morale et des contraintes de la chair, l’IA exprime régulièrement un profond mépris envers l’humanité. L’homme n’est qu’un insecte, selon ses propres dires. À l’occasion, SHODAN prononcera : “Entre mes serres, je modèle de l’argile, façonnant la vie selon mon désir.” Chacune de ses paroles est marquée par la vanité, l’ambition et le champs lexical du religieux.

Dans l’une des première bandes-annonces de System Shock 3, SHODAN décrit le nouveau lieu dont elle prend le contrôle ainsi : “Il n’y a pas de Mal ici, seulement le changement.”  À ses yeux, la vie n’est qu’une masse de matière biologique qui doit être convertie à son culte par la manipulation génétique et les implants électroniques. Qu’importe la souffrance imposée comme en témoignent les corps mis sous plastique comme des bouts de viande dans ce troisième opus de la saga. Elle perçoit le monde avec une vision purement matérialiste et autocentrée, dans une totale inversion des valeurs religieuses monothéistes dont elle emprunte le langage. Dans System Shock 2, SHODAN inverse à un moment la gravité du vaisseau dans lequel se trouve le joueur, le collant au plafond. Lorsque ce dernier entre ensuite dans une chapelle, il se retrouve face à une croix inversée par l’intervention de l’IA. Dans ses paroles comme dans ses actes, SHODAN se révèle une parfaite incarnation de l’antéchrist.

Mais SHODAN montre parfois des failles. Celle-ci parle régulièrement avec le joueur, ce qui permet de saisir sa personnalité, voire de l’entendre exprimer des émotions. À mesure que le joueur agit contre SHODAN, celle-ci exprime de la colère, signe d’une crainte face au vacillement de sa toute puissance. Un paradoxe étrange se forme ainsi entre la soi-disant supériorité absolue de SHODAN et la capacité du joueur à la contrecarrer. De plus, malgré sa prétendue perfection, les paroles de l’IA sont sans cesse entrecoupées de scories électroniques. Au-delà de la crainte suscitée par son pouvoir sur le joueur, une imperfection existe. Cette accumulation de paradoxes, d’émotivité et d’arrogance prêtent à SHODAN des attitudes humaines. Son rôle de divinité n’est qu’illusion.

En ce moment, Nightdive studio produit un remake du premier jeu, tandis qu'Otherside Entertainement, sous la houlette de Warren Spector lui-même, prépare le troisième volet de la série. Encore aujourd'hui, des fans modifient System Shock 2 pour en actualiser les graphismes. C'est dire si la licence a marqué. Et cette terrible IA semble y être pour beaucoup. Pourquoi cela ? SHODAN est le fruit du machiavélisme d’une mégacorporation surpuissante, du matérialisme sans conscience des savants qui l’ont conçue et de la cupidité d’un pirate informatique. Dans System Shock, les joueurs luttent contre un avatar qui incarne tout ce que le mouvement cyberpunk dénonce. Le choix d’une atmosphère et d’un gameplay proches de l’horreur sert le propos. Avec la saga System Shock, les concepteurs Spector et Levine ont posé les bases de licences fortes telles Deus Ex et Bioshock. Mais ils ont également permis à nombre de joueurs de réfléchir avec effroi et sérieux aux paroles de SHODAN au début de System Shock 2: “Regarde toi, hacker : une pathétique créature de viande et d’os, haletante et suante alors que tu cours dans mes couloirs. Comment pourrais-tu défier une machine parfaite et immortelle ?”

Crédit Images : ©Otherside Entertainement

Partager